Depuis le coup d’État au Niger le 26 juillet 2023, une recomposition des forces s’opère sur le terrain de la guerre contre les groupes jihadistes au Sahel central. Tandis que les armées du Mali, du Burkina Faso et du Niger, derrière leurs régimes militaires, s’unissent pour la première fois contre leurs ennemis communs, les deux grandes franchises jihadistes, peut-être dans un mouvement symétrique, cessent de s’affronter. , stabilisant leurs espaces d’influence respectifs. La nouvelle carte qui se dessine révèle la nette suprématie de la filiale sahélienne d’Al-Qaïda, devenue par ailleurs sa plus grande force militaire au monde.
Au Mali, au Burkina Faso et au Niger (ce dernier pays ayant été quasiment épargné avant le coup d’État du 26 juillet 2023), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) assoit de plus en plus sa supériorité militaire. plus incontestable, au niveau spatial et communautaire.
L’État islamique, confiné dans la région des trois frontières, est privé de son accès au golfe de Guinée depuis qu’il a été chassé du parc naturel transnational du W, désormais entièrement contrôlé par ses concurrents. Vendredi, une attaque contre une unité antiterroriste de l’armée béninoise au Point Triple, un camp forestier au carrefour des frontières burkinabè, nigérienne et béninoise, vient de démontrer cruellement cette supériorité, avec un bilan, inédit pour le Bénin, de 28 mort .
Au Mali, sur le front de « l’organisation historique », le GSIM et sa katiba décentralisée ont continué la pression dans tous les sens :
– dans le delta central, pourchasser vers Mopti les habitants des villages situés entre Bandiagara et Bankass restés fidèles à la milice Dogon Dan Nan Ambassagou, bien que soutenus par l’armée. Une patrouille des FAMA et des Russes opérant dans la zone a été prise dans une embuscade qui a fait plusieurs morts Maliens et Russes en novembre. Selon certaines sources, 14 combattants de Wagner seraient actuellement retenus en otages par la katiba du Macina ;
– au nord-ouest, dans la région de Tombouctou, dans le fief de Talha al Libi, solidement implanté depuis plus de dix ans ;
– et à Bamako même, où le double attentat spectaculaire qui a fait 70 morts à l’aéroport et à l’école de gendarmerie le 17 septembre, rappelle une fois de plus aux citadins, souvent dubitatifs face aux histoires sanglantes venant du reste du pays, qu’Al-Qaïda peut frapper n’importe où.
Le grand nord malien est un laboratoire de nouvelles rivalités entre puissances
Dans l’extrême nord désertique, où l’année 2024 n’a pas permis aux rebelles touaregs de reprendre l’avantage malgré une victoire écrasante sur Wagner à Tinzawaten, tout près de la frontière algérienne, fin juillet, deux phénomènes peuvent être observés : les exactions et raids incessants menés par les mercenaires russes et l’armée malienne – qui ont chassé plus de 100 000 civils maliens du centre et du nord vers la Mauritanie – et une rapprochement entre le GSIM et les groupes rebelles du nouveau Front de libération de l’Azawad. Cette fois, c’est Iyad Ag Ghali lui-même qui est aux commandes, à travers d’anciens cadres militaires et politiques d’Ansar Dine installés à un très haut niveau de la FLA.
C’est aussi le grand désert du nord qui a vu les premiers soutiens occidentaux au front rebelle à travers des formations, et, peut-être, des dons de matériel à la FLA. L’Ukraine et la France seraient impliquées dans cette aide qui reste modeste.
L’État islamique à la recherche de nouvelles routes
Le grand rival du GNIM, l’État islamique, se cantonne aux groupes Liptako Gourma et Peuls Tolebé où il exerce le plus d’influence. A Ménaka, il subit des coups importants de la part de l’armée malienne et, plus au sud, des armées malienne et nigérienne agissant de concert. Or, ces dernières semaines, il a frappé plusieurs cibles civiles et militaires – un bus de transport, des postes de sécurité, un marché – dans le département de Tera, dans la région de Tillabéri, à deux pas de la frontière burkinabè tenue par ses rivaux d’Al. Qaïda.
Une présence mixte est constatée depuis plusieurs mois au nord-est du Niger, dans les camps peuls et bella isolés du nord du département d’Abalak, où l’État islamique au Sahara collecte la zakat. Il cherche sans doute, dans ces domaines, d’éventuels leaders endogènes pour l’avenir. L’hypothèse d’une tentative de tracer une route vers la Libye est une explication possible de cette expansion discrète. Car de tous les autres côtés, le passage est bloqué. Cependant, l’approvisionnement en carburant et en nourriture, l’accès aux soins et les transactions financières sont difficiles en dehors des villes.
L’État islamique s’implanterait également dans le nord-ouest du Nigeria, dans les États de Kebbi et Sokoto, où la résurgence d’un groupe armé déjà observé en 2018, les Lakurawa (recrues en haoussa), a supplanté le vieux banditisme et pris le contrôle. des zones frontalières du Niger et du Bénin. L’origine de ce groupe fait débat, les Nigérians accusant leurs voisins du Sahel d’être les pays d’origine de ces combattants. En tout état de cause, cette mise en place pourrait résulter d’une volonté de créer un nouvel accès au corridor menant à l’océan Atlantique, via le Bénin, en contournant le GSIM.
Le Golfe de Guinée en vue
En effet, cette dernière considère le golfe de Guinée comme sa profondeur stratégique et, peut-être, son horizon militaire. Les attaques observées ces deux dernières années dans le nord du Togo, au Bénin, au Ghana et à la frontière ivoirienne signalent une menace imminente et la prise de cellules dormantes. Au centre du Sahel, à l’exception de ses bastions incontestés du centre du Mali et du nord et de l’est du Burkina Faso, qu’il semble contrôler totalement, le GSIM dessine des taches léopard qui se rapprochent.
Pour survivre aux attaques des armées nationales et de leurs nouveaux drones, le GSIM se déplace et s’organise horizontalement. Il a plusieurs têtes. Dans chaque zone, le groupe local jouit d’une grande autonomie mais fait appel à des renforts extérieurs si nécessaire. La Katiba Macina, sa puissante petite sœur burkinabè Ansaroul Islam et la Katiba Serma sont désormais rompues à l’exercice. Cette flexibilité et cette solidarité sont renforcées par des affiliations communautaires communes, notamment parmi le grand peuple peul et au sein de ses sous-groupes. Cette diversité manquait à l’EIS dans ses tentatives de s’établir au-delà de ses bastions naturels tolebe.
Au Burkina Faso, Ansaroul Islam n’est pas en reste. Fin octobre, Amadou Koufa a rendu hommage aux troupes de son jeune camarade Jaffar Dicko, malgré leurs brutalités contre les populations civiles, contrairement aux règles d’action de son propre mouvement. L’armée burkinabé et ses Volontaires de la Patrie ne semblent pas réussir à reprendre le terrain malgré des centaines de morts dans les régions du Sahel, du Centre-Nord et de l’Est et un nombre record de déplacés internes de deux millions.
Un nouvel émirat aux frontières du Burkina Faso, du Bénin et du Niger
La principale nouveauté de ces derniers mois est la création d’un nouvel émirat, à cheval sur le Burkina Faso, le Niger et, de plus en plus, le nord du Bénin, à partir du sanctuaire qu’offre le parc naturel du W. L’émir est Abou Anifa, un djegobé Peul burkinabé d’Ansaroul Islam. . Son bras droit est un Béninois, Abdoul Hakim, et le chef militaire est un Nigérian de Torodi, Abdoul Karim, originaire du Burkina Faso. Certains hommes combattaient à cheval.
Le Bénin connaît des attaques régulières, malgré le soutien – discret – de l’armée française. Les populations peules se voient de plus en plus stigmatisées, comme auparavant au Mali, au Burkina Faso et, dans une moindre mesure, au Niger. De quoi légitimer, aux yeux du GNIM, des opérations de représailles meurtrières contre les militaires. Illustration de ces nouvelles tensions, le président Patrice Talon a reçu, le 27 décembre, des dignitaires et des représentants de la communauté peule béninoise. Ces derniers ont exprimé leur inquiétude, se disant victimes d’injustices commises au nom de la lutte contre l’insécurité.
Cette nouvelle région opérationnelle complète les deux précédentes, Ansaroul Islam commandée par Jaffar Dicko (Burkina Faso) et Katiba Macina commandée par Amadou Koufa (Mali).
Les forces d’élite accèdent au pouvoir
Enfin, pour consolider son avantage, le GSIM s’est renforcé en termes de compétences militaires. Depuis près d’un an, il entraîne les forces d’élite au sein de la Katiba Macina, de la Katiba Serma et d’Ansaroul Islam. Plus de 600 combattants (promotions de 200 hommes par trimestre) ont ainsi été formés, sous la supervision d’un Yéménite, aux techniques de combat et à l’utilisation des véhicules kamikaze – puis réintégrés dans leurs unités d’origine. Le centre de formation est dirigé par un Arabe assisté d’un vétéran ghanéen qui a combattu aux côtés d’Abou Zeid en 2012 à Tombouctou, puis à Moktar Bel Moktar, avant de devenir l’un des recruteurs de Jaffar Dicko.
Plusieurs attentats sont à imputer à ces nouvelles forces, au Burkina Faso, au Niger et au Mali, notamment l’attaque spectaculaire contre l’aéroport de Bamako. Cette nouvelle organisation se veut une réponse à l’Alliance des États du Sahel.
Le GSIM a diffusé des images d’une cérémonie de fin d’entraînement où l’on voit les combattants à cheval et à moto. En novembre, le prédicateur Mahmoud Barry, porte-parole de la Katiba Macina, avait félicité la dernière promotion en langue peule. Il annonce une nouvelle phase de la guerre ciblant les capitales et les grandes villes. « Nous allons attaquer les villes. Nous nous attaquerons également aux symboles et aux représentants de l’État. Nous demandons aux dignitaires religieux qui ont cru devoir s’abriter derrière le pouvoir de nous rejoindre (…) parce que nous allons attaquer ceux qui les protègent”, a-t-il déclaré, selon une traduction libre du Fulfuldé obtenue par Mondafrique.
Pour l’instant, le GSIM règne quasiment sans contestation sur le vaste territoire qui s’étend de la frontière mauritanienne, à l’est, jusqu’à la zone inondée du delta au nord du Bénin et à l’est du Burkina Faso. « Les combattants sont de bonne humeur », a indiqué une source sécuritaire de la région. Les rançons récoltées suite à la libération des otages en 2024 (au moins trois Italiens et un Allemand) ont été distribuées aux dirigeants puis en partie restituées aux commandants militaires. L’exploitation des mines d’or artisanales génère également beaucoup d’argent. «Je ne vois pas ce qui peut les arrêter», poursuit, inquiète, la même source.