« Chacun a la capacité de se dépasser mentalement et physiquement »

« Chacun a la capacité de se dépasser mentalement et physiquement »
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ENTRETIEN.- Peut-on pénétrer dans le cerveau d’autrui pour s’inspirer de son fonctionnement cognitif ? Oui, si l’on en croit le dernier livre de la neuropsychologue Sylvie Chokron.

Croyez-vous toujours que vous ne pouvez utiliser que 10 % de vos capacités cérébrales et pensez-vous que certains cerveaux fonctionnent tout simplement mieux que d’autres ? Ce n’est pas ainsi. Et Sylvie Chokron, neuropsychologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), est bien décidée à vous le prouver. Après 30 ans d’étude du cerveau, le scientifique est récemment parti à la rencontre de 16 personnalités toutes plus différentes les unes que les autres, possédant chacune une compétence ou un trait de caractère particulier. De ses entretiens avec, entre autres, le pianiste André Manoukian, la reporter de guerre Anne Poiret, l’astronaute Jean-François Clervoy et l’ancien athlète Edgar Grospiron, est né Dans le cerveau de… (1), une mine d’informations sur des cerveaux qui semblent – ​​à première vue – hors du commun.

Le scientifique prône la « neurodiversité ». « En demandant à plusieurs personnes de faire un calcul pour obtenir le nombre 10, certains additionneront 5+5, d’autres 8+2, d’autres encore 6+4 », souligne d’emblée le neuroscientifique. Cela prouve clairement que face à une situation, plusieurs cerveaux peuvent arriver au même résultat de manière très distincte, sans mise à l’échelle. Son objectif ? Démontrer qu’en comprenant le fonctionnement de chaque cerveau, il est possible de mieux comprendre nos propres capacités cognitives.

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Madame Figaro.- Vous étudiez le cerveau depuis plus de 30 ans. Qu’avez-vous appris de ces rencontres ?
Sylvie Chokron.- Ce dont je suis convaincu aujourd’hui, c’est que chaque cerveau est unique et a beaucoup à nous apprendre. Et s’intéresser à différents fonctionnements peut être un allié majeur pour réfléchir à nos propres comportements individuels mais aussi plus collectifs. Par exemple, j’ai longtemps cru que pour devenir astronaute, il fallait avoir un QI supérieur à la moyenne et réussir des tests de performance extrêmement élevés. En réalité, ma discussion avec l’astronaute et ingénieur Jean-François Clervoy m’a appris que l’efficacité d’une navette spatiale dépendait d’une équipe composée de personnes aux compétences très différentes. Finalement, ce qui nous différencie des robots, c’est notre capacité à faire preuve d’une certaine forme d’intelligence collective. Sans oublier que comprendre le fonctionnement cognitif des autres peut aussi nous inspirer.

Avez-vous notamment découvert que tout le monde pouvait adopter la mentalité d’un athlète ?
Chacun a en lui la capacité de se dépasser mentalement, intellectuellement et même physiquement. Nous ne pouvons pas imaginer à quel point notre cerveau prend des décisions à notre place et peut donc nous empêcher de faire des choses. Cela s’explique par des « boucles inhibitrices », des circuits cérébraux situés notamment dans le lobe frontal et qui inhibent tel ou tel comportement afin de nous protéger. En discutant avec l’ancien skieur acrobatique et champion olympique Edgar Grospiron, j’ai compris qu’il était possible de lever cette inhibition pour parvenir au dépassement. Pour ce faire, il est nécessaire de se fixer des objectifs à la fois réalisables et challengers et avoir une motivation interne (vouloir prouver sa force, par exemple) ou externe (un prix ou une récompense).

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Se dépasser demande du courage. Alors chacun de nous peut-il le démontrer ?
Absolument. Les gens qui nous paraissent courageux ont en fait tout fait pour ne plus avoir peur. C’est ce que j’ai pu confirmer auprès de l’aventurière et philosophe Blanche de Richemont et de la reporter de guerre Anne Poiret. Avant une exploration seul dans le désert ou un reportage dans une ville en conflit, tous deux se préparent à toute éventualité et automatisent leurs gestes et leurs réactions. En étant ainsi aguerris, ils parviennent à apprivoiser la peur. Tout se passe dans le cerveau : la peur active l’amygdale, une région impliquée dans la gestion de nos sentiments émotionnels. Intellectualiser l’événement qui pourrait nous effrayer et se préparer à y faire face permet de réduire l’activité de l’amygdale et donc la peur. La recherche a également montré le pouvoir de la méditation. En le pratiquant régulièrement, nous pouvons contrôler notre respiration, nos réactions et notre attention. Face à une situation stressante, nous serons moins enclins à paniquer.

Comprendre le fonctionnement de notre cerveau semble être essentiel pour gérer nos émotions…
Evidemment et le témoignage du pianiste André Manoukian le prouve. Le musicien a expérimenté le puissant effet de la musique sur notre cerveau. Il a grandi avec un piano à la maison qui apportait douceur et paix à sa famille et permettait à chacun d’échapper aux horreurs vécues lors du génocide arménien. En neurosciences, les bienfaits de la musique sur nos processus cognitifs sont largement prouvés. Il favorise les capacités attentionnelles, de mémoire et de raisonnement, tout en réduisant le déclin cognitif. Sur le plan émotionnel, cela permet également de ressentir et de digérer les événements de la vie. Par exemple, écouter une chanson triste quand on est triste permet d’exprimer cette émotion et de s’en débarrasser. Tout cela nous permet de faire une nouvelle fois le point sur la plasticité de notre cerveau.

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Dans le cerveau de…de Sylvie Chokron, Les Presses de la Cité, 288 pages, 19,90 €.
Service de presse des Presses de la Cité

Est-il possible de modifier notre fonctionnement en s’inspirant de celui des autres ?
Absolument. Le cerveau est un organe intrinsèquement flexible, il change constamment et établit de nouvelles connexions neuronales jusqu’à la fin de la vie. C’est pourquoi j’encourage l’apprentissage. En observant les relations des autres avec peur, créativité ou dépassement de soi, on peut se mettre au défi de changer nos habitudes pour faire les choses différemment. Plus nous tentons de nouvelles expériences, physiques ou intellectuelles, plus nous créons de nouvelles voies cérébrales. On peut s’approprier le mode de fonctionnement d’un autre individu. L’essentiel est de faire confiance à ses capacités cognitives, tout en se laissant surprendre par ce que notre cerveau est capable de nous faire vivre.

(1) Dans le cerveau de…de Sylvie Chokron, Les Presses de la Cité, 288 pages, 19,90 €.

 
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