« La place du Royaume dans l’équipe régionale s’explique par la définition d’une véritable projection stratégique »

« La place du Royaume dans l’équipe régionale s’explique par la définition d’une véritable projection stratégique »
« La place du Royaume dans l’équipe régionale s’explique par la définition d’une véritable projection stratégique »

Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’études des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), fondateur et directeur de l’Institut Tombouctou-Centre africain d’études sur la paix, où il coordonne l’Observatoire du radicalisme et des conflits religieux en Afrique. Après Islam et diplomatie, la Politique africaine du Maroc (2011), il publie, entre autres, Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale (2015) ou Les contestations islamisées, Le Sénégal entre diplomatie d’influence et islam politique (2018). Dans cet entretien accordé à Maroc Hebdo, le docteur en Sciences politiques à l’IEP de Lyon revient sur son livre, « Maroc africain, Trajectoires d’ambition continentale », dans lequel il est question de la politique africaine du Maroc et de son influence croissante sur le continent. .

Le Maroc et l’Afrique cultivent des relations fraternelles et amicales. Est-ce une ancienne tradition marocaine ?
Le Maroc est historiquement et géographiquement indissociable de la région subsaharienne. C’est une relation profondément enracinée dans un terroir fait de partage d’une histoire commune. Cela n’est pas seulement dû à une longue tradition marocaine, mais plutôt au fruit d’une interaction vieille de plusieurs siècles. Il y a, à la fois, la spécificité marocaine au sein des pays du Maghreb où il se distingue des autres par une africanité assumée mais aussi le fait que l’orientation africaine du Maroc n’est pas une simple option diplomatique mais relève aussi d’une parfaite conscience de ses contraintes géopolitiques.

Dans la diplomatie marocaine, il y a toujours eu une forme d’institutionnalisation des relations personnelles, notamment sous l’ère Hassan II au point que les changements successifs de leadership politique sur le continent n’ont jamais pu affecter la qualité des relations avec les pays qualifiés d’alliés. De ce fait, le Roi Mohammed VI n’a eu aucune difficulté à raviver les relations historiques établies depuis des décennies.

L’influence du Maroc en Afrique est-elle significative ? Et comment s’exprime-t-il ?
L’Afrique subsaharienne constitue l’espace naturel de déploiement du Maroc. Le roi Hassan II le disait déjà dans les années 1980, précisant que si le Maroc était un arbre, ses racines seraient en Afrique même si ses branches pourraient s’ouvrir vers la Méditerranée. Le Maroc a su profiter de son ancrage historique sur le continent pour s’appuyer sur des ressources symboliques allant de la religion aux relations humaines. C’est ce qui lui a permis de bâtir une relation résiliente sur le continent malgré les aléas diplomatiques comme son départ de l’Union africaine en 1984.

Le Maroc, à travers la force des relations personnelles construites par ses souverains successifs avec les dirigeants du continent, a su consolider une stratégie de bilatéralisme sélectif avec des pays comme le Sénégal, le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire entre autres. Le rayonnement du Maroc a largement bénéficié de sa capacité à convertir son capital symbolique (basé essentiellement sur la diplomatie religieuse) en capital politique et diplomatique. Le positionnement stratégique du Maroc comme « puissance pont » entre l’Afrique et l’Europe et surtout la vision et l’action du Roi Mohammed VI dans la promotion de la coopération Sud-Sud ont érigé ce pays comme la maîtresse d’une Afrique nouvelle en pleine renégociation de ses relations avec le Maroc. le reste du monde.

Pourquoi le Maroc est-il un acteur clé dans la région ?
La place du Royaume dans l’équipe régionale s’explique par la définition d’une véritable projection stratégique. Déjà, sous le Roi Hassan II, on parlait de Vision Maroc 2010. L’arrivée sur le trône chérif du Roi Mohammed VI marque un tournant dans la matérialisation d’une vision continentale bâtie sur une stratégie d’alignement des secteurs et l’esprit d’échanges mutuellement profitables. .

Ce que Hassan Narciri, ambassadeur du Maroc au Sénégal, appelle l’esprit gagnant-gagnant ainsi qu’une option africaine irréversible qui aura marqué les 25 ans de règne du roi Mohammed VI à la tête du Maroc et son image en Afrique subsaharienne. C’est tous ces facteurs réunis qu’il faut conjuguer avec la conscience partagée des pays africains de la nécessité de diversifier les partenariats économiques pour mieux comprendre la place importante du Maroc sur le continent. Aujourd’hui avec l’initiative atlantique visant le désenclavement des pays du Sahel, les provinces du sud du Royaume considérées comme un modèle de développement local sur le continent vont retrouver une place plus que stratégique dans l’économie et les nouvelles routes de l’énergie, notamment avec le Gozoduct Maroc-Nigeria.

Sept ans après le retour du royaume au sein de l’Union africaine, le poids du Maroc s’est-il renforcé ?
L’un des tournants contemporains les plus importants de la diplomatie marocaine est son retour au sein de l’Union africaine. Il est vrai que le début du règne du roi Mohammed VI avait déjà donné un élan à cette politique africaine volontariste dont les fruits ont largement contribué à ce tournant réaliste et pragmatique qu’a été le retour définitif du Maroc au sein de l’Union africaine. Comme vous le savez, ce retour a été consacré lors du 28ème Sommet de l’Organisation Panafricaine à Addis Abeba où le discours royal a été particulièrement teinté d’émotion avec cet extrait désormais mémorable.

Entendre le roi du Maroc dire « Il est beau le jour où nous rentrons chez nous après une trop longue absence ! » Qu’il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers la maison qu’on aime ! L’Afrique est mon continent et ma maison » a fortement influencé, au-delà du leadership politique, l’opinion publique africaine. Mais, au-delà des arguments du Maroc sur ce retour au sein de l’instance panafricaine, les dirigeants politiques africains y voient avant tout un retour à la normalité historique compte tenu du rôle du royaume dans la naissance de l’OUA avec le groupe dit de Casablanca. . L’Afrique ne pourrait pas progresser vers son intégration sans le Maroc. Ce retour a donc été vu comme la consécration de longues années d’efforts diplomatiques à travers le continent et qui a fini par être interprété comme une réponse à un besoin de consolidation de la construction africaine qui se ferait avec la contribution du Maroc et de son Souverain.

Pourquoi avoir choisi d’écrire « Le Maroc africain, trajectoires d’ambition continentale » ?
Mon premier travail sur le Maroc date de la fin des années 1990. J’avais besoin de les consolider et de les mettre à jour. Lorsque j’ai publié mon livre sur la politique africaine du Maroc, nous étions loin d’imaginer cet événement qui constitue l’une des plus hautes réalisations de la diplomatie marocaine : le retour à l’Union africaine. Avec ce retour, l’option africaine devient « irréversible » pour le Royaume chérifien sous le règne du roi Mohamed VI. Il était pour moi nécessaire de revenir sur ces relations dont la symbolique échappe aux jeunes générations qui ont découvert l’Afrique comme une simple opportunité d’affaires en ignorant toute la charge symbolique.

Et puis, depuis ces recherches menées au Maroc, l’ordre international fragmenté a accru l’importance des États, comme le Maroc, qui pourraient assurer la fonction de « puissance pont » qui a largement facilité tant la géopolitique que la géoéconomie dans un monde qui conserve encore une certain besoin d’interdépendance. Le Maroc semble bien conscient de cette nouvelle donne et met en avant sa position géographique ainsi que sa capitale symbolique comme la porte par laquelle il faut désormais entrer sur le continent. Ce travail vise à démêler les dynamiques internes, continentales et mondiales qui structurent le projet africain de Rabat.

Pourquoi la puissance du Maroc en Afrique est-elle peu valorisée par les médias, les chercheurs occidentaux et africains ? Je pense mettre en avant des puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie ou la France.
Longtemps inscrite dans une tradition séculaire façonnée par les échanges culturels et religieux entre les deux rives du Sahara, la diplomatie africaine du Maroc a puisé dans cette tradition les éléments d’un « soft power » qui devait faciliter la progression diplomatique et économique de Rabat sur le continent. . Mais le contexte africain changeant, marqué par les changements géopolitiques et l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Turquie, le Qatar, l’Inde etc. impose au Maroc, tout en restant dans la continuité, de s’adapter voire de se réinventer et d’aligner sa stratégie sur son nouvel agenda continental.

Mais la tradition universitaire occidentale, longtemps inscrite dans une géopolitique de rupture et de distinction entre le Nord et le Sud du Sahara, semble avoir été prise de court par la recomposition des ensemble ainsi que par la capacité du Maroc à se projeter, à travers l’innovation, vers un avenir africain conçu par la vision du Roi Mohammed VI et qui sait concilier les impératifs du présent et la nécessité de puiser dans son passé commun avec l’Afrique subsaharienne toute l’énergie de sa renaissance.

Comment voyez-vous le rôle du Maroc dans la prochaine décennie sur le continent ?
« Le monde est vieux mais l’avenir émerge du passé » disent les sages du Mali. Le Maroc pourra encore compter sur les racines historiques d’une relation durable mais devra faire face à une nouvelle génération de dirigeants africains décomplexés envers l’Occident et sans lien avec ce passé. De la même manière, la génération actuelle de Marocains qui découvrent presque le continent devra s’adapter à la réalité d’une Afrique qui, par le jeu de nouvelles interdépendances, cherchera à sortir du jeu de la manière la plus pragmatique. J’ai appris d’Alioune Guèye, le fondateur d’Afrique Challenges, que malgré la force des « liens », il ne faut pas négliger les risques que va engendrer la concurrence autour des « biens ».

Tout l’enjeu est de savoir travailler aussi bien au nord qu’au sud du Sahara, de manière à ce que le « bien » ne détruise pas le « lien ». Il y a aussi la question migratoire qui pourrait rendre cette relation plus complexe. Mais on peut rester optimiste quant à la capacité de réinvention de cette relation dont le socle historico-culturel est si solide qu’il défie le temps et les changements politiques. Comme le dit Abdou Soulèye Diop, il faut de l’ambition et des économies solides et interconnectées pour donner corps à cet esprit de coopération Sud-Sud.

Pourquoi la politique africaine du Maroc est différente de celle des autres puissances émergentes. Notamment en termes d’approche. Une approche qualifiée de bienveillante et constructive par les experts ?
Il semble, à bien des égards, que les diplomates marocains sur le continent intègrent cette spécificité des relations dans leur action quotidienne liant soutien institutionnel au développement des entreprises marocaines au sud du Sahara et promotion d’un modèle de réussite économique incarné par le Royaume. Dans le cadre de cette vision, l’ambassadeur du Maroc au Sénégal, Hassan Naciri, évoque cette histoire de « modèle marocain » qui constitue selon lui le fruit de la politique volontariste de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Mais à observer de près la stratégie marocaine de conquête des marchés du continent, il semble y avoir un alignement de tous les secteurs, du transport aérien aux institutions financières, parmi lesquelles les banques sont les plus visibles.

Des caravanes commerciales transsahariennes au soft power actuel, en passant par les réseaux Tijaniyya et la promotion d’un modèle islamique unifiant les deux rives du Sahara, le Maroc semble maintenir l’équilibre de l’ouverture à travers la Méditerranée et s’enraciner au sud du Sahara. . Aujourd’hui, à travers une stratégie visant à devenir une « puissance moyenne » et un sous-traitant obligé de la pénétration de l’Afrique par d’autres puissances et acteurs, le Royaume apparaît de plus en plus, au sud du Sahara, comme un protagoniste parmi d’autres dans le grand jeu de puissance. et l’influence qui s’exerce sur le terrain africain.

 
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