Non, notre système de santé n’est pas pourri

Les urgences débordent. Les listes d’attente pour les opérations restent longues. C’est bien entendu, nos réformes ont été des échecs, les unes après les autres, et notre système de santé est pourri, mis à mal par le secteur privé.

Mais est-ce vraiment le cas? Ou du moins, prenons-nous suffisamment en compte l’énorme pression sur le système que représente le fardeau causé par le vieillissement des patients et l’explosion des nouveaux traitements ces dernières années ?

Pour le savoir, j’ai décortiqué les données historiques sur les personnels de santé, entre autres. Et j’ai constaté que, tout bien considéré, les soins demandés par les Québécois augmentent plus vite que le personnel mis à leur disposition. Ce phénomène coûteux lié au vieillissement relativise les défaillances de notre système.

Voyons. Pour le réseau, un habitant vaut aujourd’hui l’équivalent de 1,3 habitant en 2000 par exemple, compte tenu de leurs besoins de soins plus importants du fait de leur moyenne d’âge plus élevée. Ces calculs d’équivalence complexes ont été réalisés par la Chaire de recherche Jacques Parizeau en politiques économiques⁠1.

Au total, on peut donc dire que la population, qui est passée de 7,4 millions à 8,9 millions d’habitants depuis l’an 2000, vaut en réalité aujourd’hui 11,8 millions d’habitants, en « équivalents habitants » de l’année 2000.. Nous avons donc aujourd’hui besoin de beaucoup plus de personnel par habitant.

Les conséquences sont claires. Par exemple, le nombre d’infirmières dans le réseau public est passé de 96 000 en 2013 à près de 107 000 en 2022, selon les plus récentes données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Le ratio pour 100 000 habitants a donc augmenté, passant de 1 185 infirmiers à 1 233. En principe, les choses devraient aller mieux.

Mais ce ratio de 1 185 infirmiers en 2013 a baissé aujourd’hui de 12 % si l’on prend en compte l’augmentation, à 1 038 pour 100 000 « équivalents habitants ».

Même constat pour les médecins. Le ratio pour 100 000 équivalents habitants a baissé de 13 % depuis 2015, passant de 171 médecins à 149 aujourd’hui.⁠2.

Le réseau ne s’arrête pas aux infirmières et aux médecins, pourrait-on dire. Cependant, en élargissant l’analyse à l’ensemble du personnel œuvrant dans les secteurs de la santé et des services sociaux – tant privés que publics – on constate une fois de plus que le ratio équivalent-habitant a diminué depuis le sommet de 2013. Un tableau vaut mille mots.

Le vieillissement n’est pas le seul phénomène externe qui crée une pression. Le volume des services a également considérablement augmenté. Souvent, c’est le secteur privé qui les assure, mais pas seulement. Et dans tous les cas, le public en subit les impacts, directement ou indirectement.

« Il ne fait absolument aucun doute que le système offre plus de services qu’avant, notamment grâce à la technologie », m’a dit l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette.

Exemples ? Les services de physiothérapie se sont multipliés et le traitement des allergies est devenu plus raffiné. Autres exemples : il y a 25 ans, on entendait peu parler de l’apnée du sommeil, sans compter que l’imagerie médicale était bien moins développée. Et qu’en est-il de la santé mentale !

Michèle Boisvert, experte en programmes d’assurance collective chez Mercer, témoigne : non seulement le coût moyen des médicaments a explosé – pensez à Ozempic à 5 000 $ par année – mais aussi l’étendue des services.3.

De plus en plus de personnes ont recours aux services des programmes d’assurance collective et ceux qui y ont recours le font plus souvent. Il y a aussi le comportement des assurés : les plus jeunes ont davantage recours aux services paramédicaux que leurs prédécesseurs.

Michèle Boisvert, experte en programmes d’assurance collective chez Mercer

Autre phénomène : de nombreux employeurs, sensibles à la santé mentale, ont augmenté leur couverture, augmentant parfois le plafond de remboursement des consultations de psychologues de 2 000 $ à 5 000 $. Le pari est que la consultation en amont permettra de réduire les absences pour cause de handicap.

Et il y a bien sûr l’impression de gratuité des services, qui fait augmenter les volumes. « Il y a beaucoup de malentendus sur qui paie, un manque d’éducation. Beaucoup de gens se disent qu’ils vont maximiser leur utilisation des services offerts, par exemple en massothérapie, sans comprendre que c’est eux qui payent en fin de compte », me raconte M.moi Bois vert.

Les données de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) sont révélatrices. En moyenne, les 6,2 millions de Québécois couverts par une assurance ont réclamé 1 035 $ en 2022, soit près du double de ce qu’ils faisaient il y a 15 ans.

Certes, les médicaments représentent environ la moitié de ce montant (581 $), mais les soins paramédicaux connaissent une croissance beaucoup plus rapide.

En effet, le montant réclamé a presque atteint 1,6 milliard de dollars en 2022 pour les physiothérapeutes, psychologues et autres, à tel point que la moyenne réclamée par assuré (255 $) est en hausse de 131 % au cours des 15 dernières années, comparativement à 74 %. pour les médicaments.

Il est d’ailleurs difficile d’attribuer ces facteurs au méchant secteur privé. À ce sujet, les données de Statistique Canada sur le personnel de la santé et des services sociaux sont surprenantes.

Premièrement, on apprend que le Québec compte une proportion d’employés du secteur public en santé beaucoup plus élevée (3 549 pour 100 000 habitants) qu’ailleurs au Canada (2 949). Ici, je n’ai pas utilisé le ratio équivalent-habitant.

Il est impossible d’expliquer rapidement la différence de 20 % entre les deux solitudes. Oui, le Québec vieillit, mais le reste du Canada aussi.

Surtout, on constate que les employés publics québécois de la santé et des services sociaux ont récemment dépassé ceux du secteur privé (auquel j’ai ajouté les travailleurs autonomes à titre de comparaison), une première en 35 ans. À l’inverse, la tendance vers le secteur privé s’accélère dans le reste du Canada.

Il convient de noter que Statistique Canada ratisse large pour ces emplois. Ils englobent toutes les catégories de soins (dentisterie, diététique, kinésithérapie, soins à domicile, etc.) ou de milieux (publics, privés, communautaires, autonomes)⁠4.

Que conclure ? Il est clair que notre système de santé, lit-on souvent, a encore de nombreux problèmes d’innovation et d’efficacité (pensez aux fax, entre autres). Que nos médecins occupent encore une part trop importante de la rémunération.

Mais nous oublions de considérer l’énorme impact du vieillissement et des nouveaux soins, qui assombrissent le tableau et augmentent les coûts. Et que cette tendance n’est pas près de changer, à en juger par la courbe démographique, notamment.

Pouvons-nous en tenir compte avant de qualifier notre système de médiocre ?

1. Un grand merci à Pierre-Carl Michaud, de HEC Montréal, et à son équipe de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques pour ce calcul complexe de population équivalente.

2. Dans le cas des médecins, j’ai pu prendre en compte que beaucoup d’entre eux travaillent moins d’heures qu’il y a 10 ans, pour différentes raisons. J’ai calculé le nombre d’équivalents médecins temps plein à partir des données sur le sujet de l’ICIS sur la rémunération.

3. Le traitement par Ozempic est souvent couvert par une assurance collective pour ceux qui ont des problèmes de diabète.

4. Les salariés du public représentent 59 % des salariés du public et du privé, mais 52 % si l’on ajoute les travailleurs indépendants au secteur privé.

 
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