Malgré l’âge de la structure, le grand hall de montage avec ses ponts roulants est suffisamment haut et long pour manutentionner horizontalement des tronçons de fusée d’une dizaine de mètres de long et plus de 3,5 m de large. diamètre. « Ce hall d’assemblage a été utilisé pour les fusées d’Ariane 1 à Ariane 4. En termes de dimensions, il correspond parfaitement à nos besoins de production en série. Les moteurs arriveront directement d’un bâtiment voisin. explique Jean-Michel Sannino, directeur de l’usine MaiaSpace de Vernon. Le manager est lui-même un ancien membre d’ArianeGroup, où il a travaillé sur les programmes d’avenir.
A côté du mini-lanceur en construction attendent une poignée de réservoirs de propulseur de la taille d’un gros chauffe-eau. « Nous allons les soumettre à des tests de pression et de température pour évaluer nos nouveaux procédés de soudage. Pour certains, on ira jusqu’aux limites” explique le directeur de l’usine. Une approche typique du newspace où l’on n’hésite pas à détruire pour apprendre.
Contourner la règle européenne du retour géographique
En avril 2022, la filiale d’ArianeGroup, société commune entre Safran et Airbus, se lance dans la course à la fabrication d’un mini-lanceur réutilisable. Sur ce segment, en Europe, les concurrents sont nombreux : l’espagnol PLD Space, le britannique Orbitex, les allemands RFA et Isar Aerospace ainsi que les français Latitude, HyprSpace, Sirius… Ces mini-lanceurs conçus pour mettre en orbite des charges utiles entre 500 kg et 1,5 tonnes espèrent trouver leur place aux côtés des lanceurs moyens et gros déjà présents sur le marché. Comme la fusée Falcon 9 de SpaceX ou les lanceurs Vega C et Ariane 6 de l’Agence spatiale européenne.
Grâce à leur capacité à mettre en orbite des charges jusqu’à dix fois plus importantes, les grands lanceurs bénéficient d’un prix au kilo mis en orbite mécaniquement inférieur grâce aux économies d’échelle. Sauf si… « Nous devons concevoir et fabriquer nos lanceurs différemment. Sinon, nous ne pourrons pas être compétitifs.»explique Yohann Leroy, PDG de MaiaSpace.
MaiaSpace est équipé du moteur Prometheus, développé par ArianeGroup pour le compte de l’Agence spatiale européenne.
Maiaspace et ses 230 salariés ont des objectifs ambitieux : un premier vol commercial en 2026, moins de cinq ans après sa création, et une cadence d’une vingtaine de tirs par an d’ici 2032. Grâce à ses dimensions relativement plus importantes que les autres mini-lanceurs (50 m de hauteur, 3,5 m de diamètre), la fusée construite à Vernon ambitionne d’être compétitive sur différents segments de marché. Le lanceur sera capable de lancer des charges utiles de 500 à 1500 kg mais aussi des grappes de satellites en constellations avec un prix au kilo en orbite comparable à celui des lanceurs lourds.
Alimenter les bureaux d’études en multipliant les essais
Comment ? En s’imposant comme le chaînon manquant entre le newspace symbolisé par SpaceX et le « oldspace », c’est à dire les acteurs traditionnels du secteur. Ainsi 40 % de ses effectifs sont issus du secteur spatial historique (ArianeGroup, CNES, ESA…) et 60 % sont issus d’horizons différents. “C’est le bon rapport, sourit le leader. A la fois pour éviter de commettre des erreurs de débutant grâce à des experts qui ont déjà développé des lanceurs, et en même - pour pouvoir faire les choses différemment.
Surtout, pour MaiaSpace, pas question de réinventer la roue. Plutôt que de développer un nouveau moteur pour ses fusées, l’entreprise équipe ArianeGroup du moteur Promethéus de 120 tonnes de poussée développé pour le compte de l’ESA pour répondre aux besoins de lanceurs réutilisables. Même philosophie pour le stand de tir. Elle décollera sa fusée depuis l’ancienne rampe de lancement de fusées Soyouz du centre spatial guyanais, libre depuis le départ des Russes de Guyane.
L’entreprise s’inspire également des recettes d’Elon Musk pour accélérer ses développements. MaiaSpace s’appuie sur la méthode « tester et apprendre » (try and learn) qui a permis à SpaceX de développer ses fusées réutilisables. “On apprend plus en échouant qu’en restant derrière un ordinateur.” explique Yohann Leroy. Ainsi, dans le hall A37, pour la fabrication du premier étage de son lanceur, les équipes procéderont en trois étapes. Ils concevront successivement deux prototypes qu’ils pousseront dans leurs retranchements avant de réaliser l’exemplaire de vol.
A Vernon, MaiaSpace teste l’étage supérieur de son mini-lanceur.
Et rien de tel que les tests sur le terrain. La filiale ArianeGroup peut profiter pleinement des ressources techniques disponibles à Vernon. Dans l’une des zones d’essais du site, les équipes commencent à tester le mécanisme de séparation entre les deux étages du lanceur. Dans un autre domaine, ils évaluent les moteurs de 3ème étage livrés par différents fournisseurs. Ailleurs, ils reproduisent les opérations au sol de remplissage et de vidange du deuxième étage. « Tous ces tests apportent à nos bureaux d’études des connaissances qui leur permettent de concevoir des prototypes proches du modèle de vol, explique Jérôme Vila, responsable lanceur pour MaiaSapce. La proximité géographique entre la zone d’essais et les ateliers est clé dans notre équation.
Un modèle de développement pour le successeur d’Ariane 6
Sur le plan industriel, MaiaSpace ne va pas copier le modèle ultra-intégré de SpaceX qui fait presque tout lui-même pour fabriquer son lanceur. « En fonction de chaque équipement : le compartiment moteur, l’avionique, les réservoirs… Nous regardons s’il vaut mieux le faire nous-mêmes ou via un partenaire. Aujourd’hui, 40% des coûts sont générés par nos partenaires hors de France en Europe. explains Yohann Leroy.
En revanche, pas question de se voir imposer ses fournisseurs par l’Agence spatiale européenne (ESA) comme c’est le cas pour Ariane 6 ou Vega C. Sous réserve de la règle du juste retour géographique, les chefs de projet respectifs, ArianeGroup et Avio sont obligés de sélectionner des fournisseurs dans les pays qui ont contribué financièrement à leur programme. « Nous choisissons nos partenaires où nous voulons en Europe en fonction de leur compétitivité »assure-t-il.
Pour surmonter cette contrainte, MaiaSpace a pu bénéficier des investissements de ses deux actionnaires clés. Et si l’entreprise va participer au concours organisé par l’ESA dans le domaine des mini-lanceurs, ce n’est pas pour récupérer des fonds mais pour remporter des contrats institutionnels. Safran et Airbus ont déjà financé leur filiale à hauteur de 125 millions d’euros et devraient investir au moins autant en 2025 pour poursuivre son développement.
Avec le secret espoir que ces investissements seront rentables pour le futur successeur d’Ariane 6. « Le futur lanceur lourd européen, s’il s’inspire de nos méthodes, pourrait coûter trois fois moins cher que ses concurrents traditionnels »estime le dirigeant.
Pour produire à plus grande échelle, MaiaSpace souhaite disposer de sa propre usine. Deux sites sont en compétition pour accueillir la « MaiaFactory » : celui de Vernon, qui offre une proximité avec la zone d’essais et de fabrication des moteurs, ou celui des Mureaux, dans le département voisin (Yvelines), où l’assemblage est déjà en cours. la nouvelle Ariane 6. Le choix sera fait d’ici la fin de l’année.