Dans le fief alaouite du clan Assad, dans l’ouest de la Syrie, les membres de cette minorité saluent sa chute, mais craignent une marginalisation, ou pire, des représailles, avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition rebelle menée par les islamistes.
Au terme d’une fulgurante offensive qui lui a permis de s’emparer d’une grande partie du pays, cette alliance dirigée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a pris Damas le 8 décembre.
Elle marquait ainsi la fin du règne du président Bachar al-Assad, qui se posait en protecteur des minorités dans ce pays à majorité musulmane sunnite.
“Beaucoup de gens comme moi sont inquiets parce que ceux qui nous ont libérés (…) incluent des factions qui ont une sombre histoire”, a déclaré à l’AFP un étudiant alaouite de la ville côtière de Lattaquié, qui s’est entretenu par téléphone avec l’AFP. nécessite l’anonymat.
“Les Alaouites étaient très proches du régime Bachar”, issus de cette minorité, branche de l’islam chiite, et dont ils constituaient la “garde prétorienne”, explique le politologue Fabrice Balanche, auteur de l’ouvrage “Les leçons du Crise syrienne.
Il estime leur nombre à 1,7 million aujourd’hui, soit environ 9 % de la population.
Selon M. Balanche, « leur association avec le régime risque de provoquer une vengeance collective à leur encontre. D’autant plus qu’ils sont considérés comme des hérétiques par les islamistes.»
Dans une déclaration commune, les chefs religieux de la communauté alaouite ont appelé à une amnistie générale pour tous les Syriens et à des garanties pour le retour en toute sécurité des personnes déplacées.
Alors que les amis sunnites de l’étudiante alaouite partagent des messages d’unité en ligne, la jeune femme se dit préoccupée par de nombreux commentaires haineux.
“J’ai lu: +Votre tour viendra+ ou +Nous allons vous tuer+”, raconte-t-elle, affirmant ressentir “beaucoup de tensions communautaires”.
Sa sœur et son beau-frère songent même à quitter le pays, raconte-t-elle.
HTS est issu de l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front Al-Nosra, dont il s’est séparé en 2016, et qui avait mené des attaques meurtrières contre les Alaouites au début de la guerre civile en Syrie.
L’avancée des rebelles venus du nord de la Syrie a poussé de nombreux Alaouites, notamment dans la ville de Homs (centre) où ils sont basés, à fuir vers la région côtière de Lattaquié et Tartous, cœur de leur communauté.
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a fait état de plusieurs incidents de violences de la part de combattants rebelles dans cette région côtière depuis la chute de Bachar al-Assad, notamment contre des civils.
Face à ces inquiétudes, le nouveau pouvoir dominé par HTS a affirmé que son gouvernement « garantira les droits de tous les peuples et de toutes les confessions ».
Mais la chute du président déchu a également provoqué des manifestations de joie au sein de sa communauté, et des statues de Hafez al-Assad, son père et prédécesseur, ont été démolies à Lattaquié et Tartous.
L’étudiante explique que parmi ses amis alaouites, la plupart « ne pouvaient pas soutenir » le clan Assad, qui a exercé un pouvoir incontesté pendant un demi-siècle, « parce qu’il nous volait, monopolisait les richesses du pays ».
« Ils nous ont obligés à vivre dans la pauvreté, sans électricité ni eau courante, alors que les prix montaient en flèche », dit-elle.
La petite communauté alaouite, surreprésentée au sein des forces armées, a également payé un lourd tribut dans le conflit déclenché en 2011 par la répression d’un soulèvement pro-démocratie.
“Un homme sur trois entre 20 et 45 ans est mort” pendant le conflit, explique M. Balanche.
Le jour de la chute d’Assad, « j’ai ressenti un mélange de peur et de joie », se souvient un enseignant d’une quarantaine d’années de Jableh, ville voisine de Lattaquié.
Il raconte que certains des combattants rebelles qui sont entrés à Jableh après la chute d’Assad ont demandé à un magasin de cesser de vendre de l’alcool, tandis que d’autres ont demandé à un gymnase de retirer une affiche montrant une femme faisant de l’exercice. exercice.
“Nous sommes ouverts à collaborer avec n’importe quel parti, et nous voulons un Etat de droit (…) mais nous sommes inquiets de l’arrivée d’un régime islamique”, a-t-il déclaré, joint par téléphone, à l’AFP.