Pour l’historien de l’architecture Mathieu Lours, auteur du livre officiel sur le chantier de Notre-Dame, cela ne fait aucun doute : une reconstruction « à l’identique » de la cathédrale était nécessaire, même dans le recours aux techniques du Moyen Âge.
Quels mots, selon vous, résumeraient le travail de reconstruction qui a été réalisé ?
Je dirais émerveillement, compétences, efficacité. Ayant vu le chantier et y étant allé très souvent, j’ai vu la métamorphose.
Quel pourcentage de ce qui a été détruit par l’incendie d’avril 2019 a été reconstruit à l’identique ?
Tous. Rigoureusement identique. La toiture, la flèche, la charpente en bois…
La décision de reconstruire à l’identique a suscité un débat en France. Ce choix était-il nécessaire, selon vous ?
Oui. Nous sommes en conformité avec tous les grands textes sur le patrimoine. Charte de Venise, Charte de Cracovie, Charte de Kyoto, tout est parfaitement aligné.
Quand on connaît l’état actuel d’un monument, quand on peut techniquement le refaire, et quand il a une importance et une esthétique forte, on est presque moralement tenu de le reconstruire à l’identique.
Techniquement, nous avons fait des merveilles pour pouvoir mettre en œuvre les techniques qui nous permettent d’avoir l’identité et l’authenticité de ce que nous reconstruisons.
Nous avons repoussé les limites jusqu’à utiliser des techniques médiévales et des métiers artisanaux, comme au XIIe siècle.e siècle. N’avons-nous pas été plus catholiques que le Pape ?
Non, nous ne poussons jamais trop loin les limites lorsqu’il s’agit de travailler à la restauration d’un tel symbole. Il était fondamental de faire appel à tous ces artisans. D’une part parce qu’ils restaurent déjà tous les monuments historiques de France. D’autre part parce qu’il sera utile pour tous les autres bâtiments qui doivent être restaurés suite à un sinistre. Notre-Dame est un laboratoire au service de tous. A toutes les restaurations monumentales. Et puis, maintenir aujourd’hui la qualité des bâtisseurs d’hier témoigne de la grandeur nationale. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit d’un projet d’État.
Et la question du plomb ? La toxicité du plomb était un gros problème après l’incendie, l’air à Paris était irrespirable. Nous avons cependant décidé d’en réutiliser une partie pour cette reconstruction, notamment pour recouvrir la flèche, réalisée par Eugène Viollet-le-Duc dans les années 1850. Greenpeace a parlé de « scandale sanitaire »…
Si on veut le reconstruire à l’identique, il faut ajouter du plomb car on n’obtient pas la même couleur et la même finesse ornementale avec le zinc ou avec le cuivre. Si l’on veut une Notre-Dame à l’identique, c’est une Notre-Dame en plomb. Indiquer. Ensuite, nous mettons en œuvre tout le nécessaire pour que les risques soient combattus par des procédures. Là, c’est aux scientifiques de dire ce qui se passe…
Les travaux de reconstruction et de restauration ont-ils permis de faire des découvertes dans la cathédrale ?
Beaucoup de choses. Il y a d’abord le soutien scientifique du chantier, lié à l’étude des matériaux. Nous avons également découvert des choses sur […] la manière dont les arcs-boutants maintiennent les voûtes, sur l’utilisation du métal pour entourer la construction. Et il y a eu des fouilles archéologiques, avec les sculptures du jubé, qui ont été retrouvées, ainsi qu’environ 120 sépultures. L’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) est intervenu chaque fois qu’il était nécessaire de creuser le sol. Il y trouva des splendeurs qui sont actuellement étudiées.
Quelque chose arrive par hasard, comme on dit…
En effet. Notre-Dame, qui était l’une des cathédrales les moins connues, est devenue l’une des cathédrales les plus connues de France. Nous connaissions peu Notre-Dame, car nous ne pouvions jamais la fermer pour y effectuer des fouilles archéologiques ou des chantiers. Comme il y avait beaucoup de monde, nous n’avons jamais pris le - de nettoyer l’intérieur. Les murs n’avaient pas été nettoyés depuis 1864 ! Au lieu de jouer sur des murs sales, les vitraux jouent désormais sur des murs propres, et cela change complètement la clarté de l’intérieur. Quand tout était gris et sombre, on ne voyait pas cette colonne, ce détail. Tout cela apparaîtra désormais très bien.
Le délai de cinq ans imposé par Emmanuel Macron a-t-il compliqué le processus ? C’était encore très court par rapport à l’ampleur des travaux requis.
Surtout, cela a stimulé de nouvelles façons de gérer un chantier. L’établissement public a réussi à faire travailler en même - des corps de métier qui, le plus souvent, travaillaient successivement. En matière de gestion technique des sites classés monuments historiques, il s’agit d’une véritable avancée, rendue possible par le délai de cinq ans mais aussi par le financement exceptionnel. Parce que l’un sans l’autre n’aurait pas été possible. Ce sont des conditions optimales que nous aimerions retrouver dans d’autres projets…
Les cathédrales de France sont-elles toujours reconstruites à l’identique ou est-ce particulier à Notre-Dame ?
Cela dépend de la période. A la fin de la Première Guerre mondiale, celles qui furent détruites furent toutes reconstruites à l’identique extérieurement, avec des charpentes utilisant des matériaux modernes. Reims, Soissons, Arras n’ont pas changé d’aspect après leur restauration dans les années 1920. Même chose à Rouen après la Seconde Guerre mondiale. La tradition française est donc vraiment identique. Au Moyen Âge, en revanche, il n’en était pas ainsi. Nous reconstruisons toujours dans un style contemporain.
Certains pensent qu’on aurait pu en profiter pour moderniser certaines choses, notamment cette flèche. De nombreuses propositions sont allées dans ce sens…
Mais ce discours parle d’intention expérimentale, de réflexion. Pas une implémentation. On aurait pu imaginer un bel album ou une exposition sur des projets architecturaux avec des dessins imaginaires. Cela aurait montré qu’une cathédrale gothique pouvait stimuler la créativité contemporaine. Mais de là au choix d’un de ces projets… Il n’y avait aucun critère objectif pour choisir l’un plutôt que l’autre, et même Jean Nouvel, qui est l’un des plus grands architectes français contemporains, disait qu’il fallait que Notre-Dame soit plus gothique que jamais. Cela n’empêchera jamais les artistes d’imaginer, et ils doivent le faire, car ce qu’ils ont imaginé pour Notre-Dame, ces flèches de cristal, etc., serviront sans doute à construire des monuments contemporains qui s’inscrivent dans les traditions.
Certains vitraux d’origine sur les côtés du bâtiment ont encore été remplacés par des vitraux plus modernes, n’est-ce pas ?
Ces vitraux n’ont toujours pas été installés. Celles que nous avons aujourd’hui sont Notre-Dame, identiques à celles que nous avions auparavant. Ce projet est toujours en discussion. Le Président de la République veut ces nouveaux vitraux. La Commission des Monuments Historiques a dit non. Mais la Commission n’est que consultative…
Rebuilding Notre-Dame de Paris
Matthieu Lours
Editions Tallandier
304 pages