La légende de la boxe Mohamed Ali a passé Noël en Suisse. Image : Getty
Le plus grand boxeur de tous les temps arrive à Zurich fin 1971 pour affronter l’Allemand Jürgen Blin au Hallenstadion. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.
25.12.2024, 18h5025.12.2024, 19:03
Le champion porte une veste en cuir et des bottes usées. Il descend les escaliers de l’hôtel Atlantis Sheraton le jour de Noël. Dans le hall d’accueil, Eric Bachmann, photographe en mission pour le magazine Elle+Ill’attendant. Il souhaite accompagner Mohamed Ali lors de son entraînement matinal. Étonnamment, la grande gueule de la boxe s’avère simple. « Ali était sympathique, pas du tout arrogant », se souvient Bachmann.
Ali s’enfuit alors vers les pentes enneigées de l’Üetliberg, accompagné d’Eric Bachmann. Le photographe se donne à fond et immortalise chaque instant. Les photos ont ensuite pris la poussière dans ses archives personnelles pendant des décennies. Il est désormais possible de les admirer dans le livre illustré Muhammad Ali, Zurich, 26 décembre 1971.
Ce Saint-Etienne, la superstar américaine affronte l’Allemand Jürgen Blin au Hallenstadion.
De whisky miser
Comment la légende de la boxe est-elle arrivée à combattre en Suisse ? L’histoire s’apparente à un roman policier. Le point de départ : un pari au Playboy Bar de Zurich. Le promoteur Hansruedi Jaggi joue une bouteille de Ballantine’s avec le journaliste de Cliquez Jack Stark. Il est certain de pouvoir faire venir Cassius Clay, puis Mohamed Ali, à Zurich.
Le boxeur Jürgen Blin (au centre) pose avec son manager Fritz Wiene (à gauche) et Hansruedi Jaggi (à droite).image : clé de voûte
Jaggi, 30 ans, ne mesure pas plus de 1m60. Sa silhouette est néanmoins imposante. Issu d’un milieu modeste, il s’est fait connaître en organisant deux concerts mythiques. Celle des Rolling Stones au Hallenstadion en 1967, quand les fans se révoltaient et détruisaient tout, et celle de Jimi Hendrix au même endroit, peu avant l’émeute du Globus, l’épisode zurichois des événements de 1968.
Signer Ali n’a pas été une mince affaire. Ce n’est que grâce à l’ami de Jaggi, Rock Brynner, fils de la star Yul Brynner d’origine suisse, que le projet a vu le jour. Le boxeur se retrouve alors à un moment difficile de sa carrière. Il vient de sortir d’une suspension de plusieurs années suite à son refus de servir dans l’armée américaine et a perdu le « combat du siècle » contre le champion du monde Joe Frazier en mars.
Pieds dans la neige
Le 15 décembre 1971, le champion et sa famille arrivent à Kloten avec une cinquantaine de personnes, avant de mettre le cap sur Zurich. Comme mentionné précédemment, il s’est basé à l’Atlantis Sheraton, mais s’est entraîné à l’hôtel Limmathaus, où un ring de boxe a été installé dans le théâtre. Peu de temps après son arrivée en ville, il décide spontanément d’acheter des chaussures pour remplacer ses vieilles bottes usées.
Ses pieds étaient mouillés par la neige.
Le boxeur et son entraîneur Angelo Dundee se rendent au magasin « Schönbächler » de la Langstrasse. Une seule paire de chaussures est disponible en taille 47. Un modèle beige de la marque Raichle, aujourd’hui Mammut. Il les achète avec un chapeau ou plutôt les emporte avec lui. Mohammed Ali n’a pas d’argent sur lui. La maison Ringier, qui imprime exclusivement les photos de Bachmann, se chargera de régler la note un peu plus tard.
Personne ne veut combat
L’argent est en réalité un véritable sujet. Le promoteur Hansruedi Jaggi a été moqué pour son pari. Lorsque se profile l’arrivée de Mohamed Ali, tout le monde s’enthousiasme. Mais finalement les recettes ne sont pas là. Jaggi veut commercialiser l’athlète et en faire un support publicitaire.
Mais il n’a droit qu’à deux séances de dédicaces dans un centre commercial récemment ouvert.
Les chiffres ne sont guère meilleurs du côté des droits TV. L’adversaire d’Ali, Jürgen Blin, n’est personne aux Etats-Unis. C’est pourquoi aucun diffuseur américain ne souhaite diffuser le combat. Même chose en Allemagne. Les chaînes ne souhaitent pas proposer à leur public de la boxe le lendemain de Noël. La télévision suisse s’excuse en affirmant qu’elle ne dispose pas des ressources nécessaires en raison de la Coupe Spengler à Davos. Au final, seule la chaîne privée britannique ITV retransmettra le combat en direct, déboursant à peine 11 000 livres.
Le combat entre Ali et Blin était à sens unique. Victoire par KO pour l’Américain.Image : PHOTOPRESS-ARCHIV
La vente des billets a également été un échec. Le dimanche 26 décembre au soir, des stars du sport telles que Bernhard Russi, Clay Regazzoni, Ferdi Kübler et Ruedi Hunsperger sont assises près du ring. La présentatrice de télévision Mäni Weber présente le combat.
Cependant, seuls 6 361 billets ont été vendus et le stade couvert semble à moitié vide.
Catastrophe financier
Comme prévu, le combat est à sens unique. Jürgen Blin tente de compenser son infériorité par des attaques fulgurantes. Ali laisse les coups rebondir sur lui. Et quand Blin est épuisé, au septième round, le champion l’envoie voler sur les planches.
Après son passage à Zurich, qui n’était pour lui qu’une formalité, Mohamed Ali a continué d’enchaîner de nouveaux succès. Il deviendra plus tard double champion du monde. Mais pour Hansruedi Jaggi, son « idée folle » s’est soldée par un désastre financier. La perte de 800 000 francs est bien supérieure à ce qu’on craignait. Il ne s’en est sorti que grâce à l’industriel allemand et passionné de boxe Bernd Grohe qui a discrètement remboursé ses dettes.
Ali a mis fin au combat au 7ème round.
Image : CLÉ DE CLÉ
Cette aventure et bien d’autres épisodes sont relatés dans la biographie de Hansruedi Jaggi, décédé en 2000 à l’âge de 59 ans d’une paralysie musculaire incurable. Cependant, le livre écrit par le journaliste Eugen Sorg n’a jamais été publié. Les droits étaient détenus par la veuve de feu Jaggi et elle s’est toujours opposée à la libération.
La situation est également confuse avec le documentaire de 45 minutes intitulé Le papa le plus méchant du monde entiertourné par le cinéaste Ernst Bertschi lors du séjour de Mohamed Ali à Zurich. L’œuvre a été bien présentée à un petit groupe d’invités. Mais les projections publiques sont impossibles, car personne ne sait vraiment à qui appartiennent les droits.
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