Né en 1824, le compositeur autrichien Anton Bruckner est une icône particulière de la Musique classique. Ses symphonies témoignent d’un héritage baroque, de structures classiques et d’un idéal romantique. Ces « cathédrales sonores », comme les appellent certains critiques, se caractérisent par de longs mouvements, invitant l’auditeur à prendre le temps non seulement de ressentir l’émotion esthétique mais aussi de déceler l’entrelacs de fils reflétant la complexité contrapuntique. Une complexité difficile à interpréter et à diriger, c’est pourquoi ses œuvres restent moins interprétées que celles de ses contemporains, Wagner, Brahms et Mahler. Mais la célébration internationale en 2024 du bicentenaire de sa naissance le réaffirme. sa présence et c’est dans ce contexte que Rémy Ballot, chef d’orchestre et violoniste français collaborant avec le Bruckner Festival Saint-Florian depuis 2011 et résidant à Vienne, se confie à L’Orient-Le Jour les secrets et mystères du compositeur.
L’inclassable Bruckner
Bien qu’il soit une figure musicale remarquable du XIXe siècle, rappelant l’harmonie de Richard Wagner et annonçant le romantisme métaphysique de Gustav Mahler, Bruckner reste inclassable. Selon Rémy Ballot, « il a également poursuivi le classicisme symphonique amorcé par Beethoven au XVIIIe siècle tout en profitant des bases grammaticales que l’on retrouve chez Haydn, Mozart et Schubert, sans oublier les empreintes de la musique sacrée ». De plus, et en plus de ses symphonies, les messes et leJe vous salue Marie de Bruckner comptent également parmi ses chefs-d’œuvre. Musique religieuse et essentiellement philosophique, l’œuvre de Bruckner est à la fois une « phénoménologie et une transcendance poétique avec une dimension psychologique », confie Rémy Ballot à L’HUILE. Il s’agit bien de « croire en ce qui est plus grand », ce qui rappelle aussi la logique de Bach sur laquelle s’appuyait le compositeur autrichien.
Qui dit Bach, dit architecture et mathématiques. Bruckner, l’enfant du XIXe siècle, a maintenu la logique du plus célèbre compositeur baroque du XVIe siècle. Rémy Ballot explique que « bien que trois siècles les séparent, Bruckner est influencé par la logique des œuvres de Bach ». C’est dans cette veine que Bruckner a construit ses symphonies. “Sa musique s’inscrit organiquement dans un même principe de continuité et de logique”, ce qui lui permet aussi de “se laisser indirectement influencer par la philosophie rationaliste et logiciste de Leibnitz : il a fait en petits ce que Dieu a fait en grands”, souligne le chef d’orchestre. .
C’est à partir de cet édifice mathématique que la musique de Bruckner a pu se développer rationnellement jusqu’à exploiter le temps et l’espace : ses symphonies sont en effet marquées par de longs mouvements où le temps s’étend, car « Bruckner ne veut pas anticiper les choses ». Et ce qui semble être une très longue symphonie n’est en réalité qu’une affaire de quelques minutes pour Rémy Ballot lorsqu’il dirige, ainsi que pour les auditeurs qui se laissent submerger par la musique. N’est-ce pas une application pratique de la théorie de la relativité d’Einstein ?
Comment apprécier la musique de Bruckner ?
Ce style inclassable marqué par plusieurs disciplines scientifiques laisse penser que Bruckner est inaccessible, poussant même certains critiques à considérer que sa musique est conçue pour l’oreille germanique. Rémy Ballot rejette ce constat : « Sa musique est faite pour toutes les oreilles ! » « Si la musique de Mahler est plus séduisante, celle de Bruckner reste plus solennelle, voire austère », explique-t-il. Sa musique symphonique peut paraître obscure, mais le secret n’est pas d’agir dès qu’on la reçoit, mais plutôt d’accepter d’être pris par la main dans un long voyage. » Certes, Bruckner est particulier, mais « il voulait être joué sans que son style soit compromis ». Rémy Ballot conseille au public mélomane et néophyte de commencer par les 4e, 7e et 8e symphonies « qui expriment la vaste panoplie des émotions humaines et des états psychiques ».
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Vote au Moyen-Orient
Dernier élève du célèbre maestro roumain Celibidache, Rémy Ballot, à l’image du style aux influences diverses de Bruckner, s’aventure musicalement sur plusieurs territoires : de Cuba à Oxford, de Chypre au Moyen-Orient, son parcours l’a amené à collaborer avec la Fondation Barenboïm-Saïd. Créée par le chef d’orchestre et pianiste israélo-argentin Daniel Barenboïm et le professeur et critique palestinien Edward Saïd, la fondation a pour objectif de rassembler les talents musicaux du Moyen-Orient dont les États sont en conflit politique et historique afin de combattre le racisme et les préjugés par la musique. Rémy Ballot a en effet été chef d’orchestre à la fondation à Ramallah, branche de l’Académie Barenboïm-Saïd de Berlin, où il a participé à la création et à la construction du « Filasteen Youth Orchestra » avec lequel il a effectué des tournées à Ramallah, Nazareth, Naplouse et Amman. Le musicien a également noté que « les jeunes de la région ont atteint un certain niveau de maturité où l’on ressent un désir fertile d’apprendre » et que « les stéréotypes sont malheureusement encore vivants en Occident », critiquant ainsi le fait de négliger, en Europe, les civilisations qui ont précédé – et ont encore servi de données précédant – la Grèce. « La Grèce n’est pas le début », Ballot évoque avec indignation l’exemple d’une épopée mésopotamienne chère à son cœur et au patrimoine mondial, celle de Gilgamesh.
Parlant du Moyen-Orient, Ballot indique son envie d’aller un jour à Beyrouth, lui qui adore, « comme un bon Français », la cuisine libanaise qu’il connaît très bien. Et adresse au public libanais, qui traverse une période difficile, un dernier message : « Nous nous posons tous souvent les mêmes questions… la musique classique veut apporter de nombreuses réponses. »
Né en 1824, le compositeur autrichien Anton Bruckner est une icône particulière de la musique classique. Ses symphonies témoignent d’un héritage baroque, de structures classiques et d’un idéal romantique. Ces « cathédrales du son », comme les appellent certains critiques, se caractérisent par de longs mouvements, invitant l’auditeur à prendre le temps non seulement…