Agir au niveau fédéral
Les plans de congé parental ne sont pas nouveaux. Plusieurs tentatives similaires ont échoué à Berne. En raison de l’absence de législation fédérale, de nombreuses pratiques désordonnées sont apparues dans le secteur privé et de nombreuses initiatives cantonales ont également vu le jour. Celle qui a fait couler le plus d’encre en Suisse romande est Genève. Le projet des Verts-libéraux a abouti en 2023, mais la Confédération a mis un frein à ce congé parental de 24 semaines : « le nouvel article de la Constitution genevoise n’est pas compatible avec le droit fédéral », indiquait le Conseil fédéral en mai dernier, suivi par Parlement en septembre. Une modification de la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain est nécessaire pour que Genève puisse appliquer son congé parental.
Face à cette situation, «il est désormais indispensable d’avoir une solution pour toute la Suisse», estime Lisa Mazzone. Cette initiative permettra de relever le défi de la pénurie de main-d’œuvre et celui des inégalités au sein des familles. Et la jeune maman rappelle que le pays est « le dernier des pays de l’OCDE pour le congé parental. En Suisse, on entre à la maternité en couple moderne. Nous en sortons comme un couple traditionnel. Dès le départ, la répartition des rôles familiaux stéréotypés s’établit. Tout dépend de la femme. On ne s’attend pas à ce que le deuxième parent assume la moitié des responsabilités dès la naissance d’un enfant. Cela a un coût pour les femmes, notamment lorsque les jeunes mères reviennent sur le marché du travail. “Une rupture survient avec le premier enfant et s’aggrave avec le second”, explique Lisa Mazzone.
Un projet à 900 millions de francs
Les Verts ne se lancent pas seuls dans cette aventure. A leurs côtés, des élus du Centre, des Verts libéraux, du syndicat Travail.suisse et Alliance F portent le projet pour plus d’égalité dans la famille et dans le monde du travail. Et ils en auront besoin pour faire passer ce qui est perçu par les initiateurs comme un « investissement pour l’ensemble de la société », mais comme un gouffre financier pour d’autres. Une telle initiative coûtera quelque 900 millions de francs qui «seront refinancés après vingt ans», ajoute l’homme politique genevois. Ceci grâce à la création d’emplois, estimée à 25 000 équivalents temps plein dans dix ans, car les femmes pourront réintégrer pleinement et plus rapidement le marché du travail. C’est du moins ce que montre l’étude Analyse coûts-avantages d’un congé parental égal.»
Pour l’écologiste, « il faut se rendre à l’évidence : aujourd’hui, les conditions-cadres ne sont pas réunies pour réaliser un projet familial moderne. Cette initiative place également les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes sur le marché du travail. Après le congé de maternité, les employeurs expulsent régulièrement les femmes. Lorsqu’ils reviennent sur le marché du travail, ils le sont souvent à un tarif très partiel, avec des conséquences négatives en termes de salaire et d’évolution éventuelle. Notre proposition garantit une concurrence équitable sur le marché du travail.
Les pères face au congé parental
Actuellement, les mères ont droit à un congé de maternité d’au moins quatorze semaines. Les pères ont droit à deux semaines de congés payés dans les six mois qui suivent la naissance de leur enfant, depuis le 1er janvier 2021. Un modèle qui est tout sauf égal et qui ne change pas vraiment la donne comme le montre une analyse publiée en janvier. 16 de l’Office fédéral des assurances sociales (OFSA) : « Les mères prennent plus souvent leur congé que les pères ». Dans cette étude, on constate, assez logiquement, que «presque toutes les mères en Suisse ont pris un congé de maternité payé en 2022, mais seulement les trois quarts des pères ont fait de même.» La raison pour laquelle les pères renoncent à leurs droits est moins liée aux normes sociales qu’à leur situation professionnelle et à leurs revenus», révèlent Anja Roth et Ulrike Unterhofer, respectivement adjointe du secteur Données et analyses de base et collaboratrice scientifique à l’OFAS.
-Les deux docteurs en économie ont également « analysé l’influence des normes de genre, répandues chez les pères ou dans leur entourage, sur la prise du congé parental. À cette fin, nous avons comparé les taux d’approbation cantonaux lors de la votation populaire du 27 septembre 2020 sur le congé de paternité avec le pourcentage de pères éligibles qui prennent effectivement leur congé. Il apparaît que le pourcentage de pères ne prenant pas de congé est particulièrement élevé dans les cantons qui avaient voté à une nette majorité en faveur de l’introduction du congé de paternité. Si Genève et Bâle-Ville avaient accepté l’initiative, c’est là que l’on retrouve le plus faible taux de pères ayant pris un congé de paternité. A l’inverse, c’est en Appenzell Rhodes-Intérieures et à Uri que les pères prennent le plus ce congé, même si les deux cantons s’y opposent.
Les analystes arrivent à la conclusion que « les normes traditionnelles de genre ont peu d’influence sur la fréquence à laquelle les pères prennent un congé de paternité. Nous observons même le schéma inverse. Et en Suisse latine, où la tradition du congé de paternité est plus ancienne, le taux de pères prenant un congé est plus faible qu’en Suisse alémanique.
Un résultat étonnant qui appelle encore plus à un congé familial égalitaire, comme le souligne encore Lisa Mazzone : « Si l’on veut que les pères prennent leur congé parental, il faut qu’une partie leur soit exclusivement réservée ».