l’assaut, minute par minute

Dix ans après l’attentat qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo et fait douze victimes, retour sur les événements du 7 janvier 2015, minute par minute.AP/Watson

Il y a dix ans jour pour jour, douze personnes perdaient la vie lors de l’assaut des frères Kouachi contre la rédaction du journal. Charlie Hebdo. Retour sur cette macabre matinée du 7 janvier 2015 qui avait si bien commencé.

01.07.2025, 05:3401.07.2025, 08:29

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La brume est froide et tenace ce mercredi, typique d’une journée de janvier à Paris. Nous sommes rue Nicolas-Appert, dans le 11ème arrondissement. Un « endroit très calme où il ne se passe jamais rien ». C’est là, au numéro 10, dans un bâtiment de verre un peu laid qui ressemble à un Lego, que la rédaction du journal Charlie Hebdo se réunissent chaque semaine.

Autour de la grande table ovale, ils sont presque tous là. Cabu, Riss, Wolinski, Elsa Cayat, Laurent Léger. Oui, même Tignous, arrivé plus tôt dans la matinée car il emmenait ses enfants à l’école. Beaucoup de gourmands pour partager les gâteaux rapportés par Coco de Fanprix, après avoir déposé sa fille à la garderie, et le gâteau d’anniversaire de Luz, un gâteau en marbre que Sigolène Vinson, la « pâtissière », s’est chargée de confectionner. ‘va le chercher à la boulangerie.

Rue Nicolas-Appert, jusqu’ici connue pour être calme.Getty Images Europe

L’ambiance est légère et joyeuse, des blagues douteuses éclatent au milieu des vœux de fin d’année. Et puis, comme tous les mercredis, à 10h30, la séance d’écriture commence. Les conversations tournent autour du nouveau livre de Michel Houellebecq, Soumissionpublié le même jour. Puis des jeunes Français sont partis faire le jihad en Syrie. Tignous et Bernard Maris se lancent dans un débat passionné.

11h00

Pendant ce temps, deux silhouettes noires, massives et cagoulées, armées de kalachnikovs, entrent au numéro 6 de la rue Nicolas-Appert. Ils cherchent Charlie Hebdomais ils ignorent toujours qu’ils se sont trompés d’adresse. Le journal avait déménagé six mois plus tôt dans de nouveaux locaux, quasiment introuvables. Visée par des menaces récurrentes, l’équipe de Charliequi craignait pour sa sécurité, a pris des précautions. Porte blindée avec code et protection policière renforcée.

Des hommes armés masqués tirent avec leurs armes devant les bureaux du journal satirique français Charlie Hebdo, à Paris, le mercredi 7 janvier 2015. Les Parisiens ont capturé des images vidéo effrayantes de deux armes masquées...

La Citroën C3 des assaillants, quelques minutes après l’attaque de la rédaction.Image : AP via Associated Press Television

Les hommes en noir, deux frères âgés de 32 et 34 ans, s’appellent Chérif et Saïd Kouachi. Ils profitent de l’arrivée de la facteur, chargée de remettre une lettre recommandée, pour s’engouffrer dans le bâtiment numéro 6. Ils n’y trouveront qu’une société audiovisuelle, l’Atelier des archives. Mais non, Charlie.

« Où est Charlie Hebdo ?

Agacés par cette erreur, les frères Kouachi s’en prennent aux salariés et à la facteur. Un premier coup de feu passe par une porte vitrée. Terrifié, l’un d’eux communique la localisation exacte de l’hebdomadaire.

11h25.

Au rez-de-chaussée du numéro 10, dans un petit local de l’immeuble, Jérémy Ganz, employé d’une entreprise de maintenance, est flanqué de son collègue et ami, Frédéric Boisseau, « Fredo ». Ils sont interrompus par la porte qui s’ouvre et par un premier homme qui entre en criant « Charlie ! ». Un seul coup. Sans comprendre, Jérémy aperçoit le canon fumant. Il sent la poudre à canon. Ses oreilles bourdonnent. Ses yeux sont fixés sur Chérif Kouachi, toujours debout devant lui. Il a crié : “Nous sommes en maintenance, c’est notre premier jour !”

Ce n’est qu’une fois les intrus partis et l’odeur métallique du sang dans ses narines qu’il comprit que Fredo s’était effondré, propulsé hors de sa chaise par la violence du tir.

“Je suis touché, appelle Catherine”

Frédéric Boisseau

Le sang coule, Jérémy cherche un endroit où se cacher. Peut-être que ces hommes en noir reviendront pour terminer le travail. Vite, les toilettes. Mais porter Fredo, immobilisé, couvert de sang et dont la carrure flirte avec les 100 kilos, est impossible pour ce jeune diabétique en manque de sucre et en état de choc. Mais l’énergie du désespoir l’aide à y entraîner son ami.

11h33.

Pendant ce temps, au deuxième étage, la réunion éditoriale de Charlie Hebdo touche à sa fin. Il est presque l’heure d’aller manger un morceau aux Petites Canailles, un bistrot de la rue Amelot, mais la conversation continue encore un peu. Distraite, Coco regarde sa montre : elle doit aller chercher sa fille à la garderie. La créatrice se lève et pose la main sur l’épaule de Tignous, assis à côté d’elle, pour lui annoncer son départ, avant de rejoindre la responsable des abonnements, Angélique Le Corre. Elle lui propose de fumer une cigarette avant de lever les voiles.

Les deux femmes sont toujours dans la cage d’escalier lorsque deux silhouettes noires les interrompent en descendant. Une voix inconnue interpelle alors personnellement le designer.

L’intéressé s’y prend très vite. Charb, la directrice de la publication, dessine si bien les armes qu’elle sait parfaitement à quoi ressemble une Kalachnikov.

Toujours cette même phrase sur mes lèvres. «Nous voulons Charlie. Nous voulons Charb. L’un des deux hommes l’attrape. Il faut remonter les marches. Dans un état de « détresse absolue », Coco grimpe au premier étage et montre la porte. Elle croit être arrivée au journal lorsqu’elle se rend compte de son erreur. Ils ne sont pas au deuxième étage.

Le canon du pistolet derrière le dos, la créatrice de 32 ans pense que son erreur lui coûtera la vie. Elle plie les genoux, comme pour s’agenouiller. “Désolé, désolé, je n’étais pas au bon étage”, murmure-t-elle. Un terroriste lui répond d’une voix froide. “Pas de blagues, sinon on vous tire dessus.” Ensuite, toujours le même refrain.

“Nous voulons Charb, nous voulons Charb”

Le cerveau « comme paralysé », Coco compose le code qui permet d’ouvrir la porte de Charlie Hebdo. Les images de vidéosurveillance montrent très précisément 11h33’50” lorsqu’elle est poussée à l’intérieur des locaux par Chérif Kouachi. Simon Fieschi, le webmaster du journal, est installé à l’entrée. Toujours assis, il a à peine le temps d’apercevoir un homme cagoulé qu’il entend « Allah Akbar ! ». Puis tac tac. Simon prend une balle. Le deuxième le manque. Il voit passer le groupe avant de perdre connaissance, grièvement blessé.

Coco n’intéresse plus les tueurs. Alors, la jeune femme se réfugie sous un bureau.

Dans la salle de réunion, on comprend déjà ce qui se passe. Franck Brinsolaro, le policier chargé de protéger Charb, pose sa main sur sa hanche pour dégainer son arme. « Ce n’est pas normal », murmure-t-il, avant de dire à Sigolène de ne pas bouger. Mais c’est trop tard. Les tueurs entrent en criant le nom du directeur de la publication, avant d’appeler ceux des membres de la rédaction. Succession de plans. Précis. Ciblé. Les corps tombent. Un par un.

« Ce n’était pas des rafales. Personne n’a crié”

Sigolène Vinson, dans son témoignage

Ensuite, silence. Un silence de plomb. Réfugiée au fond de la pièce, Sigolène entend des pas. Un tueur l’a débusquée. Après avoir tué de trois balles son collègue Mustapha Ourrad, il pointe sur elle sa Kalachnikov. Paralysée, les yeux fixés sur Chérif Kouachi, elle a le temps de penser que ses proches vont être tristes. Puisque, finalement, une balle dans la tête, ce sera « vite ».

Sauf que Chérif Kouachi baisse son arme et met son doigt à sa bouche. Il lui dit qu’il ne la tuera pas, car il ne tue pas les femmes. Sigolène croit percevoir une « douceur » dans ses yeux noirs. Il lui ordonne seulement de lire le Coran. D’un seul souffle, elle promet oui.

11h35

Les images de surveillance montrent 11h35’27” lorsque Chérif Kouachi réapparaît dans le champ de vision de la caméra placée près de l’entrée. Il lève alors son index vers le ciel. Son frère Saïd ouvre la porte et, à 11h35’36”, les deux terroristes quittent les lieux, dans un nuage de poudre. Il ne leur a fallu qu’une minute et 49 secondes pour tuer onze personnes.

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Image : PISCINE AP Reuters

Dans la rédaction, il ne reste que du brouillard. Une odeur de métal et de sang. Un calme de mort. Des corps partout. Laurent Léger se lève et remarque l’empilement de tables renversées et de cadavres. Il croise les regards de ceux qui sont encore en vie. Étourdi, abasourdi.

Coco regarde les jambes de Cabu. Elle les reconnaît grâce aux miettes qui sortent de son manteau. Il a mangé un morceau de pain pendant la réunion. Quant à Sigolène, elle s’approche de Fabrice Nicolino, qui lui demande de lui tenir la main car il « a l’impression de s’en aller ». La jeune femme regarde le costume pied-de-poule de Bernard Maris. Un costume qu’elle n’aime pas. Sa cervelle est répandue par terre.

“Quelques minutes avant, c’était l’intelligence, l’humanisme, et maintenant c’était sur le terrain”

Sigolène Vinson

Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, Jérémy Ganz tente en vain de comprimer le sang de Fredo. Son collègue et ami le regarde et lui demande de dire à ses enfants qu’il les aime. « Après, j’ai compris qu’il était mort », se souvient-il devant le tribunal, des années plus tard, lors du procès des attentats du 7 janvier.

Chérif et Saïd Kouachi sortent, très calmement, rue Nicolas-Appert. Arrivée très tard à la conférence de rédaction et tenue à l’extérieur du bâtiment, la designer Luz les regarde, pétrifiée, sortir à reculons dans une sorte de chorégraphie absurde. Les deux frères se préparent alors à affronter une première vague de policiers. Après un échange de coups de feu, c’est au cri de « Allah akbar » qu’ils ont regagné leur Citroën C3 noire devant l’immeuble, au bout de la rue, à l’angle de l’Allée Verte.

C’est un peu plus loin, boulevard Richard-Lenoir, qu’Ahmed Merabet, 40 ans, leur fait face. Une dernière rafale de coups de feu retentit. Le policier s’effondre. « Vous vouliez nous tuer », crache l’un des deux frères à leur approche. “Non, c’est un bon patron”, rétorque Ahmed Merabet, peut-être dans l’espoir de lui sauver la vie. En vain.

Un homme armé masqué court vers une victime de ses tirs devant les bureaux du journal satirique français Charlie Hebdo, à Paris, le mercredi 7 janvier 2015. Les Parisiens ont capturé une image vidéo effrayante ...

Ahmed Merabet, ici sur le terrain, est la dernière victime des frères Kouachi.Image : AP via Associated Press Television

Il reçoit une balle dans la tête. Le policier sera la douzième et dernière personne assassinée par les terroristes, ce 7 janvier 2015, avant une traque de deux jours qui se terminera dans une usine de Dammartin-en-Goële, avec l’attaque du GIGN et la mort du frères Kouachi.

A few minutes, twelve victims. Frédéric Boisseau, Sodexo employee, Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad, cartoonists, Bernard Maris, columnist, Michel Renaud, guest, Franck Brinsolaro, brigadier in charge of security, and Ahmed Merabet, police officer.

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