« Sentinel-1 offre de réelles avancées pour les sciences archéologiques »

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« Sentinel-1 offre de réelles avancées pour les sciences archéologiques »

L’amélioration constante des technologies spatiales impacte d’autres disciplines scientifiques, à commencer par l’archéologie. 8 février 2024, la revue Rapports scientifiques a publié une étude rédigée par Florent Michenot, doctorant à CentraleSupélec. Ce dernier s’est ensuite concentré sur l’étude de plusieurs sites en France et en Amérique centrale, à partir des données acquises par le système satellitaire Sentinel-1 dans le cadre du programme européen Copernicus. Sous la direction de Laetitia Thirion-Lefevre, Israel Hinostroza et Régis Guinvarc’h, chercheurs et professeurs à CentraleSupélec, l’équipe a réussi à identifier des structures cachées par la jungle. Un travail minutieux que les quatre universitaires ont accepté de commenter dans un entretien à Futura.

Futura : Pour commencer, je pense qu’il serait intéressant de définir la distinction entre la technologie SAR, que vous exploitez dans votre étude, et la technologie LiDAR.

Laetitia Thirion-Lefèvre : Tous deux avec SAR (radar à ouverture synthétique) et LiDAR (Détection et télémétrie par imagerie laser)), nous envoyons des ondes depuis un appareil en altitude qui se réfractent sur les surfaces en dessous. Nous mesurons le temps nécessaire à ces ondes pour se propager. Ceci est réalisé à l’aide d’un laser pour le LiDAR ou d’ondes radio pour le SAR. Le LiDAR offre une précision de l’ordre du nanomètre pour le LiDAR et de quelques centimètres pour le SAR.

Futura : Observez-vous une variabilité de précision entre les deux technologies ?

Florent Michenot : Les performances du LiDAR sont bien meilleures. La distance entre l’instrument et le sol joue un rôle dans la qualité des données collectées, tout comme la différence d’onde entre le SAR et le LiDAR. Si l’on décidait d’intégrer la technologie Sentinel-1 dans un avion, comme c’est le cas du LiDAR et donc plus proche du sol, la précision serait encore inférieure aux données acquises par laser.

Régis Guinvarc’h : Une différence notable est également le coût de fonctionnement. Utiliser un avion pour la recherche LiDAR coûte très cher. Pour le SAR, ce sont des images gratuites, obtenues dans le cadre du Programme CopernicProgramme Copernic. Un accord entre la Commission européenne et leAgence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) met à disposition des chercheurs une base de données acquise en orbiteorbite par la dyade Sentinel-1.

Futura : Les images fournies par l’ESA sont gratuites, mais engagez-vous des frais supplémentaires pour mener à bien vos recherches ?

Florent Michenot : Notre technique est très économique, ce qui est notamment dû aux images gratuites. Nous payons le traitement et les calculs. Nous pouvons utiliser un service Cloud computingcelui que nous utilisons le plus est le Google TerreGoogle Terre moteur. Vous créez un compte, saisissez des lignes de code et Google effectue les calculs à votre place. Pour le LiDAR, il faut louer l’avion, le matériel, payer le pilote…

Laetitia Thirion-Lefèvre : Le LiDAR est très cher. Une mission aéroportée peut vite coûter plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Régis Guinvarc’h : La technologie SAR permet également de réduire les coûts en permettant d’effectuer des « reconnaissances » sur de vastes zones géographiques. Nous pouvons alors restreindre la zone et pourquoi ne pas expédier avionavion LiDAR et équipes au sol pour obtenir plus de données.

Futura : Espérez-vous parvenir à une complémentarité avec d’autres domaines d’études, en vous penchant sur des domaines inexplorés ou difficiles d’accès ?

Laetitia Thirion-Lefèvre : Il faut garder à l’esprit qu’on ne peut jamais être sûr à 100% de ce qui se trouve en dessous du haut du des arbresdes arbres. Les données obtenues par SAR permettent de déterminer s’il existe des structures, sans toutefois pouvoir s’assurer de l’état des vestiges. Mais si nous déterminons qu’il y a de fortes chances de découvrir des temples cachés par la jungle, il est alors plus logique de déployer le LiDAR. Récemment, l’ESA nous a contactés pour mettre à disposition des données permettant d’observer l’ensemble de l’Amérique du Sud.

Futura : Dans le cas où vous découvrez un site encore inexploré, quelle est la prochaine étape ?

Régis Guinvarc’h : Selon les zones, nous contacterons les archéologues proches. L’objectif est de monter un projet et de débloquer des fonds. C’est évidemment l’un des facteurs les plus importants pour assurer la continuité des travaux.

Laetitia Thirion-Lefèvre : La difficulté est de faire échanger les scientifiques entre eux. Même dans des domaines parfois relativement similaires, les différentes notions et vocabulaires peuvent rebuter. Le dialogue peut donc prendre du temps.

Futura : Pensez-vous que l’essor de ces technologies pourrait redonner un nouveau souffle aux sciences archéologiques ?

Laetitia Thirion-Lefèvre : Nous pouvons réaliser un gigantesque travail de pré-recherche, permettant de réduire le champ de recherche des archéologues à l’aide de ces technologies. Mais nous ne remplaçons pas le travail de terrain qu’ils effectuent sur les chantiers de fouilles.

Régis Guinvarc’h : Nous devons être en dialogue permanent avec les archéologues, déjà pour établir ce que nous devons rechercher. Ce sont les archéologues qui nous indiqueraient les éléments que nous pourrions rechercher. Il convient de rappeler que notre domaine d’expertise n’est pas l’archéologie.

Futura : C’est donc forcément une collaboration interdisciplinaire ?

Laetitia Thirion-Lefèvre : Si on étudie la surface de la Terre avec Copernicus, on est bien plus efficace en travaillant avec des spécialistes de l’environnement par exemple ! Notre projet était de détecter les sites d’orpaillage grâce à Sentinel-1 : il fallait alors discuter avec des urbanistes ou des militaires pour avoir une idée des bâtiments et structures construits par les orpailleurs.

Israël Hinostroza : Nous sommes confrontés à de grandes variations concernant la signature électromagnétique des structures détectées par Sentinel-1. Les collaborations avec les communautés scientifiques sont donc essentielles, sans lesquelles nous ne pourrions exploiter les données.

Futura : Combien de temps vous faut-il pour étudier un site comme Lamanai, au nord du Belize ?

Florent Michenot : Quand je sais où se trouve le site, ça peut être très rapide. Pour télécharger les images, cela peut prendre environ une heure. Le prétraitement dure une demi-journée et le traitement dure une seconde demi-journée. Je dois ensuite essayer de déterminer si des bâtiments sont détectables, tâche facilitée par le Moteur Google Earth. La complexité consiste à faire la distinction entre le relief du terrain et les structures artificielles.

Futura : Envisagez-vous de vous déplacer sur site après une détection ?

Laetitia Thirion-Lefèvre : Nous privilégions la visite des sites observés par Sentinel-1. Cela nous permet de comprendre le travail de terrain. Et surtout, nous pouvons déterminer quels éléments provoquent des approximations ou des erreurs. L’image radar ne peut pas être interprétée comme une image optique et nous apprenons beaucoup de nos erreurs.

Régis Guinvarc’h : Nous travaillons avec Ressources naturelles Canada (RNCan) sur les forêts boréales canadiennes. Nous avons déjà visité le site pour analyser la topographie et la répartition des espècesespèces. Nous établissons ainsi un dépôtdépôt que nous utiliserons lors des travaux suivants.

Futura : Vos travaux ne remplaceront pas les recherches menées par les archéologues sur le terrain ?

Laetitia Thirion-Lefèvre : Comme je l’ai dit précédemment, nous ne remplacerons jamais les experts de terrain, qui peuvent observer et analyser les éléments en temps réel. Chacun a son propre domaine de spécialité.

Régis Guinvarc’h : S’il est facile d’obtenir des cartes, de formuler des hypothèses et d’établir des algorithmes, c’est beaucoup plus difficile de valider cela. C’est critique et prend du temps. La vérité terrain s’obtient en fouillant dans les archives à la recherche d’œuvres archéologiques, ou en communiquant avec les archéologues présents sur place. Le programme Copernicus et la technologie SAR sont ainsi d’utilité publique et permettent véritablement une collaboration scientifique à grande échelle entre de nombreuses disciplines !

Entretien par Dorian par SchaepmeesterDorian par Schaepmeester

 
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