Un café avec Philippe Robin

Parti à vélo le 10 juin 2023, Philippe Robin a traversé tout le continent jusqu’en Patagonie, à la pointe de l’Amérique du Sud. Comment gérer le retour d’une telle excursion ? Alexandre Pratt en a discuté avec le jeune aventurier.

Philippe Robin a passé son adolescence dans la deuxième couronne de la Montérégie, où les transports en commun sont aussi rares que les bananiers. Pour se déplacer, il enfourchait son vélo.

Une fois, il est allé jusqu’à Longueuil. Une autre fois, à Montréal. «Je me suis vite rendu compte que si on avait le temps, il n’y avait pas vraiment de limites», m’explique-t-il en démarrant un double expresso au Moineau masque, un charmant café de la rue Marie-Anne, à Montréal.

Avant l’âge de 18 ans, il avait déjà à son actif un P’tit Train du Nord, un tour de la Gaspésie et un voyage Québec-Montréal. « Voyager à vélo, c’est parfait. Nous allons assez vite pour parcourir de grandes distances, mais assez lentement pour apprécier ce qui se passe autour de nous. » Il a tellement aimé ça qu’il a commencé à réfléchir à un projet encore plus grand. Plus fou. Excessif.

Traversez tout un continent à vélo.

Ainsi, après son baccalauréat en journalisme, il a quitté son appartement étudiant à Montréal pour l’endroit le plus éloigné qu’il pouvait atteindre à vélo sans prendre l’avion : Ushuaïa, en Argentine. Avec quoi ? Trois fois rien. Ses économies, trois parrainages, trois maillots, des pantalons, des shorts et une tente. Il a parcouru les 28 000 kilomètres en 462 jours.

Ce n’était pas une promenade du dimanche. Il avait souvent peur. Dans le sud du Texas où, sans domicile, il craignait d’être pris pour un migrant. Au Mexique, où le douanier n’a pas tamponné son passeport. En Colombie, où il a eu le malheur de circuler sur les routes des trafiquants de drogue, qui l’ont arrêté et interrogé pendant plusieurs heures. Il a également vu la beauté, en particulier dans les Rocheuses et au Pérou.

Philippe Robin est un bon conteur. Il a le sens de l’anecdote. Vous pourrez le constater lors de la parution de son livre dans quelques mois, ou en assistant à l’une de ses conférences. Pourtant, si nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’un café, c’est aussi pour évoquer un sujet délicat entre aventuriers.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Philippe Robin a parcouru les 28 000 kilomètres séparant Montréal d’Ushuaïa, en Argentine, en 462 jours.

Le retour.

Escalader l’Everest, parcourir le monde en bateau, parcourir 28 000 kilomètres à vélo, ce sont des projets de toute une vie. C’est excitant. Cela nourrit l’âme. Je suppose que ça doit même être un peu exaltant. Mais que se passe-t-il après l’ivresse du moment ? Pendant le délai de rétractation ? Le quotidien doit manquer de piquant, non ?

Plusieurs aventuriers ont rapporté avoir vécu des moments dépressifs à leur retour. La documentariste Maryse Chartrand aborde le sujet dans son film touchant Le voyage d’une viequi revient sur le suicide de son amant, un an après avoir effectué un tour du monde en famille.

Philippe Robin décrit son arrivée à Ushuaïa comme « le moment le plus absurde » de son voyage. « Dans le port, il y avait une pancarte avec le nom de la ville. C’était comme si je venais de gagner un tournoi de football dans un stade vide. Les gens autour ont continué leur vie. Ils ne savaient visiblement pas qui j’étais. J’ai appelé ma copine FaceTime et je lui ai dit : hé, j’ai fini ! »

Et puis… rien.

« Un grand cliché dans l’industrie du voyage est que nous ne nous soucions pas de la destination. C’est le voyage qui compte. Sauf que quand on arrive au bout, c’est quand même la fin de quelque chose. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Philippe Robin est resté trois semaines en Argentine avant de revenir au Québec. Un séjour qui lui a permis de « redescendre sur Terre ».

Depuis le début du projet, je m’étais toujours fixé des objectifs. En fait, c’était simple : je voulais aller au bout de l’Amérique. Soudain, je me suis retrouvé sans rien, à trois semaines de mon vol de retour. Que dois-je faire? N’ayant plus d’objectifs, j’ai trouvé ça vraiment difficile.

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Philippe Robin

Il a proposé de faire du bénévolat dans une auberge à la réception. « J’ai fait certaines parties du trajet avec d’autres cyclistes, mon ami Alexis notamment, mais j’ai aussi roulé seul pendant de longues périodes, en écoutant des podcasts 10 heures par jour. Là, j’avais vraiment envie de socialiser. Et puis je voulais rester occupé. Pendant 18 mois, chaque jour, j’ai dû réfléchir à l’endroit où j’allais dormir, manger, trouver de l’eau potable. J’avais peur qu’en finissant le voyage et en ne faisant rien, la réalité me frappe soudainement. »

Ces trois semaines ont été bénéfiques. «Ils m’ont permis de revenir sur Terre. Pour digérer tout ce qui s’est passé », notamment l’épisode des trafiquants de drogue en Colombie, sur lequel il revient à plusieurs reprises dans notre conversation. Son retour au Québec a été grandement facilité par le travail en coulisse effectué par sa copine, à qui il est reconnaissant. Mais son voyage le hante toujours.

« Le retour à la réalité reste compliqué. » D’autant que Philippe Robin a le temps d’y réfléchir, en attendant un contrat de travail.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« Le retour à la réalité reste compliqué, confie l’aventurier.

Il y a une distance qui s’est créée entre le quotidien et moi. Peut-être que lorsque j’aurai un travail, une routine s’installera. Peut-être que je retrouverai ce lien avec la vraie vie. Mais pour l’instant, je n’ai pas l’impression d’être complètement de retour.

Philippe Robin

Alors, rêve-t-il de repartir bientôt ?

« C’est un peu un piège de vouloir revenir en arrière et retrouver la sensation de voyager. Si à chaque fois que je reviens j’ai envie de repartir, je ne serai jamais heureux. Je ne pense pas que voyager soit la solution à tout. »

« Ce que je cherchais en partant, confie-t-il en évoquant la curiosité et la quête du bonheur, je peux aussi le trouver au Québec. La routine ne doit pas nécessairement être un poison. Il existe un moyen de trouver un endroit stable pour s’épanouir et être heureux. Et j’aimerais que la solution vienne de moi plutôt que d’un voyage. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : « Au moins un par jour, mais maximum trois. En Colombie et au Guatemala, je pensais boire un café incroyable. Malheureusement, les meilleurs cafés sont exportés. »

L’endroit où je me sens le mieux : « Ici, avec mes proches et ma famille. En voyage, j’ai eu des conversations avec des milliers d’étrangers, mais ce n’est pas comme parler à quelqu’un qui vous comprend réellement. »

Une œuvre qui m’inspire : « L’histoire de Pide Yann Martel. Un homme qui se retrouve seul avec un tigre au milieu de la mer. Dans mon voyage, il n’y avait pas de tigre, mais le tigre est en lui-même. C’est le souvenir des choses qui se sont produites et la peur de ce qui pourrait arriver ensuite. »

La personne avec qui j’aurais aimé rouler « L’aventurier Iohan Gueorguiev [qui s’est suicidé en 2021]. Il a fait le voyage Canada-Argentine à vélo. C’est lui qui a inspiré mon projet. »

Qui est Philippe Robin ?

  • Aventurier né à Montréal il y a 24 ans.
  • Il est diplômé en journalisme de l’Université Concordia.
  • En 2023 et 2024, il a parcouru 28 000 kilomètres à vélo entre Montréal et Ushuaia, en Argentine. Il écrit un livre sur son aventure. Vous pouvez également revoir les moments forts de son voyage sur son compte Instagram.
 
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