la marche contre l’A69 violemment réprimée

Puylaurens (Tarn), reportage

“ Médecin, médecin ! » Des cris s’élèvent au coeur des détonations. Aux quatre coins du terrain, gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes fendent le ciel par dizaines. Un corps endommagé est retiré de la mêlée sur une civière. Les paumes posées sur le visage, la victime semble souffrir d’une fracture ouverte du tibia. Il faut l’évacuer de toute urgence.

Le 8 juin, plus de 1 600 gendarmes et gendarmes mobiles protégeaient le chantier de l’autoroute A69, entre Castres et Toulouse. Dans les collines tarnaises, à quelques pas du village de Puylaurens, des affrontements avec des militants opposés à ce projet destructeur du climat et de la biodiversité ont duré des heures. Centaures blindés, policiers en motocross, hélicoptères… La préfecture a fait appel à l’artillerie lourde contre les 6 000 manifestants (1 600 selon la préfecture) pour empêcher ce troisième grand rassemblement, appelé “ Roue libre ».

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“ On sème l’avenir, ils le détruisent. Nous protégeons la terre, ils la défigurent. Nous cultivons la terre, ils la bétonnent. On nourrit le sol, ils l’artificialisent », a réagi la Confédération paysanne, qui a procédé à une opération de semis.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Quelques jours plus tôt, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, avait choisi d’interdire cette mobilisation nationale, pourtant planifiée de longue date par Les Soulèvements de la Terre et une soixantaine de collectifs, dont la Confédération paysanne et Extinction Rebellion. Rappelant la stratégie utilisée lors de la manifestation anti-bassin à Sainte-Soline en 2023, cette décision laissait déjà présager un recours massif à la force policière. La veille déjà, des gendarmes s’étaient rendus dans la zad créée en janvier et février, à Saïx.

“ Nous sommes conscients que Darmanin, à travers ses déclarations, prépare la répression à venira dénoncé l’économiste Geneviève Azam, avant que la foule ne se déchaîne. Il faut cependant rester déterminé. La violence restera toujours du côté de ceux qui imposent ce projet inutile à la population. » Un discours immédiatement soutenu par Christelle, militante du collectif La Voie est libre : “ Même si le préfet l’interdit, nous avons le droit d’être là et de leur tenir tête. » “ Comment peut-on museler à ce point l’opposition dans un pays démocratique ? ? »avait réagi un militant du même collectif quelques jours plus tôt.

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Plusieurs cortèges étaient prévus, certains calmes, d’autres plus offensifs.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Bilan, quelques heures plus tard, à la fin du “ manifestation » : une vingtaine de victimes mineures, et trois blessés graves transférés à l’hôpital, du côté des militants. Un gendarme et un policier ont également été légèrement blessés, touchés par des tirs de cocktail Molotov et de mortier, selon la préfecture du Tarn.

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Trois jours de mobilisation nationale sont prévus, jusqu’au dimanche 9 juin au soir, contre l’A69.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Promenade naturaliste, tables rondes et opération semis

Certains militants, arrivés la veille, se sont retrouvés sur un terrain privé, prêté par un agriculteur de la ville. Ce camp de base accueille les trois jours de mobilisation, jusqu’au soir du dimanche 9 juin. Au programme, sous les nombreux chapiteaux installés pour l’occasion : tables rondes, projections de documentaires, balades naturalistes, concerts… et même une opération semailles et le création d’une bergerie. “ La lutte contre l’A69 est avant tout une lutte paysanne, pour protéger des terres nourricièresa insisté la porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola. Tous les syndicats devraient être là mais nous sommes les seuls et c’est dommage. »

Vers 13h30, les militants formaient quatre cortèges. Ceux-ci ont été pensés et différenciés par leur caractère : “ durable » en vert, “ de fête » en rose, “ intrépide » en bleu et “ calme » en jaune. Objectif : que chacun trouve sa place. “ La question des affrontements violents est compliquée, a commenté Aline, du collectif La Voie est libre. Personnellement, je ne suis pas convaincu que ce soit la solution. »

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Des milliers de militants se sont rassemblés sur un champ prêté par un agriculteur.
© Antoine Berlioz / Reporterre

À côté d’elle, Évelyne hocha la tête et ajouta : “ Différents angles d’attaque sont possibles : celui des tribunaux, de la non-violence ou de “désarmement” frontale. Les médias décrivent souvent une mobilisation bon enfant qui s’est transformée en affrontement. C’est faux ! » Aux yeux des deux femmes, ce camp rassemble une constellation de stratégies, différentes mais complémentaires. Certains soutiennent les autres, sans participer à leurs actions.

En costume trois pièces, Pierre décide d’accompagner le convoi jaune, guidé par les tracteurs de la Confédération Paysanne. Objectif : planter du blé et des tomates, avec les enfants, accompagnés d’une fanfare. La légitimité de participer à une mobilisation interdite ? “ Elle est absolue et ne s’arrêtera jamais, il décide. Depuis que l’urbaniste Karim Lahiani a inventé l’autre voie possible [une alternative à l’A69], une étincelle d’espoir nous porte. Peu importe que l’autoroute soit construite ou non, cette autre voie verra le jour. Nous ne l’abandonnerons jamais. »

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Un militant, protégé des gaz lacrymogènes par des lunettes et un masque.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Parti bon dernier, dans une autre direction, le cortège bleu a immédiatement essuyé les foudres des forces de l’ordre. Alors qu’il envisageait de rejoindre la départementale D926, une nuée de gaz lacrymogènes et de grenades GM2L s’est abattue sur les militants. Certains ont tenté de réagir avec des engins pyrotechniques, mais ont été repoussés dans un champ de blé. Chahuté par les rondelles de gaz, il a également commencé à prendre feu par endroits. Abasourdis ou touchés dans leur chair, les blessés sont évacués vers l’arrière.

Au même moment, les militants du cortège vert se dirigeaient vers l’ouest. Leur mission ? Profitez de la diversion orchestrée par le cortège bleu pour aller occuper le chantier de l’A69. Courant à travers les ruisseaux et les champs sous le tourbillon de pollen, les visages étaient ruisselants de sueur. Respirant de manière irrégulière, une femme en k-way noir murmura : “ Il faudrait demander au pilote de l’hélicoptère de s’approcher un peu, j’ai besoin d’un ventilateur. » Essayant maladroitement d’éviter les coquelicots, un autre répondit : “ Il faudrait surtout créer une option former-militant au collège… »

“ Une grenade a explosé juste à côté de moi »

Petit à petit, les détonations s’amplifient, et la queue du convoi est prise pour cible par les forces de l’ordre. “ Courir» a crié un homme dans son mégaphone. Ils se font bombarder dans le dos ! » En ouvrant le portail de son jardin, une habitante a alors indiqué un raccourci à un groupe de militants. Et reçu, en retour, une flopée de remerciements et de câlins chaleureux. Au détour d’un pré, deux grands chevaux dans un enclos observaient cet étrange cortège avec une expression incrédule. Parfois, les silhouettes de quelques gendarmes en quad dessinaient la ligne de crête voisine.

A 15h45, alors que les militants s’arrêtent sur le toit d’une colline, dominant le hameau de Saint-Loup, les dernières instructions sont données. La mission : dévaler le terrain, traverser la route nationale N126 et occuper le chantier de l’A69, déjà visible au loin. Au départ, la marée humaine déferlait vers la route nationale N126… immédiatement précédée par des fourgons de CRSdébarquer à grande vitesse.

Des échanges de grenades et de pierres ont alors commencé. Les policiers avec leurs véhicules blindés, les militants avec leurs lanceurs de pierres géants. Entouré par “ médecins »un militant portant une écharpe à carreaux chancela : “ J’ai essayé d’enterrer une grenade, mais elle a explosé juste à côté de moi. J’ai eu un brusque essoufflement, une poitrine comprimée et la sensation d’avoir des rasoirs dans la gorge. »

A côté de lui, d’autres soignants pansaient les biceps d’un homme qui venait d’être frappé par un LBD. “ Essayez d’atteindre notre camion de secours là-haut », lui a dit une femme de l’équipe médicale dans la foule. Les yeux rougis par le gaz, une journaliste était agenouillée dans l’herbe, incapable de se repérer. Des feux d’artifice se sont déclenchés et ont éclaté à hauteur des forces de l’ordre. Une brèche semble s’ouvrir vers la cible, mais est rapidement refermée.

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Les parapluies sont utilisés pour se protéger des grenades lancées par les forces de police.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Après une interminable heure d’affrontements, la police a doucement expulsé les militants des environs du chantier de construction. Le temps pour chacun de quitter les lieux, vers le camp, au rythme de “ Atosca sors de là, l’autoroute, on n’en veut pas ! » et le “ Pas de tarmac ».

À la tombée de la nuit, aucune arrestation n’avait été signalée. Tôt dimanche matin, sous une légère brume, l’hélicoptère de la gendarmerie continuait de survoler le camp à basse altitude. Autour d’un café, les militants ont tous promis de poursuivre le combat, malgré la répression et les traumatismes de la veille.

 
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