Des coulisses à la scène | Adib Alkhalidey, sous son soleil exactement

«J’ai décidé que je n’emporterais pas ce regret avec moi dans la tombe», explique Adib Alkhalidey. Lequel ? Celui de ne pas avoir donné suite à ses envies musicales. Nous avons passé la journée avec lui lors du dernier rendez-vous de sa première vraie tournée en tant que chanteur.

« Je ne me souviens pas qu’Adib ne chante pas », murmure Maissoun Alkhalidey, sa sœur cadette et fidèle bras droit. Sortir des bars, dans la rue, dans le bus : le jeune homme a longtemps aimé répondre aux demandes particulières de ses amis qui lui demandaient Jacques Brel.

Et c’est précisément La chanson des vieux amants » que déclame l’humoriste à notre arrivée au Ministère de Montréal, l’après-midi du 14 décembre, lors de la balance du dernier spectacle de sa première vraie tournée en tant que chanteur.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Adib Alkhalidey pendant la balance

“Bien sûr que nous avons eu des tempêtes/Vingt ans d’amour, c’est un amour fou/Mille fois tu as pris tes bagages/Mille fois je suis parti”, entonne-t-il sous son sweat à capuche des Yankees, comme s’il s’agissait d’une comptine d’enfance.

Prendre son envol : la formule du Père Brel convient parfaitement à ce voyage de sept dates en autant de lieux relativement intimistes, une aventure dans laquelle Adib n’a pas pu se lancer en septembre 2023, lors de la sortie de son troisième album, Sale arabe en thérapie (ou les charmes discrets d’un transfuge de classe). Excellente raison : sa femme s’apprêtait alors à donner naissance à leur garçon.

Mais il n’était pas question pour lui de ne pas transposer sur scène les chansons créées avec la réalisatrice Dominique Plante, aujourd’hui sa directrice musicale, qu’il a découverte grâce à son travail avec la sensation pop intelligente, Ariane Roy.

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Avec la directrice musicale Dominique Plante

Tous ses musiciens sont visiblement devenus ses copains et le sérieux de plusieurs de ses mots qu’il fait résonner au bénéfice du preneur de son – « L’amour est un leurre qui profite à la honte » – contraste avec la légèreté presque écolière des piques que s’envoient les gars.

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Avoir du style

Et voilà Adib qui s’extasie sur les chaussettes au logo du supermarché Maxi que porte son saxophoniste Julien Fillion : « Où as-tu trouvé ça ? » « Eh bien, au Maxi ! » Hilarité générale.

Plus de solitude

“Je suis au premier rang d’un spectacle que j’adore et je suis vraiment content d’être avec des amis sur scène, car j’ai passé beaucoup de temps seul”, confie Adib, exagérant son abattement. Nous sommes dans les sous-sols exigus du ministère. Il éclate de son grand rire fou. « Tu ressens de la tristesse, hein ? Mais c’est vrai, un comédien en tournée passe beaucoup de temps seul. »

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Courte pause pour l’entretien

Le designer de 36 ans affronte donc avec joie ce retour à la case départ, même dans ses tâches les plus banales. Pas question de jouer au prince. C’est même lui qui rendra visite au restaurant Omnivore, à quelques rues de là, pour que les plats de chacun soient prêts à table.

Et ce n’est qu’une fois sur place qu’il s’est rendu compte qu’il avait oublié de noter l’ordre de l’éclairagiste, exceptionnellement ajouté à l’équipe ce soir-là. Tout en s’excusant, la star, pas une star du tout, insiste pour que Lisandre prenne sa propre assiette, puis insiste encore, puis insiste encore, jusqu’à finalement accepter.

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Adib et ses nouveaux amis

Première période de grand froid. Ce jour-là, Adib porte une tuque sur laquelle est brodé le sigle GTFODMSle titre de la chanson inaugurale de Sale arabe en thérapie. Signification : Dégagez-vous de mon soleil. Phrase empruntée à l’Antiquité, à Diogène le Cynique plus précisément, explique-t-il entre deux bouchées de kofta et un coup de fil rapide à son fils, qui prenait un bain.

Résumons. Le puissant Alexandre le Grand, qui appréciait la compagnie des intellectuels, monta un jour à cheval rendre visite au modeste Diogène et lui demanda s’il avait besoin de quelque chose. Affalé par terre, le vieux philosophe répond : « Oui. Éloignez-vous un peu de mon soleil. »

Notre hôte éclate à nouveau de son grand rire fou.

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A table au restaurant Omnivore

Dans un manège

“Ah mon amour, le monde est à feu et à sang”, chante Adib dans l’un de ses morceaux les plus étrangement joyeux (Par le feu et le sang), mais avec lui, même dans le noir, on est là, sous le soleil exactement.

  • Il est temps de monter sur scène.

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    Il est temps de monter sur scène.

  • With Thomas Sauvé-Lafrance (drums), Dominique Plante (bass), Mathieu Quenneville (keyboards) and Julien Fillion (saxophone)

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    With Thomas Sauvé-Lafrance (drums), Dominique Plante (bass), Mathieu Quenneville (keyboards) and Julien Fillion (saxophone)

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“Quand on touche, on touche, quand on est intense, on est intense”, intime à ses confrères, sur le ton d’un entraîneur joueur de hockey, directeur musical Dominique Plante, quelques minutes avant de monter sur scène. Une consigne que chacun suivra à la lettre, à commencer par Adib, qui s’exerce à la fois comme un derviche tourneur, une marionnette désarticulée, un danseur de La La La Human Steps et un membre du Wu-Tang.

« Il y a quelque chose de très intime dans le fait de chanter et de bouger devant des gens, nous disait-il un peu plus tôt. “On dirait que vous les invitez à voir à quoi vous ressemblez lorsque vous êtes tout seul.” Et je pense que c’est le vrai cadeau qu’on se fait : on lâche les barrières et on se dit, c’est comme ça que ça vibre à l’intérieur. »

  • Moment de complicité

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    Moment de complicité

  • Moment d'intensité

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    Moment d’intensité

  • Moment d'exultation

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    Moment d’exultation

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«Tabarnac!» Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde», s’exclame-t-il après une introduction particulièrement explosive. Parmi les près de 300 personnes présentes, on retrouve quelques visages surpris de spectateurs qui n’avaient visiblement pas reçu le mémo selon lequel leur comédien préféré serait accompagné ce soir de plus qu’un tabouret, un micro et un verre d’eau.

Chaque soir pendant la tournée, 10 à 15 personnes semblaient, selon Adib, apprendre de première main le contenu pas forcément comique de ce dont elles venaient voir. Sans vouloir tromper personne, le principal intéressé se réjouit d’avoir inséré des moments plus expérimentaux dans ce spectacle, dont plusieurs slides de saxophone enflammés.

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Avec le saxophoniste Julien Fillion

« Nous sommes heureux qu’il y ait des gens qui, a priori, ne seraient pas allés dans cette direction et qui découvrent notre sorte d’hybride entre rock, jazz, chanson française et hip-hop. C’est comme un manège : il y a des parties plus coquelicots et d’autres où c’est un peu moins confortable. »

Il faut du courage

Le seul moment véritablement humoristique survient lors de la présentation de Tu connais Méloune douce fantaisie électro pop dédiée à son amant, avant laquelle Adib raconte un voyage au Costa Rica qui a failli tourner au désastre, un numéro qui pourrait apparaître dans n’importe laquelle de ses œuvres d’art. se lever.

Deux nouveaux morceaux joués à mi-parcours laissent croire que le meilleur est à venir pour Adib, l’auteur-compositeur, puisqu’ils ont été le clou de la soirée. Notamment cette chanson dans laquelle le fils de Saint-Laurent, issu d’un milieu plutôt pauvre, se souvient de ses balades en voiture de luxe avec ses amis riches qui, ironiquement, portaient des pulls du Che. Toute la vulnérabilité, toute la perspicacité, toute la dérision d’Adib Alkhalidey y sont contenues.

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« Sur scène, je me sens totalement abandonné. »

La musique ne sera donc pas une parenthèse pour ceux qui y sont réellement impliqués – sont-ils capables du contraire ? –, quitte à voler du temps à une carrière de comédien que l’on devine plus lucrative. Son plus récent spectacle solo a d’ailleurs été présenté au Théâtre Maisonneuve, une salle de 1 500 places.

Je ne fais pas les choses pour gagner de l’argent, je fais des choses pour bien dormir. De toute façon, les gens qui en ont fait beaucoup vous le diront : ça remplit zéro.

Adib Alkhalédy

« Ce sur quoi je me concentre, poursuit-il dans une longue et fiévreuse tirade dont il a le secret, c’est sur ce qui me fait vibrer, même si ça me fait peur, même si c’est difficile, même si cela demande une forme d’humilité. . Je n’aurais pas pu le faire par lâcheté, mais j’ai décidé de ne pas emporter ce regret avec moi dans ma tombe. Et puis, jusqu’à ce jour, c’est une décision qui, pour mon âme, a été extraordinaire. Ma musique reflète mes valeurs, donne un sens à ma vie, me fait apprendre. Tout ce que je donne au public, je me le donne aussi. »

Supplémentaire au Petit Champlain à Québec les 9 janvier et 20 septembre.

Visitez le site de l’artiste

 
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