En 1918, la grippe espagnole, surnommée la « grande tueuse », a causé entre 50 et 100 millions de morts dans le monde, dont plus de 50 000 au Canada et près de 15 000 au Québec. Mais sur la Côte-Nord, le village de Baie-Johan-Beetz a été épargné par cette épidémie. Selon les historiens, il aurait échappé aux dangers de la grippe grâce notamment aux connaissances de celui qui a donné son nom à cette localité, Johan Beetz.
Le professeur d’histoire et de géographie à l’école secondaire Jean-du-Nord de Sept-Îles, Francis Abud, rappelle qu’à l’époque, la Côte-Nord était isolée par voie terrestre du reste du Québec.
Nous avons été transportés [vers la Côte-Nord] en bateau. Le transport maritime était un incubateur de virus. Toutes les communautés de la Côte-Nord ont été touchées par la grippe, sauf Baie-Johan-Beetz
il explique.
L’enseignant indique que la position géographique et les décisions politiques prises par la communauté ont contribué à protéger ce village.
A l’époque, le village était dirigé par Johan Beetz, le fondateur de la communauté. Il est chirurgien naturel et biologiste belge. Il comprend les dangers de la contagion. Grâce au télégraphe, il se tenait très informé de l’évolution de la maladie. Il rassemblera la communauté, et collectivement, il décide de fermer [ses portes] au reste de la province
dit Francis Abud.
Marie-Josée Biron a enseigné l’histoire au Cégep de Baie-Comeau, notamment en 2020, en pleine pandémie de COVID-19. Durant cette période, lors d’une interview accordée à l’émission Bonjour Côteelle revient sur les événements entourant l’isolement de Baie-Johan-Beetz au début du 20e siècle.
Les gens ont rapidement écouté M. Johan Beetz car il était considéré [comme un] savant. Il a vu les progrès fulgurants [de la grippe espagnole] sur la Côte-Nord. Il décide de prendre les mesures nécessaires pour épargner son village.
Quarantaine du village
Selon Francis Abud, couper Baie-Johan-Beetz du reste du Québec n’était pas une tâche complexe.
Il était assez facile de circonscrire, d’isoler le village de Baie-Johan-Beetz. Relations avec le monde extérieur [étaient] assez limité. bateaux [venaient] deux ou trois fois par an pour le courrier, sauf ceux pour la pêche.
Des mesures ont été mises en place pour assurer l’isolement du village.
Si un bateau s’approchait de la communauté, un équipage de Baie-Johan-Beetz montait à bord du bateau. Des armes étaient présentes. Nous avons demandé aux gens de voir s’il y avait des malades à bord. Ensuite, nous avons mis en quarantaine les expéditions qui arrivaient au village.
dit Francis Abud.
La municipalité de Baie-Johan-Beetz, en Minganie. (Photo d’archives)
Photo : - / Marc-Antoine Mageau
Selon Marie-Josée Biron, Johan Beetz lui-même a travaillé à la mise en place de ces mesures. Il est allé lui-même chercher les colis. Il a pris soin de désinfecter tous les colis, lettres et journaux qui entraient dans la communauté
dit-elle.
L’employé des postes ne pouvait plus s’y rendre.
Les sacs du facteur étaient désinfectés en mer, avant même de les amener à terre. Plusieurs commerçants de la région contestèrent ce blocus. Ils ont porté plainte auprès du gouvernement et ont même demandé à la police d’intervenir avec force.
explique Francis Abud.
Durant l’épidémie, Baie-Johan-Beetz est toujours restée en communication avec les autres villages voisins de la côte nord.
Ils savaient que les villages voisins souffraient de la grippe espagnole. Par exemple, à Saint-Pierre-de-la-Pointe-aux-Esquimaux, maintenant Havre-Saint-Pierre, on parle de quarante à cinquante personnes décédées pendant la pandémie.
ajoute le professeur.
Depuis, la commune porte le nom de Johan Beetz.
Conscients de l’intérêt de l’initiative, les citoyens ont demandé que le nom du village soit celui de Baie-Johan-Beetz, nom déjà donné au bureau de poste et souvent utilisé localement et régionalement.
peut-on lire sur le site Internet de la Municipalité.