« L’injustice est le thème sous-jacent de mon travail »

Les Shikhate sont des chanteurs populaires admirés mais aussi méprisés : pourquoi ?

Au début ces femmes étaient considérées comme des héroïnes : à travers leur chanson, l’Aïta, elles exprimaient des messages politiques, elles étaient l’âme et la voix du pays. Mais à partir des années 1950 et 1960, à cause de la pauvreté, ils ont abandonné leurs campagnes pour s’installer dans les grandes villes comme Casablanca. Ils chantaient dans les cabarets, bars et autres lieux ombragés pleins d’alcool et de prostitution. C’est pourquoi ils étaient méprisés par la plupart des gens. C’est pour cela que j’ai décidé de faire ce film : leur redonner un statut.

mouette

Tu peux avoir la plus belle voix du monde, apprendre toutes les Aîtas que tu veux, si tu n’as pas le rythme tu n’es pas un shikhate

Dans le rôle de Touda, Nisrine Erradi est extraordinaire. Comment l’as-tu choisi ?

Il a joué AdamoLe premier film de Maryam (NDLR : Touzani, réalisateur de Caftan Bleuépouse et partenaire artistique de Nabil Ayouch). Nous vivons et travaillons ensemble avec Maryam et nous avons co-écrit le personnage en pensant à Nisrine. C’était elle, ou rien. Alors je l’ai choisie, mais elle m’a aussi choisi. Pendant un an et demi, elle s’est soigneusement préparée, elle a appris à chanter, à bouger et même à parler, car ils ont leur propre façon de parler et leur propre langage.

Nisrin Erradi a longtemps exercé pour incarner un « vrai » chikhate. ©Ad Vitam

C’est à dire ?

Dans le film, lorsque les sous-titres sont en jaune, cela signifie qu’ils parlent en « Raous », une langue inventée par et pour les Shikhati pour ne pas être comprise des autres Marocains. Mais il y a aussi le chemin de quoi ils parlent. Et le rythme est essentiel : tu peux avoir la plus belle voix du monde, apprendre toutes les Aîtas que tu veux, si tu n’as pas de rythme tu n’es pas un shikhate. Nisrine s’est entraînée longtemps pour obtenir le résultat que l’on voit dans le film.

mouette

Ces chikhates expriment à travers leurs chants des luttes universelles, malheureusement toujours d’actualité, comme le droit à l’éducation.

À travers Touda, le film véhicule-t-il une déclaration plus large sur les relations hommes-femmes ?

Oui, d’une certaine manière ces chikhate expriment à travers leurs chants, malheureusement toujours d’actualité, des luttes universelles : pour le droit à l’éducation, à l’héritage…

Les chansons de Shikhate ont encore des accents modernes
Les chansons de Shikhate ont encore des accents modernes ©Ad Vitam

Quels réalisateurs vous inspirent ?

Dépôt ToudaJe pensais Cabaret, Thelma et Louise… Mais dans ma vie, celui qui m’a le plus inspiré était Charlie Chaplin. J’ai grandi à Sarcelles, banlieue ouvrière communiste de Paris, et c’est là que j’ai découvert son cinéma. Un cinéma basé sur l’injustice. C’est ce qui a façonné mon regard de cinéaste : l’injustice est le thème sous-jacent de mon travail.

Un mot sur le titre, pourquoi « Tout le monde aime Touda » ?

Je voulais un titre à double sens, ce qui était ironique. Parce que Touda est aimé, mais pas forcément de la bonne manière…

 
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