PORTRAIT – Popularisé par Emilie à Paris et sublime dans Prodigieux, l’actrice révèle toute l’étendue de son talent.
Un rôle dans une série phénomène est une bénédiction et une malédiction. Il propulse autant qu’il marque avec un sceau. Il suffit pourtant d’une journée avec Camille Razat, et d’un peu de curiosité, pour comprendre l’étendue de son univers : si elle aime la mode, la jeune trentenaire est aussi accro aux jeux vidéo, pratique la boxe et se passionne depuis les films de Yórgos Lánthimos, Ruben Östlund ou Andrea Arnold. Emilie à Paris ce n’est pas sa vie.
« Le label Emily ne me dérange pas du tout et m’a ouvert un nombre fou de portes. Mais la série s’inscrit dans une réalité augmentée, fantasmée, et implique un jeu presque grandiloquent. C’est tout le contraire du cinéma d’auteur français, et ça joue parfois contre moi : les directeurs de casting ne veulent plus me voir. Mais je garde le cap, et j’ai la chance que certains pensent au-delà des préjugés.
Les réalisateurs Valentin et Frédéric Potier ont eu raison de la percevoir comme une tragédienne et une travailleuse acharnée plus que comme une influenceuse de mode. Dans Prodigieux, Camille Razat et Mélanie Robert incarnent deux musiciens inspirés par les jumeaux Pleynet, prodiges du piano dont l’ascension fut stoppée par une maladie orpheline qui les toucha l’un après l’autre. Refusant un avenir sans musique, ils inventent une technique leur permettant de jouer à quatre mains, en partageant les partitions.
« Le monde classique n’est pas le mien, j’écoute plutôt du rap, et je ne suis pas musicien. Je repartais de zéro. J’avais une doublure, mais j’ai suivi huit mois de formation avec la coach Claire Viain pour apprendre les chorégraphies de mains. La préparation est d’autant plus agréable qu’elle et son compagnon sont amis depuis dix ans. Une heureuse coïncidence de casting.
Mettre en lumière les femmes
« Ce qui m’a frappé dans ce film, c’est le jeu de miroirs, entre les sœurs, entre Mélanie et moi, entre les réalisateurs qui sont père et fils. C’est aussi une histoire lumineuse sur la résilience et l’espoir, qui pose ces questions essentielles : que se passe-t-il lorsque la santé vous prive de votre raison de vivre ? Comment transcender la douleur ? La sororité est l’une des réponses ici et, dans un monde aussi individualiste, je trouve important de valoriser l’entraide et l’émulation. La notion de collectif lui est chère. Il y a deux ans, Camille Razat fonde Tazar, une société avec laquelle elle réalise des courts métrages, des publicités et des clips.
« Le métier d’acteur est assez solitaire, vous attendez toujours que le téléphone sonne, vous êtes disponible. Je voulais être une force motrice, m’impliquer auprès de gens dont j’admire le talent et les perspectives. Ce qui est naturellement inclusif. « Mettre les femmes en valeur dans les histoires que nous racontons ou dans nos équipes est essentiel : je suis entourée de brillantes réalisatrices et chef opérateur. Mais la parité est l’équilibre. Je veux aussi porter les voix des hommes qui m’intéressent, et les voix de tous ceux qui se trouvent entre les deux. »
Elle a par exemple réalisé un court métrage sur l’avortement, soutenu des films en wolof, russe, anglais ou français pour représenter tous les visages du monde et, via son propre label de musique Soupire Records, accompagne Gennre, un groupe au rayonnement significatif. nom établi par des proches. Elle a également écrit son premier court métrage avant de passer au long métrage. Une manière, peut-être, d’ouvrir les yeux sur sa créativité et ses envies ? « Ce n’est en aucun cas la raison d’être de Tazar, mais être proactif dans sa carrière ne peut pas faire de mal. En France, on a l’habitude de mettre les gens dans des cases, et je refuse de me laisser enfermer. Je veux jouer des personnages qui m’aident à évoluer en tant qu’actrice et en tant qu’être humain.
Dans Les disparus de la gare, Mini-série Disney+ réalisée par Virginie Sauveur, elle sera l’enquêtrice en charge de l’affaire Jacques Rançon, le tueur de la gare de Perpignan qui a violé et assassiné des jeunes filles avant de leur enlever les seins et les parties génitales. A suivre également, Nero, une série d’anticipation médiévale pour Netflix dans laquelle elle incarnera une sorcière aux côtés de Pio Marmaï. «Je ne fais mes choix que lorsque je tombe amoureux, pas parce qu’il y a un chèque ou un tel au casting. La peur est aussi mon moteur. Je privilégie le défi au confort, qui présente un risque de répétition et de lassitude. »
Ce baromètre a toujours été le sien : Camille Razat accueille à bras ouverts tout ce que la vie met sur son passage. Mannequin depuis l’âge de 2 ans, elle rêvait d’être reporter de guerre dès son adolescence. Mais à 18 ans, elle tombe sur une publicité Facebook pour le Cours Florent et décide de s’y essayer sur un coup de tête, pour découvrir, sortir de sa pudeur naturelle.
« Enfant, j’adorais me déguiser, faire des spectacles avec mes amis, mais jouer le métier n’était pas une vocation. Je ne viens pas non plus d’une famille d’artistes (son père travaille dans l’aéronautique, sa mère est sophrologue, NDLR). C’est en faisant, en travaillant, que je suis tombé amoureux de ce métier, que j’ai trouvé ma vocation. Ma voix aussi.
Un agent l’a repérée grâce à Shérazade Benaddi, directrice de casting au lycée. Très vite, Camille décroche des rôles à la télé et au cinéma (Rock’n’roll, de Guillaume Canet, L’amour est une fête, avec Canet et Gilles Lellouche, 15h17 pour Paris, par Clint Eastwood). Avec Le vieux juif blond, elle ose se lancer en solo, un exercice vertigineux et exigeant qui, à seulement 24 ans, illustre déjà son courage et sa profondeur. « J’étais obsédée par ce texte d’Amanda Sthers depuis le Cours Florent. Cette expérience était éducative et passionnante. Et douloureux, parce que seul.
Lors de notre balade parisienne, elle cite naturellement le Théâtre des Mathurins comme pierre angulaire de son parcours, avant de nous guider vers les autres lieux de la capitale qu’elle chérit. « A Montberon, près de Toulouse, je rêvais de Paris. C’était Disneyland pour moi. Aujourd’hui, c’est ma maison. J’aime la richesse culturelle de cette ville, mais aussi sa dureté dans les relations humaines. Je préfère ça à la superficialité, à faire semblant. Mais j’ai grandi à la campagne et il ne manque qu’une chose : un point d’ancrage à proximité pour mieux respirer de temps en temps, et se déconnecter de ce quotidien énergivore.
Prodigieuxby Frédéric and Valentin Potier, with Camille Razat, Mélanie Robert, Isabelle Carré…
Emilie à Parissaison 4, sur Netflix.