Matador, une légende vivante du rap sénégalais

Matador, une légende vivante du rap sénégalais
Matador, une légende vivante du rap sénégalais

Le mercredi 11 décembre 2024, l’association Guédiawaye Hip-hop a rendu hommage à Matador. Pourquoi lui, et pourquoi maintenant ? C’est parce que cet homme au visage fermé a beaucoup fait pour le mouvement hip-hop au Sénégal. Ne vous laissez pas tromper par sa petite taille et son caractère taciturne. Nous parlons de l’artiste qui a su allier son art avec le pur altruisme.

Derrière son masque de dur à cuire se cache une personne affable, mais surtout très sensible. Fin observateur, il a su coucher sur papier des sentiments, le malheur social, la pauvreté et tant d’autres maux, a priori innommables. Il est l’auteur de « Sonn Boy » sorti en 2011. Ce tube pour le moins violent n’a pourtant fait que refléter le visage d’une société marginalisée qui a fini de plonger une certaine jeunesse dans ce qu’on définit désormais comme la dépression. L’artiste, l’ayant vécu, s’est mis dans la peau d’un jeune homme de banlieue. Son seul refuge était les bras de sa bien-aimée dont la seule erreur était de tomber amoureux d’un « échec ». En prison chez lui, détesté dans la rue, le protagoniste ne pouvait que finir par commettre un « crime d’honneur » avant de souhaiter sa propre mort. Loin de la fiction, c’est le quotidien de nombreux jeunes des banlieues. Et la rue n’a pas oublié celui qui a parlé pour elle.

LE TOURNANT DÉCISIF

Il est Babacar Niang à l’état civil, Mbaye pour ses amis et Matador pour qualifier un artiste dont les textes et leur adaptation scénique sont sortis tout droit de ses « tripes ». Il va sans dire que l’homme force le respect. Un camouflage parfait pour cacher une âme sensible et altruiste qui, à un moment de sa vie, s’est oubliée pour se donner corps et âme à la cause de l’amélioration des conditions de vie des jeunes livrés à eux-mêmes. Et c’est en 2006 qu’une nouvelle page de l’histoire des cultures urbaines s’ouvre grâce à lui.

Membre fondateur de Wa Bmg 44, l’un des tout premiers groupes de rap de la banlieue, Matador avait pour objectif de représenter son peuple sur la scène artistique nationale. Alors que d’autres groupes de rap étaient déjà implantés dans les quartiers comme Sicap Liberté et autres, il fallait offrir quelque chose aux banlieues et rompre définitivement avec les clichés de la jeunesse délinquante. C’est ainsi que « Bokk Mënmën Gëstu 44 » est né, en 1990, à Thiaroye.

Le chiffre fait référence au massacre des tirailleurs sénégalais par l’armée française en 1944 à Thiaroye. Cela éclaire suffisamment la personnalité des créateurs de Wa Bmg 44 qui, dès les premiers jours du mouvement hip-hop, ont compris qu’au-delà de l’art, il faut mener de nobles combats. D’ailleurs, il faisait partie du comité organisateur de la commémoration du 80e anniversaire de cet événement douloureux. « Un symbole de reconnaissance de l’engagement citoyen », selon lui. Mais, pour lui, ce n’est pas une consécration en soi. En effet, son engagement et son activisme pour Thiaroye et sa banlieue n’ont fait qu’évoluer au fil des années, depuis la création du Wa Bmg 44 jusqu’à nos jours.

Aujourd’hui âgé de 50 ans, Matador aurait pu commencer à envisager sa retraite en tant que cadre dans le secteur de la chaudronnerie industrielle. Diplômé major de sa promotion, il n’exercera jamais le métier qui aurait pu rendre fiers de lui certains membres de sa famille. Mais c’était avant qu’il ne devienne l’homme qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire celui qui, pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, a créé une association pour la promotion des cultures urbaines et pour l’amélioration des conditions de vie des jeunes en Afrique de l’Ouest. les banlieues. « Le succès ne peut pas être individuel. Pour moi, c’est collectif et partagé. Aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir suivi ma passion pour le hip-hop et d’avoir permis à des jeunes qui ne rentraient dans aucun des schémas classiques d’insertion socioprofessionnelle d’avoir un emploi et de s’occuper utilement. », soutient-il.

CARNET D’UN RETOUR À LA PATRIE

Entre 2005 et 2006, Wa Bmg 44 était l’un des groupes de rap sénégalais les plus en vue sur la scène internationale. Mais, les responsabilités venant avec l’âge, certains membres du groupe ont décidé de rester en Belgique. Chaque tournée y avait un de moins, mais pas Matador. « À un moment donné, j’ai subi un certain regard d’une société curieuse qui semblait me reprocher de revenir au Sénégal après chaque tournée. Elle ne pouvait pas comprendre que je n’envisageais ma vie nulle part ailleurs que dans mon pays natal”, explique-t-il dans un discours accompagné de mouvements du visage qui mettent en valeur des lèvres fines surmontées d’une fine moustache d’un jour.

Évidemment, la compagnie ne pouvait pas soupçonner que Matador, à chaque voyage, ramenait de plus en plus d’expériences dans ses bagages. Pour lui, il s’agissait d’une sorte de benchmarking qui ne disait pas son nom. « Je suis parti, et j’ai vu qu’en Europe une industrie se développait déjà autour du hip-hop. J’ai tout de suite su que c’était exactement ce qui nous manquait au Sénégal. C’est ainsi que j’ai organisé mon retour chez moi autour de ce point qui nous permettrait de gérer plusieurs soucis en même temps », se souvient l’artiste. En 2006, à son retour au Sénégal, il entreprend les démarches nécessaires pour créer Africulturban avec l’intention de proposer une offre culturelle qui occuperait la jeunesse des banlieues, lèverait certaines barrières sociales, mais surtout formerait les jeunes à des métiers. qui gravitent autour de la culture hip-hop.

Africulturban devient ainsi la toute première initiative culturelle à de telles vocations. Rap, slam, danse, graffiti, arts audiovisuels, maquillage artistique sont autant de domaines dans lesquels les jeunes filles et garçons ont été initiés, en plus d’une offre d’espace d’expression et de libération. de la créativité artistique. De Mbao à Pikine, en passant par Guédiawaye, Africulturban a suscité des vocations et inspiré des artistes. Certains ont reproduit avec succès l’exemple donné par Matador. Parmi eux, un certain Malal Talla alias Fou Malade avec la création de l’Association Guédiawaye Hip-Hop dont le festival annuel Guédiawaye By Rap en est actuellement à sa 11ème édition. Le parrain n’est autre que Matador, le précurseur. « Déjà dans les années 90, Matador était l’une des rares personnes à croire qu’il existait un moyen de rendre la culture hip-hop utile, de la mettre au service du peuple. Il a cru dès le début à ce mouvement. Mais, au-delà de tout ce qu’il a fait pour les cultures urbaines au Sénégal, Matador est une personne exemplaire, modérée et très disciplinée », témoigne Fou Malade d’une voix envahie par l’émotion.

UN PRÉCURSEUR

Il poursuit : « Tout le monde sait que nous évoluons dans un environnement où il y a souvent des tensions. Et chaque fois que cela se produit, tous les esprits se tournent vers Matador, car il a l’art de faire taire les querelles. Nous lui devons une dette de gratitude. Malal Talla ne tarit pas d’éloges à l’égard de sa collègue. « C’est lui qui nous a ouvert la voie par son rap, mais aussi par son esprit vif qui a changé beaucoup de choses dans le monde du hip-hop. Il nous a montré qu’une autre façon d’être utile était possible. Nous étions dans le noir, dans une banlieue sans perspective d’avenir. Matador a consacré toute sa vie au hip-hop. Malgré la cinquantaine, il garde toujours cet esprit underground qui transparaît dans son style au quotidien. Ses cheveux freelock ne l’ont toujours pas quitté même si le chapeau remplace de temps en temps la casquette. Selon Didier Awadi, son ancien compagnon depuis plus de 30 ans, Matador est un grand fan de culture hip-hop. Il l’a dans le sang. Passé par la danse, le rap et le slam, Matador est devenu un patriarche dont la voix compte. « S’il y avait un soldat dans le mouvement hip-hop qui devait être promu général, ce serait Matador. C’est un ardent défenseur qui me rappelle dans les rangs à chaque fois que je me lance dans l’Afrobeat, menaçant de le faire aussi », dit-il d’un ton taquin.

Cependant, Awadi retient avant tout les valeurs humaines qui font la personnalité de Matador. Il le décrit comme un homme de principes et de conviction dont l’action sociale et artistique ne peut valablement que susciter l’émerveillement. Aujourd’hui figure de proue du rap africain, l’artiste sénégalais Dip se souvient encore de la rage que dégageait Matador. Le jeune Dominique Preira, encore scolarisé, entretient l’image d’un artiste en rupture avec ce qui se passait dans le rap à l’époque. « Être enfant et entendre un artiste rap dire dans un audio qu’il souhaite sa propre mort, c’était quelque chose de spécial à l’époque. Matador est arrivé avec un style de rap qui nous était inconnu. C’était la première fois que je voyais une telle originalité chez un rappeur. Il nous a beaucoup inspiré et nous a encouragés à faire des concerts. Matador ne mérite que respect et admiration », déclare Dip. Par ailleurs, il salue également l’esprit fédérateur dont Matador a toujours fait preuve, sorte de trait d’union entre les aînés du mouvement hip-hop et la nouvelle génération. « Chaque fois que j’ai dû le rencontrer, il m’invite (nous, la nouvelle génération) à discuter avec nos aînés. Il a un esprit positif et nous donne toujours des conseils et nous pousse à toujours aller de l’avant », ajoute-t-il.

Assane FALL

 
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