L’attente aura été longue avant la « résurrection » d’une série qui a marqué le jeu d’action-aventure sur PlayStation et PC, il y a près de 25 ans. Les guillemets ne sont pas de trop, car, comme son titre l’exprime clairement, nous sommes ici sur un remaster et non un remake. On voyagera donc entre les eaux de l’hommage et de la nostalgie facile. De quoi sonner le glas de Raziel ou lui offrir une nouvelle vie ?
Salut Barbie, salut Kain !
Bien que beaucoup aient découvert le monde de Nosgoth avec Soul Reaver, cette compilation n’est en réalité que les épisodes 2 et 3 d’une série de jeux Legacy of Kain, qui en compte cinq au total. Ces opus sont Blood Omen (1996), Soul Reaver I et II (1999 et 2001), Blood Omen 2 (2002) et enfin Defiance (2003). Exit le premier jeu qui fut un flop, ce remaster ignore ainsi les aventures de Kain et le reste de l’histoire pour se concentrer sur le combo gagnant qui a permis au plus grand nombre de découvrir la série. Il opte pour un choix logique qui plonge les nostalgiques en territoire familier et amène les nouveaux selon le même modus operandi que leurs aînés.
Il n’est pas nécessaire d’être familier avec Blood Omen pour comprendre le fonctionnement du scénario, ces épisodes commencent avec un protagoniste différent : Raziel. A la fois vassal et premier-né de Kain, Raziel est un vampire, pur produit de son maître qu’il a servi fidèlement aux côtés de ses frères pendant près de mille ans jusqu’à sa trahison involontaire. Son péché ? Ayant évolué avant son maître, acquérant des ailes qui auraient dû appartenir à Kain, ce dernier toujours en avance sur sa « progéniture ». Ce n’est bien sûr pas du goût du despote qui brise le corps de son protégé avant de le jeter dans le lac des morts. Condamné à la damnation éternelle, Raziel est finalement délivré de son tourment par un mystérieux dieu ancien qui lui propose de se venger de Kain. Au fier vampire qu’il était succède désormais une créature décharnée, un vampire d’âme, ni complètement vivant ni complètement mort, qui va pouvoir évoluer entre deux mondes : celui des vivants et celui des morts.
- Pourtant, il semble très admiratif, non ?
Ces quelques lignes sont contées dès le lancement du jeu à travers une somptueuse cinématique. L’histoire est présentée dans une version française impeccable, portée par des voix connues, comme celles de Bernard Lanneau et Benoît Allemane qui incarnent Raziel, Kain et même l’Ancien. Comme on peut s’y attendre, la version originale est également impeccable.
- Oui, oui, c’est définitivement un vampire, chacun a ses “évolutions”
La grande force de Soul Reaver réside dans sa capacité à nous plonger dans un univers doté d’une véritable mythologie. Sur les terres de Nosgoth, dans un monde qui semble tour à tour familier et mystérieux, la narration du titre entretient un subtil équilibre entre zones d’ombre et fil conducteur, propice à laisser travailler l’imaginaire. De plus, son écriture s’articule sur deux niveaux : celui du joueur et celui de Raziel. Le jeu reprend ainsi les codes de la pop culture avec la figure du vampire, offrant au joueur quelques clés pour comprendre le monde dans lequel il évolue. Tandis que du côté de Raziel, sans jouer la carte de l’amnésique, l’étonnement et les renversements de situations fonctionnent car beaucoup de temps s’est écoulé entre l’époque où le vampire évoluait (sans jeu de mots) et celle d’aujourd’hui.
Le cube
Un peu de contexte est nécessaire pour comprendre le passif associé à ces deux jeux. A sa sortie, Soul Reaver a été une claque en proposant une histoire mature, un univers riche avec des personnages charismatiques, le tout dans un monde ouvert en 3D épurée et jolie (merci Crystal Dynamics) et entièrement doublé en français.
À l’apogée de la PlayStation, le jeu entre dans la catégorie action-aventure, même s’il s’agit presque d’un metroidvania. À première vue, il semble adopter un rythme en deux temps : exploration/énigmes et confrontations. Cependant, cela est en partie faux, l’aspect combat étant plutôt un prétexte.
- Triste dilemme de devoir choisir entre le bûcher et le feu
Pour nos yeux d’adolescents, cela semblait être des moments clés, fans d’hémoglobine que nous étions. Il existait plusieurs façons de tuer ces horribles vampires en utilisant les armes et l’environnement (empalement, lumière du jour, feu, etc.). Au fur et à mesure de l’aventure, nous avons dû composer avec un bestiaire qui avait évolué, présentant des caractéristiques différentes, nécessitant donc une adaptation. Même si la nostalgie parle et que ces moments font toujours leur petit effet, force est de constater que les affrontements restent imprécis et qu’ils servent surtout de prétextes pour semer quelques embûches sur le chemin pour aller d’un point A à un point B. Quant aux combats de boss, beaucoup plus qu’une épreuve de réflexes, sans parler d’énigmes, ils répondent à une logique assez classique du jeu vidéo, à savoir répéter un certain nombre de fois une action pour les vaincre.
Plus que ses affrontements, le jeu repose principalement sur l’exploration. Cette dernière repose sur la nécessité d’alterner entre le monde des vivants et celui des esprits pour profiter des différentes capacités de Raziel et ouvrir des chemins auparavant inaccessibles. Il y a bien sûr des pouvoirs à récupérer au fil des pérégrinations du héros, procurant un réel sentiment de liberté et de puissance. C’est vraiment une belle réussite.
Quant aux énigmes, elles restent plus ou moins claires, une grande partie étant basée sur le déplacement, le retournement, l’enclenchement de cubes dans des emplacements réservés pour reconstituer une fresque ou n’importe quel puzzle. A l’époque, ces moments étaient une vraie galère, non pas à cause de la complexité du mécanisme, mais à cause du manque de certitude d’avoir trouvé tous les cubes à empiler et à activer, tout cela sans se perdre. De plus, ces énigmes avaient le mauvais goût de se trouver dans les recoins les plus sombres de Nosgoth, ce qui compliquait l’équation. Aujourd’hui, Aspyr a intégré une petite icône pour indiquer les éléments du jeu avec lesquels interagir, ce qui est un plus non négligeable. Cela ne révolutionne cependant pas la lourdeur de ces phases qui sont d’un autre temps.
- Connaissant notre lectorat exigeant, j’ai zappé les énigmes à base de fresques pour reconstituer
Une remasterisation sans enthousiasme
Sous la houlette du studio Asypr (également à l’origine du remake de Tomb Raider I à III), l’opération esthétique s’est plutôt bien déroulée. Les textures des environnements ont gagné en détails, sans transcender l’expérience originale. La refonte graphique est surtout splendide sur les personnages qui ont droit à une nouvelle jeunesse avec un remodelage complet, plus fidèle à l’esprit initial. A la manière d’un photomontage avant/après destiné à nous éblouir, il est également possible de passer d’un mode à l’autre d’une simple pression sur le joystick, comme c’est le cas avec le Tomb Raider remasterisé.
- Sur Soul Reaver premier du nom, rien à redire, le travail a été exemplaire.
Si l’on met côte à côte les deux volets, le relooking est nettement plus visible sur la première partie que sur le deuxième épisode, qui semble avoir nécessité moins d’attention en raison de son âge, à moins qu’il n’ait peut-être fait l’objet d’une certaine paresse du côté fait partie d’Aspyr… En tout cas, déjà d’une beauté hypnotique, ce lifting a permis au jeu de gagner en fluidité, les transitions entre le monde réel et celui des esprits étant très naturelles et tournant toutes à merveille. Le titre bénéficie encore de cette beauté mélancolique et gothique particulière, malgré quelques nuages au tableau (au sens littéral du terme).
- Regardez attentivement les deux images qui vous sont présentées et recherchez les différences entre les deux images.
Sur PlayStation, en raison des limitations techniques de l’époque, un brouillard ambiant masquait les décors les plus lointains, ce qui était une bonne chose car, avec les moyens du bord, cela contribuait à l’aura de mystère du titre. En revanche, aujourd’hui, cette occlusion n’existe plus, alors on aurait aimé entrevoir ou deviner ce qui se passe derrière ce flou opaque. C’est dommage car, le jeu nécessitant de nombreux allers-retours dans sa structure, cela a tendance à nous perdre un peu plus dans Nosgoth, et pas dans le bon sens du terme. Enfin, si l’on chipote, certaines arêtes des modèles 3D peuvent être aperçues, mais ces quelques aspérités auraient pu être gommées.
- Avertissement de brouillard sur Nosgoth, alerte jaune
Outre l’évolution graphique, Aspyr a également ajouté quelques options de confort. On peut citer la présence d’un appareil photo gratuit (devenu la norme dans les jeux d’aventure), d’une carte et d’une boussole, ainsi que la possibilité de sauvegarder où l’on veut ou encore des icônes indiquant les éléments sur lesquels on peut prendre. Cela peut sembler astucieux, mais ce ne sont pas de petites améliorations compte tenu des allers-retours nécessaires dans le jeu ou pour résoudre des énigmes. Sur PlayStation, il fallait constamment repositionner la caméra grâce aux gâchettes pour la placer derrière Raziel et observer son environnement, ou tâtonner avec les éléments du décor pour découvrir avec lesquels interagir.
Un premier pas a été fait vers les joueurs, mais le deuxième pas n’a pas été fait : on peut donc regretter l’absence d’une carte spécifique à chaque lieu, avec possibilité de l’annoter, qui se prête pourtant si bien au genre metroidvania. La caméra est encore sujette aux à-coups et a tendance à s’emballer dans les endroits exigus et lors des phases de plateforme les plus exigeantes. Enfin, même s’il est possible de sauvegarder librement, recharger une partie ramène à la zone de départ, ce qui est plutôt inconfortable tant le level design est tortueux. Ce problème de retour au hub d’origine est néanmoins atténué sur Xbox Series grâce à la fonctionnalité Quick Resume.
- Bon, je n’ai pas sélectionné le bonus le plus marquant, mais c’est pour garder l’effet de surprise.
Enfin, surprise finale et cerise sur le gâteau, cette compilation apporte son lot de contenus bonus qui mélangent à la fois des éléments de l’époque et des contributions des fans. Il y a une pléthore d’illustrations et de cosplays, il y a des niveaux inachevés, des scripts, des morceaux d’histoire et même des pièces en coulisses. C’est un bel ajout pour passer de l’autre côté du rideau. Attention pour ceux qui ne connaissent pas la langue de Shakespeare, une partie de ce contenu n’est disponible qu’en anglais.
En conclusion, précisons que, même si le travail d’Apsyr est remarquable, il faut être conscient que cette compilation souffre d’un game design qui reste daté. Les moins patients risquent de ne pas trouver leur bonheur tant son ADN est spécifique à son époque. Pourtant, si vous vous lancez dans l’aventure, il y a de fortes chances que vous tombiez sous le charme d’une saga qui mérite davantage.
Testé sur Xbox Series