Par
Paul Varenguin
Publié le
21 janvier 2025 à 18h05
“Aujourd’hui, ça va.” L’obtenir*, un jeune de 16 ans résidant à Chelles (Seine-et-Marne), a pourtant vécu des années difficiles à l’adolescence. Une adolescence différente de celle qu’on peut imaginer, faite de soirées entre amis, et de bons moments passés à rire entre jeunes.
Lilwenn a traversé des temps plus sombres.
Depuis ses neuf anselle a subi le touchantpuis l’inceste de son père, condamné à 15 ans de prison. Il a eu recours à la soumission chimique pour maltraiter sa fille.
Elle en témoigne dans le documentaire Soumission chimique : pour que la honte change de campdiffusé ce mardi 21 janvier 2025 à 21h05 sur France 2et déjà disponible sur la plateforme numérique de France Télévisions, France.tv.
Le besoin de parler
Il y a quelques mois, l’avocat de Lilwenn et de sa mère a reçu un email du réalisateur du documentaire, Linda Bendali. Elle a proposé de participer à ce projet, diffusé mardi 21 janvier, qui revient sur le sort de plusieurs victimes de soumission chimiqueen croisant leurs histoires avec celle de Gisèle Pelicot, victime depuis neuf ans de son mari.
Pour moi, cela correspond à une période pendant laquelle je voulais que les gens sachent, et soient reconnus comme victime.
Son objectif : que ce qu’elle a vécu puisse servir à d’autres, que son combat ne soit pas vain. « Lors du procès, en novembre 2023, elle a refusé le huis clos. Participer, pour elle, c’est un moyen de faire entendre votre voixen tant que victime. Elle veut que son histoire aide les autres, qu’ils osent en parler. Nous devons parler », ajoute Nathalie1sa mère.
Dis l’indicible
Le calvaire de Lilwenn a duré trois ans. Trois années compliquées, durant lesquelles son père commence à la toucher, lorsque sa mère est absente. Puis ses parents se séparent, chacun a sa place.
Une victime
C’est le chiffre évoqué au tout début du documentaire diffusé par France 2. Une victime de soumission chimique sur deux ne se souvient de rien.
Lilwenn doit parfois aller vivre chez son père, qui habite également à Chelles. Les viols commencentil film. Jusqu’à ce jour, 30 octobre 2021. La date est gravée dans l’esprit de sa mère, qui la donne sans hésiter. « Il m’a fallu environ trois ans pour m’exprimer. Je voulais que ça s’arrête. Je lui avais déjà dit d’arrêter », se souvient Lilwenn.
Profitant de l’absence de son père, elle s’enfuit pour retourner chez sa mèreà qui elle téléphone en chemin. Sa mère ne pouvait pas imaginer comment la journée se déroulerait.
En chemin, elle part à la rencontre de sa fille, mais l’adolescente, effrayée de voir son père, fait des détours. « J’ai rencontré son père dans la rue, il avait un comportement étrange », précise Nathalie.
Arrivée en bas de l’immeuble de la mère, Lilwenn accepte enfin de parler à son père. La mère reste dans le couloir et les laisse parler. Jusqu’à ce qu’elle entende ce mot, terrible. ” Suicide « . « Là, tout s’est mis en place, j’avais envie qu’on m’explique », poursuit Nathalie.
Sa fille commence à parler, sa mère la croit. Le premier réflexe de la mère est de se précipiter dans l’appartement, de s’enfermer et de récupérer les papiers d’identité. Après avoir vérifié que le père et bourreau de sa fille a quitté les lieux, ils vont au commissariat de policedéposer une plainte. ” À mon avis, il n’y avait pas besoin d’attendreil fallait y aller tout de suite », admet-elle.
Les policiers écouteront attentivement l’adolescente, qui prendra le temps de raconter son histoire.
Une soumission chimique
Cela peut paraître un simple détail, mais il a toute son importance dans l’histoire de Lilwenn. D’ailleurs, au début, elle n’avait pas évoqué ces faits. La question n’avait même pas été posée. À l’époque, on n’en parlait pas beaucoup. « Je n’en étais pas sûre à 100 %, admet-elle.
-Cependant, Lilwenn a subi, à plusieurs reprises, un soumission chimique. Le soir, son père lui offrit un yaourt aux fruitsune marque qu’elle apprécie particulièrement. “Mais ça avait un goût bizarre.” Quand il me l’a donné, c’était déjà ouvertet surtout, on pouvait voir que ça avait été mélangé », se souvient-elle. Un élément qui la trouble.
D’autant que, chez son père, elle s’endort très viteplus que d’habitude.
Sa mère s’était beaucoup renseignée, et a su poser les bonnes questions à sa fillequi lui confiera cet élément. Elle va le signaler à la police et, de fil en aiguille, nous parvenons à identifier un médicament probablement celui qu’elle a ingéré, sans le savoir. «C’était un médicaments antihistaminiques pour les personnes de plus de 15 anségalement utilisé comme somnifère. Il lui a dit que c’était contre ses allergies», raconte Nathalie.
Les analyses effectuées sur les cheveux longs de la jeune fille ont révélé des doses élevées de la substance. Et ils démontreront également que les tirs ont eu lieu pendant les périodes où elle était avec son père. Graphiques à l’appui, on constate que les taux baissent avec la rentrée scolaire : période où elle retrouve sa mère. Les doses ingérées sont très importantes, et augmentent avec le temps. Cela se retrouve dans les cheveux. Parfois, les doses ne suffisent pas et l’adolescent se réveille tandis que son père commet l’innommable sur sa propre fille.
Cependant, et jusqu’au procès, son père niera la soumission chimiquetandis qu’il a avoué le reste. Les vidéos, l’inceste. La drogue a été retrouvée à son domicile lors de la perquisition.
Reconstruisez-vous
Après avoir parlé, Lilwenn entame une phase, celle de la dissociation. ” J’ai toujours été moyen à l’école. En quatrième année, j’ai commencé à avoir de bons résultats », commence-t-elle. Une période qui ne dure que quelques mois, avant, en CE2, elle » reconnecter » à elle. Elle est suivi psychologiquementses émotions reviennent très violemment, la jeune fille traverse une période période en essayanttrès compliqué. Elle se scarifie.
En arrivant au lycée, ça va mieux, « il y a encore des difficultés, mais ça avanceassure-t-elle. Parler a beaucoup aidé.
Cependant, elle peut quand même avoir des réactions compliquées, surtout si vous la frôlez.
Dans ce combat pour aller mieux, elle est très épaulé par sa mère, qui fait de son mieux pour l’aider. Pour elle aussi, la période a été difficile. Elle ne pouvait pas imaginer une telle horreur, elle le sait. “Je me sentirai coupable à vie, je n’ai pas réussi à protéger ma fille.”
Pour le documentaire, elle a pu rencontrer d’autres intervenants, eux aussi victimes de soumission chimique. ” Un peu comme une thérapie », estime-t-elle. Discutez avec des personnes qui comprennent ce que vous avez vécu, qui savent ce que cela produit en vous.
«Laissons les choses évoluer»
Aujourd’hui, les choses ont changé, et on parle davantage de soumission chimique. Gisèle Pelicot, cette femme droguée par son mari, Dominique Pelicot, pour la soumettre aux hommes, n’y est pour rien. Une cinquantaine d’entre eux ont été jugés, en plus de son bourreau, à l’automne dernier. «Ça a fait avancer les choses», estime Lilwenn, qui souhaitait même se rendre à Avignon (Vaucluse) pour suivre le procès.
Sa mère est « admirative » de ce qu’elle a fait, mais aussi du travail réalisé par Caroline Darian, la fille du couple Pelicot.
Toutefois, « les choses doivent évoluer », notamment en ce qui concerne les médicaments. “ Ce n’est pas seulement le GHB. Le plus souvent, des médicaments facilement accessibles sont utilisés », assure Nathalie.
Tous deux insistent : « il faut porter plainte ». ” Si une personne prend la parole, le combat sera gagné », terminent mère et fille.
* Ce prénom, utilisé dans le documentaire, n’est pas le véritable prénom de la victime. 1. Le prénom a été modifié. Le documentaire est déjà disponible gratuitement sur France.tv.
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias préférés en vous abonnant à Mon Actu.