Quel avenir pour les immenses et controversés navires de croisière ? – .

Quel avenir pour les immenses et controversés navires de croisière ? – .
Quel avenir pour les immenses et controversés navires de croisière ? – .

Qu’est-ce qui vous a fasciné en Normandie ?

J’ai voulu montrer dans un beau livre à quel point les Français se sont retrouvés autour de ce paquebot. La Normandie a inventé un nouveau type de navire – sa coque est encore aujourd’hui un modèle de référence – et il était aussi un symbole national. Ma grand-mère, ouvrière dans une usine des Vosges, racontait que lorsque le Normandie remporta le ruban bleu – celui du navire le plus rapide du monde – lors de son voyage inaugural entre Le Havre et New York entre le 29 mai et le 3 juin 1935, un grand un ruban bleu était exposé dans son usine.

Normandie était « en jeu », comme l’indique Adrien Motel. Mais le navire a effectué trois croisières au cours de sa carrière, dont deux à destination de Rio. Editions Place des Victoires ©DR
mouette

On a l’impression de voir d’immenses bars HLM flotter sur les mers pour déverser des milliers de personnes dans des villes déjà saturées par le tourisme terrestre.

En janvier, Royal Caribbean a lancé l’Icône des mers, le plus grand navire de croisière au monde pouvant accueillir 5 610 passagers et doté de 7 piscines… Lors de sa mise en service commerciale, le Normandie est aussi le plus grand paquebot du monde…

En effet, le Normandie est le premier navire à avoir dépassé les 300 mètres de longueur. Mais il n’a rien de comparable, dans sa forme et son usage, aux bateaux actuels. En son temps, la Normandie mesurait 313,75 mètres de long et 36,4 mètres de large pour 83 000 tonnes. Icône des mers mesure 365 mètres de long et plus de 48 mètres de large pour 250 000 tonnes : le navire a gonflé… Les compagnies ont trouvé une astuce pour accueillir davantage de passagers. Les constructeurs fabriquent des bateaux toujours plus hauts et plus larges avec des coques plus basses. Ainsi, ces voiliers de plus en plus hauts répondent à un besoin que les compagnies se sont essentiellement créées elles-mêmes dans les années 90 : la multiplication du nombre de balcons qui offre un peu de prestige supplémentaire aux passagers. Aujourd’hui, tout le monde veut son balcon… pour ne presque jamais y aller. On a l’impression de voir d’immenses barres de HLM flotter sur les mers pour déverser des milliers de personnes dans des villes déjà saturées par le tourisme terrestre ou encore sur des îlots appartenant à des entreprises, comme aux Bahamas, gérés comme une annexe du bateau. Ce modèle qui tend vers la massification et la standardisation atteint ses limites.

Vous avez décrit l’Icône des mers comme « le plus grand anachronisme du monde »…

Ce navire est anachronique comme tous ceux qui l’ont précédé dans ce modèle depuis une quinzaine d’années. Nous sommes conscients que le modèle économique de la mondialisation atteint ses limites, que sa contrepartie est une accélération du réchauffement climatique. Cette forme de parc de loisirs flottant jette l’opprobre sur la croisière en général même si elle reste un art de vivre à part entière. Heureusement, il existe des compagnies qui proposent des trajets plus longs, avec des escales plus longues. D’autres proposent des bateaux à taille plus humaine ou avec des aménagements en termes de respect de l’environnement.

Un bateau de croisière n’est-il pas quand même très polluant ?

Un navire est forcément polluant. La vraie question est de savoir comment les acteurs du secteur vont gérer la transition, notamment en passant commande de nouvelles générations de navires, plus propres et plus raisonnables.

mouette

OE Corinthian est probablement le plus beau navire au monde actuellement en construction.

Que pensez-vous des formules haut de gamme ?

C’est une niche intéressante, tant pour le rapport au voyage que pour le développement de technologies maritimes plus écologiques. C’est le cas de Ponant, qui pratique un yachting de très grand luxe et de pointe qui fonctionne bien. Ce sera bientôt le cas pour Orient Express qui est en train de faire construire son premier navire à Saint-Nazaire, l’OE Corinthian qui incarne selon moi l’avenir des croisières. La construction est probablement en cours sur le plus beau navire du monde. Il aura une coque d’une finesse extraordinaire, qui sera surmontée d’une paire de voiles rigides et mécaniques utilisant une toute nouvelle technologie que développe Solid Sail. S’il n’y a pas de vent, le moteur prendra le relais, mais la technologie des voiles peut permettre d’opérer par tous les temps. C’est intéressant de reconnecter la beauté avec quelque chose de propre. Ce modèle naval sera, à mon avis, une des clés de l’avenir des croisières.

Les deux tendances, celle du gigantisme et celle des navires plus petits et plus écologiques, persisteront-elles ?

Je pense que d’ici 2050 nous assisterons à l’effondrement du modèle des centres commerciaux et de loisirs flottants. Les entreprises construiront des navires plus petits et moins ambitieux car le fardeau social deviendra insupportable. On l’a vu avec Icône des mers qui a suscité un tollé international retentissant. Nous sommes dans un moment de remise en question générale de notre rapport au temps, à l’espace et au voyage. Et aussi sur le surtourisme. Ces modèles vont refluer. Le véritable défi sera de savoir si l’on peut, d’ici la fin du siècle, faire émerger un modèle plus lent et moins polluant. Je suis convaincu que le modèle croisière a de l’avenir s’il sait se remettre en question.

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mouette

D’ici 2060, nous aurons une bombe en matière de gestion du démantèlement des navires.»

Pensez-vous que les États devraient taxer les billets de croisière comme certains d’entre eux l’ont fait pour les avions ?

La solution du ticket est trop simple. Il faut cesser d’incriminer constamment le voyageur. En revanche, les Etats et les industriels ont un rôle à jouer entre le premier et le dernier maillon de la chaîne. D’un côté, les Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire investissent par exemple massivement pour améliorer l’efficacité de leur site en termes de respect de l’environnement. L’État français les soutient et c’est très bien. A l’autre bout de la chaîne, il faut imposer un cadre beaucoup plus rigide aux entreprises pour qu’elles ne se dérobent pas à leurs responsabilités lorsque les bateaux sont détruits. Trop de navires sont démantelés en Asie, sans plan d’ensemble, par une main d’œuvre très mal payée. Or, d’ici 2060, nous aurons une bombe en termes de gestion du démantèlement des navires, construits depuis les années 2000, et personne ne veut encore la voir.


En hausse de 7% par rapport à 2029, avant le Covid

Selon le dernier rapport de la Clia (Cruise Lines International Association), l’organisation mondiale qui représente 95% de la flotte mondiale de navires de croisière et qui entend pousser l’industrie en matière environnementale, 31,7 millions de passagers ont fait une croisière à bord des bateaux de la des entreprises membres de l’association l’an dernier, en hausse de 7% par rapport à 2019, année pré-Covid. En tête, les passagers américains (près de 17 millions). Et selon la Clia, l’offre devrait augmenter de 10 % entre 2024 et 2028.

La couverture de « Normandie, un rêve à la française ». Editions Place des Victoires ©Editions Place des Victoires
 
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