Hamza Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, entre trahisons et falsifications

En 1957, la mosquée de Paris devient un enjeu clé pour l’État français dans sa stratégie d’influence sur les populations musulmanes. Sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur François Mitterrand, Hamza Boubakeur a été nommé recteur, une désignation controversée et contestée. Pour consolider cette mainmise, le nouveau recteur supprime l’association des Habous, propriétaire légitime de la mosquée, et la remplace par l’association des amis de la mosquée de Paris, offrant ainsi le bâtiment à l’État français.

Ce geste s’inscrivait dans une stratégie plus large visant à affirmer une appropriation coloniale de la mosquée, déjà initiée en 1954. A cette époque, les autorités françaises avaient interdit de prier au nom du sultan Mohammed V, alors en exil à Madagascar. Malgré cette interdiction, les prières pour Mohammed V se poursuivirent jusqu’en 1957, provoquant des manœuvres pour mettre fin à cette tradition. Un rapport daté du 1er novembre 1957, orchestré par un responsable du personnel algérien, accusait injustement l’Imam Maati Achour de maintenir un Maroc indépendant :

Ce rapport, soutenu par le recteur Boubakeur, visait à présenter la mosquée comme une œuvre strictement française et à gommer tout lien avec le Maroc. Même avant l’indépendance de l’Algérie, des agents algériens étaient à l’œuvre pour effacer l’héritage marocain de la mosquée de Paris.

Hamza Boubakeur : un futur président à qui la « République sahraouie » est promise

Avant de prendre les rênes de la mosquée, Hamza Boubakeur a joué un rôle central dans les projets coloniaux français au Sahara. Député du département de la Saoura, il fut un fervent défenseur de l’organisation commune des régions sahariennes (OCRS), entité créée par la en 1957 pour contrôler les ressources sahariennes. En récompense de ses efforts pour rallier les tribus sahariennes à ce projet, on lui promet la présidence d’un “République sahraouie”. Cette entité aurait compris les territoires de sa propre tribu, les Ouled Sidi Cheikh, ainsi que ceux des Hamyan, Doui-Meniaa et Châambas.

Cependant, ces territoires, historiquement marocains selon les archives marocaines, ottomanes et françaises, ont fait l’objet de contestations. Les autorités coloniales elles-mêmes reconnaissaient que la région de la Saoura était marocaine avant 1901. Même le chef-lieu de la tribu des Boubakeur, El Bayadh (anciennement El Biodh), appartenait à l’ouest marocain selon le traité de Lalla Maghnia signé en 1845.

La promesse d’une présidence saharienne ne s’est jamais concrétisée. En compensation, Hamza Boubakeur a été nommé recteur de la mosquée de Paris. Mais cette nomination, qualifiée de frauduleuse, a été vivement critiquée. Une lettre du ministère marocain des Affaires étrangères a dénoncé cette manipulation, renforçant les tensions entre la France, le Maroc et les populations sahariennes.

je t’écris…tindouf

Un échange de courrier a même lieu entre Hamza Boubakeur et le Caïd de Tindouf, Abdellahi Ould Senhouri, à partir de 1958. Dans une des correspondances, le recteur de la mosquée promet à Ould Senhouri, ainsi qu’aux membres du Conseil du Sahara un … un salaire fixe ! Il souligne qu’il attend l’accord des autorités compétentes pour adopter la proposition.

La mosquée de Paris : un outil de propagande coloniale

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Une fois au pouvoir, Hamza Boubakeur n’a cessé d’effacer les liens historiques entre la Mosquée de Paris et le Maroc. Sous sa direction, les statuts de la Société des Habous sont modifiés en 1973 pour garantir une reprise française durable. L’article III de ces nouveaux statuts stipulait que la société était propriétaire exclusif de tous les ouvrages de la mosquée, y compris l’Institut musulman, l’Hôtel de La Mecque et les nominations des imams en France. Plus important encore, en cas de dissolution, le patrimoine serait transféré à la mairie de Paris, et à défaut, à l’université Al-Azhar en Egypte.

Ces changements éloignent définitivement le Maroc de toute influence sur la mosquée, déjà utilisée comme outil de propagande coloniale. Sadek Sellam, spécialiste de l’Islam, écrira plus tard : « Les socialistes préfèrent approuver l’accord par lequel Hamza Boubakeur confie la mosquée au gouvernement algérien, ouvrant ainsi la voie à une gestion multi-étatique du culte musulman en France, qui réduit les musulmans de France à l’État de « non-personnes ». ” ” (Sadek Sellam, « Abdelkader Barakrok (1915-2006), ancien secrétaire d’État en Algérie », Guerre mondiale et conflits contemporains 2007/1, n° 225).

Un rôle ambigu dans le Sahara et le séparatisme de Rguibat

Outre son rôle religieux, Hamza Boubakeur a également joué un rôle stratégique au Sahara. les autorités coloniales, il fut chargé d’entretenir les relations avec les notables Rguibat à Tindouf, les incitant à adopter une politique anti-marocaine. Ces manœuvres visaient à affaiblir les revendications marocaines dans les régions sahariennes.

Cependant, les ambitions politiques de Boubakeur moururent avec l’indépendance de l’Algérie. Il tente de se repositionner en recherchant un poste diplomatique, dans l’espoir de devenir ambassadeur. Sa candidature fut rejetée faute de compétences, ce qui l’obligea à rester recteur jusqu’en 1982.

Une fin de carrière marquée par les désillusions

Dans les années 1980, Hamza Boubakeur, connu pour ses relations privilégiées avec les socialistes français, s’opposait à toute réforme des statuts de la Société des Habous. Il a fini par confier la gestion de la mosquée au gouvernement algérien, un geste perçu comme une trahison par de nombreux musulmans en France.

N’ayant pas réussi à concrétiser ses ambitions politiques et à tenir ses promesses envers les tribus sahariennes, Hamza Boubakeur a fini par se rapprocher de l’Algérie, pays qu’il avait longtemps combattu dans le cadre des projets coloniaux français. Ce rapprochement symbolisa une carrière marquée par des trahisons successives : envers sa tribu, les populations sahariennes, le Maroc, et même la France, vers laquelle il fit son ascension.

 
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