(Saint-Félicien, Mashteuiatsh et Saguenay) En bordure du boulevard Talbot, assise dans un salon privé à Normandin, la ministre des Forêts Maïté Blanchette Vézina présente son projet de réforme à quelques préfets. Il y a de l’impatience dans l’air.
Publié hier à 5h00
“Je l’ai dit, je l’ai dit à mes équipes, c’est pour hier”, a déclaré le ministre, pour rassurer les élus locaux.
«J’ai regardé hier, et ce n’était pas sorti», raconte le préfet de la MRC du Domaine-du-Roy, Yanick Baillargeon. Il rit en faisant sa remarque, mais l’organisation qu’il représente, la Boreal Forest Alliance, tape du pied.
Le projet de Mmoi Blanchette Vézina doit adopter à grande échelle une nouvelle façon de faire de la foresterie : concentrer l’activité industrielle sur une plus petite partie du territoire, une « zone prioritaire de production de bois », déléguer la gestion du reboisement aux entreprises et laisser le choix au Chef Forestier du Québec et ses délégués régionaux pour choisir quels secteurs seront voués à une exploitation intensive. Les détails ne sont pas finalisés, mais un projet de loi est prévu pour le printemps.
Les communes aimeraient participer aux décisions. «C’est notre responsabilité de développer le territoire», affirme Luc Simard, préfet de la MRC Maria-Chapdelaine. Le ministre répond qu’avec des élections municipales tous les quatre ans, ce serait trop imprévisible. Une MRC pourrait décider d’interdire l’abattage d’arbres, par exemple. « La forêt publique appartient à tout le monde », argumente-t-elle.
Mais au-delà de certains désaccords, ils s’accordent sur le fait que le statu quo est intenable.
Crise
L’industrie forestière est en crise. Elle est menacée par la guerre commerciale avec les États-Unis, subit les répercussions des incendies de forêt historiques de 2023 et craint d’avoir accès à moins de bois avec l’adoption de mesures pour protéger le caribou forestier ou pour protéger 30 % du territoire de Québec.
On entend rarement cette urgence dans les grandes villes. Mais dans des régions comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, les pertes d’emplois s’accumulent. Les syndicats estiment que 30 000 travailleurs ont perdu leur emploi au cours des 20 dernières années.
Une usine qui ferme, c’est souvent un tas de petits entrepreneurs un peu partout qui perdent aussi leur emploi, fait valoir M. Baillargeon.
La ministre Maïté Blanchette Vézina n’est pas la plus sollicitée par les médias sur la Colline parlementaire. En 2024, elle fait adopter un projet de loi minière sans grande polémique. Mais lorsqu’elle met les pieds dans une région forestière, elle attire l’attention.
En matinée, elle est à Saint-Félicien pour annoncer des aides économiques pour des projets de valorisation de la biomasse forestière. En mêlée de presse, un journaliste lui a fait remarquer que les environnementalistes, les Premières Nations et les syndicats critiquaient sa tournée de consultations, menée à huis clos, et ce qu’elle proposait.
Mais Maïté Blanchette Vézina en est certaine : un nouveau régime forestier basé sur la culture en « triade » est le moyen de combiner la protection du caribou forestier, la création d’aires protégées et la capacité du Québec à produire davantage de bois destiné à l’industrie forestière, qui doit aussi moderniser, explique-t-elle à La presse en entretien.
Produire plus, avec moins de territoire
Il s’appuie sur les travaux de Christian Messier, professeur à l’UQAM et chercheur reconnu dans le domaine forestier, qui a dirigé un projet pilote en Mauricie au cours des années 2010.
Le principe ? Séparez la forêt en trois zones : zones protégées ; une forêt à usage mixte telle que nous la connaissons aujourd’hui ; une zone où l’on pratique une culture intensive.
Dans le cadre de ce projet pilote, 15 % du territoire était en culture intensive. A quoi pourrait ressembler cette forêt ? «Au pire comme au meilleur», résume M. Messier. Traditionnellement, il s’agit d’une monoculture où toutes les espèces, sauf celle que l’on souhaite récolter, sont éliminées. « Mais aujourd’hui, nous savons qu’en diversifiant les plantations, nous améliorons les récoltes et rendons la forêt plus résiliente aux maladies », explique-t-il. Il reconnaît cependant qu’il n’y a pas de consensus sur cette vision et que certains de ses collègues craignent une culture intensive.
Mais cela, affirme-t-il, peut produire jusqu’à quatre fois plus de bois par hectare que la forêt dans son état naturel. Cela réduirait donc la pression sur le reste du territoire, notamment pour atteindre l’objectif de 30 % d’aires protégées d’ici 2030, a déclaré la ministre Maïté Blanchette Vézina, qui a rencontré M. Messier à plusieurs reprises au cours de la dernière année.
La réforme ne plaît pas à tout le monde. Les syndicats estiment que le gouvernement Legault doit en faire davantage pour que l’industrie forestière quitte le créneau du « papier et du deux par quatre », affirme Daniel Cloutier, directeur québécois d’UNIFOR, qui représente notamment les travailleurs du géant du bois Domtar. .
Le point de vue des Premières Nations
Et du côté des Premières Nations, les critiques viennent de tous bords. - rapportait la semaine dernière qu’une lettre signée par plusieurs nations autochtones déplorait la « vision biaisée » de M.moi Blanchette Vézina, au bénéfice de l’industrie.
À Mashteuiatsh, une communauté innue située au bord du lac Saint-Jean, non loin de Roberval, le vice-chef Jonathan Gill-Verreault prétend que le gouvernement Legault n’a pas respecté son obligation constitutionnelle de consulter les Premières Nations. S’il tente d’imposer des zones forestières intensives sur son territoire, il s’exposera à des poursuites. Mais il n’a pas signé la lettre.
« Nous ne sommes pas contre l’industrie. Nous vivons entourés de gens qui dépendent de l’industrie. Nous avons ici des familles qui en vivent, des centaines de travailleurs. Nous sommes solidaires des villages lorsqu’une scierie ferme. Mais il faut un équilibre. Si, dans la région, nous continuons à exploiter la forêt à ce niveau, nous nous heurterons à un mur dans 15, 20 ans », dit-il.
M. Gill-Verreault a trente ans. Il est trop jeune pour avoir chassé le caribou sur son territoire, même si un moratoire sur la chasse de cet animal sacré pour les Innus a été décrété il y a près de 20 ans par sa communauté en raison du déclin de l’espèce. Cela a un impact sur la transmission de la culture, même si une entente a été établie avec les Cris.
« Ce n’est pas un sacrifice, c’est à nous de protéger le caribou. Si nous exploitons l’ensemble de notre territoire, c’est toute notre biodiversité qui risque de disparaître. Et ce n’est pas à cause du caribou que l’industrie est en difficulté», souligne-t-il.
Mais la ministre Maïté Blanchette Vézina croit en son projet. Le nouveau régime forestier permettra de protéger davantage de territoire, au profit du caribou forestier et des autres utilisateurs de la forêt. Et la « tempête parfaite » que traverse l’industrie permettra, estime-t-elle, de diversifier les marchés. Elle estime qu’un « point de bascule » sera atteint : et le Québec devra se tourner massivement vers les infrastructures industrielles en bois pour créer un « marché intérieur ».