Ismaïl Kadaré, l’inflexible dissident albanais

Ismaïl Kadaré, l’inflexible dissident albanais
Ismaïl Kadaré, l’inflexible dissident albanais

Ismaïl Kadaré, the inflexible dissident

Mort du grand écrivain albanais qui a porté avec inflexibilité la critique – et la poésie – au cœur du pouvoir communiste corrompu.

Publié aujourd’hui à 11h05

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L’Albanais Ismail Kadare, décédé ce lundi à Tirana à l’âge de 88 ans, a construit une œuvre monumentale utilisant les lettres comme outil de liberté sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, l’une des pires dictatures du XXe siècle.et siècle. Ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, il a exploré les mythes et l’histoire de son pays, pour décortiquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme.

« L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant », déclarait l’écrivain dans l’une de ses dernières interviews, juste avant d’être élevé au rang de Grand Officier de la Légion d’honneur par le président français Emmanuel Macron en 2020. « Mais en littérature, il se transforme en force vitale, une force qui permet de survivre, de vaincre de front la dictature. »

La littérature « m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter », a-t-il expliqué, déjà affaibli, depuis son domicile de Tirana, la capitale albanaise.

Quelle meilleure métaphore de la terreur hideuse des opprimés que les têtes des vizirs disgraciés exposées au public dans « La Niche de la honte » (1978), évocation de l’occupation ottomane qui revient dans plusieurs ouvrages, comme « Tambours de pluie ». » (1970) ?

Perdre l’Europe

« J’appartiens à l’un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui a perdu l’Europe à deux reprises : au XVeet siècle, pendant l’occupation ottomane, puis au 20eet siècle, pendant la période communiste », expliquait l’écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal français « Le Monde ».

Son œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits en 40 langues, a été écrite en partie sous la direction de Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, dirigea d’une main de fer son pays hermétiquement fermé.

Pour Ismaïl Kadaré, le joug ne saurait être une excuse : l’écrivain a le devoir de s’octroyer une liberté totale, d’« être au service de la liberté ». « La vérité n’est pas dans les actes mais dans mes livres qui sont un véritable testament littéraire », disait-il encore en 2019.

Écrire depuis l’enfance

Né à Gjirokastër (comme Hoxha), sa « ville de pierres » (1970) au sud de l’Albanie, il publie son premier roman en 1963, « Le Général de l’armée morte » : un officier italien se rend en Albanie pour exhumer ses compatriotes tués pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ismaïl Kadaré écrit depuis son enfance, lorsqu’il découvre dans la bibliothèque familiale « Macbeth » de Shakespeare, l’un de ses héros au même titre qu’Eschyle, Cervantès, Dante et Gogol. Au début des années 1960, il étudie à l’Institut Maxime Gorki de Moscou, haut lieu du réalisme soviétique, un genre littéraire qu’il déteste car « il n’y a pas de mystère, pas de fantômes, rien ».

Dissident officiel ?

Il raconte cet apprentissage dans « Le Crépuscule des dieux de la steppe » (1978). La décision d’Hoxha de rompre les liens avec l’URSS de Nikita Khrouchtchev ramène Ismaïl Kadaré en Albanie. De cette rupture naît « Le Grand Hiver » (1973), dans lequel apparaît Hoxha. Le livre est plutôt favorable à Tirana, mais les plus fervents adorateurs du tyran le jugent insuffisamment élogieux et réclament la tête de l’écrivain « bourgeois ».

Hoxha, qui se targue d’être un amateur de littérature, vient à son secours. Dans ses mémoires, sa veuve, Nexhmije Hoxha, raconte comment son mari, souvent exaspéré, a sauvé à plusieurs reprises Ismail Kadare, brièvement député au début des années 1970. Protégé par sa renommée lorsque d’autres ont été condamnés aux travaux forcés, voire exécutés, il a été critiqué pour son statut de « dissident officiel ».

Ismaïl Kadaré a toujours nié toute relation particulière avec la dictature. « De qui Enver Hoxha me protégeait-il ? Contre Enver Hoxha », a-t-il expliqué, se considérant comme un écrivain qui « essayait de créer une littérature normale dans un pays anormal ».

Autocritique publique

Le poème « Pachas rouges » (1975) le contraint à l’autocritique publique et les archives de l’époque Hoxha montrent qu’il a souvent frôlé l’arrestation. Sous l’épée de Damoclès de l’appareil policier, soumis à une surveillance aussi étouffante que constante, il s’exile en 1990, dont il raconte le récit dans son « Printemps albanais » (1997).

Jusqu’au bout, Ismaïl Kadaré a écrit « tout le temps ». « Je note des idées, j’écris des nouvelles, j’ai des projets. Car la littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand, incomparable avec tout ce que j’ai vécu. Et comme elle, « l’écrivain n’a pas d’âge ».

Si l’Albanie était son décor exclusif, sa condamnation de la tyrannie était universelle – comme il l’expliquait dans « Discord » (2013) : « Si l’on commençait à chercher une ressemblance entre les peuples, on la trouverait avant tout dans leurs erreurs. »

Boris Senff travaille dans la section culturelle depuis 1995. Il écrit sur la musique, la photographie, le théâtre, le cinéma, la littérature, l’architecture et les beaux-arts.Plus d’informations @Sibernoff

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