A Karantina, l’un des quartiers les plus défavorisés de Beyrouth, une trentaine d’ouvriers s’affairent dans un abattoir désaffecté. Certains s’empressent d’installer des panneaux isolants en guise de murs, d’autres peignent la toiture métallique en blanc éclatant. Leur mission : transformer ses quatre hangars en centre d’hébergement pouvant accueillir plus de 1 000 déplacés de guerre.
Dans la grande cour qui servait autrefois de parking, une vingtaine d’enfants jouent au ballon pour oublier les bombes. Leurs parents les regardent, l’air sérieux et inquiets. Assis sur des chaises en plastique, certains fument la chicha pour se distraire, d’autres commentent les dernières nouvelles qu’ils voient défiler sur l’écran de leur téléphone.
Un ouvrier dans l’une des ailes encore en construction du nouveau centre d’hébergement.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Un premier hangar est aménagé en un éclair. À peine huit jours après le début des travaux, il abrite déjà près de 280 personnes, réparties en 50 logements de 12 mètres carrés chacun.
Depuis l’intensification de la guerre menée par Israël le 23 septembre, le Liban compte plus de 1,2 million de personnes déplacées sur une population de près de 5 millions d’habitants. La plupart ont trouvé refuge chez des proches ou ont loué des appartements dans des zones relativement sûres, mais plusieurs se sont retrouvés à la rue, faute de moyens.
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L’entrée du premier bloc du nouveau centre qui a été installé en un éclair pour accueillir les personnes déplacées avant l’arrivée de l’hiver.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Comme tous les autres déplacés du centre, Oum Daniel ne rêve que d’une chose : mettre fin à la guerre et rentrer à la maison
. Cette quadragénaire au large sourire a fui son domicile de la banlieue sud de Beyrouth avec son mari et ses quatre enfants il y a environ un mois.
Avant d’arriver au centre, Oum Daniel et sa famille ont passé deux semaines dans les rues de Beyrouth. La nuit, ils se sont allongés tous les six sur les banquettes de leur fourgon.
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Vue générale de l’intérieur de l’ancien abattoir de Beyrouth transformé en refuge pour personnes déplacées.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Nous n’avions nulle part où aller
confie-t-elle. Et nous n’avons pas les moyens de louer un appartement à Beyrouth ou ailleurs dans le pays.
En un mois, les loyers ont explosé au Liban. Dans certaines régions, ils ont quintuplé, passant de 400 dollars par mois à plus de 2 000 dollars.
Nous avons essayé d’installer une tente dans le centre-ville, mais les forces de sécurité nous ont chassés.
dit-elle.
Nous avons même pensé à rentrer chez nous, dans la banlieue sud, au risque de périr sous les bombardements, mais notre immeuble est sur le point de s’effondrer. Ses fondations furent gravement endommagées par les explosions, elle devint inhabitable.
Marie Daou, bénévole de longue date au sein duONG Offre-Joie, responsable de l’aménagement de l’abattoir désaffecté, fait sa tournée quotidienne des lieux. Pleine d’énergie, elle fait le point avec les autres bénévoles, puis discute avec les déplacés qui passent à côté d’elle dans le long couloir qui longe les chambres.
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Marie Daou posant avec une volontaire de l’ONG Offre-Joie à l’intérieur du centre d’hébergement pour personnes déplacées à Karantina.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
L’idée derrière ce projet est de sortir les personnes déplacées des rues de Beyrouth.
explique-t-elle.
Ce serait catastrophique de laisser tous ces gens dormir dans la rue, dans le froid. Il y a des enfants, il y a des personnes âgées, il y a des malades.
À Beyrouth, le mercure peut atteindre 10 degrés Celsius en hiver. De plus, la capitale est souvent balayée par des pluies torrentielles entre décembre et mars, qui provoquent chaque année des inondations. Pourtant, début novembre, la météo se montre toujours clémente avec un thermomètre affichant 20 degrés sous un soleil radieux.
Oum Daniel, dont le surnom signifie en arabe la mère de Daniel
en référence à son fils aîné, est très appréciée par les bénévoles du centre d’hébergement. Il faut absolument te montrer sa chambre
a déclaré Mme Daou. Elle est exceptionnelle !
assure un autre bénévole.
Fière, Oum Daniel ouvre en grand la porte de la chambre numéro 6. Le peu qu’elle a pu sauver de sa maison est soigneusement et coquettement rangé sur des étagères : les gobelets roses sont disposés en pyramide et les flacons de shampoing et de savon liquide sont rangés selon leur taille, tout comme les valises dont deux sont dans la forme d’un pingouin. Les vêtements sont soigneusement pliés et empilés.
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Oum Daniel, posant dans sa chambre.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Je fais de mon mieux pour décorer cette pièce et la rendre confortable pour la famille, en particulier les enfants.
dit-elle en se tenant au milieu de la pièce.
Ses filles, âgées d’une vingtaine d’années, souffrent de dépression depuis qu’elles ont dû fuir leur foyer, explique-t-elle. Alors je fais ce que je peux pour soulager leurs souffrances.
Une de ses filles, qui étudie la pharmacie, travaille désormais comme bénévole pour la clinique installée à l’arrière du centre. Sa deuxième fille, quant à elle, passe ses journées à la cuisine communautaire, derrière les fourneaux.
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Une affiche accrochée à l’entrée du centre d’hébergement indique que toute détention d’armes est interdite dans les chambres.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Avant, ils pleuraient tout le temps, mais depuis qu’ils font du bénévolat, ils se sentent utiles et cela les aide beaucoup moralement.
» dit leur mère, soulagée.
C’est quand même mieux d’être ici que sous une tente dans la rue !
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Mais à Beyrouth, toutes les personnes déplacées ne sont pas égales.
À une dizaine de kilomètres de là, plus d’une trentaine de tentes de fortune ont poussé sur le sable de l’unique plage publique de Beyrouth. Ici, le ciel bleu et les eaux scintillantes de la Méditerranée se mélangent harmonieusement.
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Plusieurs tentes sont visibles à l’entrée de la plage.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Ramlet Al-Bayda, qui signifie littéralement sable blanc
en arabe, était le seul débouché sur la mer totalement gratuit pour les baigneurs de Beyrouth. Aujourd’hui, la plage est devenue un refuge pour quelque 500 personnes déplacées qui n’ont nulle part où aller, pour la plupart des Syriens.
Assis sur un banc en bois usé par les éléments et le passage du temps, le directeur de la plage, Nazih Al-Rayess, a l’oreille collée à son téléphone. A l’autre bout du fil, le représentant d’un ONG L’habitant lui apprend que les 50 plats chauds qu’elle lui avait promis ne lui seront finalement pas livrés ce soir.
Tous les centres d’hébergement sont débordés
explique-t-il après avoir raccroché. Ils n’ont pas assez de nourriture pour tout le monde.
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Nazih Al-Rayess a invité les déplacés à se réfugier temporairement sur la plage publique de Beyrouth.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Tout est parti d’un message que j’ai publié sur Facebook, invitant les personnes fuyant les zones bombardées à venir se réfugier sur la plage.
raconte M. Al-Rayess. Ce message a été partagé plus de 100 fois, poursuit-il. A l’époque, les autorités n’avaient pas encore ouvert de centres d’accueil.
Puis, comme les vagues de la mer, les déplacés sont arrivés par vagues sur la plage de Ramlet Al-Bayda.
La première vague est arrivée du sud du Liban le 23 septembre. Ce jour-là, plus de 500 personnes ont été tuées dans des frappes.
La deuxième vague est venue de la banlieue sud de Beyrouth 4 jours plus tard, lorsque 30 tonnes d’explosifs ont été larguées pour éliminer le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui se réfugiait dans un bunker souterrain.
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Un épais nuage et des flammes étaient visibles dans la banlieue sud de Beyrouth après les raids israéliens.
Photo : Reuters / Amr Abdallah Dalsh
La troisième vague s’est produite le 22 octobre, après des attentats à la bombe près de l’hôpital public de Beyrouth qui ont fait 18 morts et 60 blessés.
Au plus fort de la crise, il y avait des milliers de personnes déplacées à Ramlet Al-Bayda
Affirmez Nazih Al-Rayess.
La plage était pleine de monde. Les transats ont été transformés en lits. Les déplacés dormaient sous les parasols. Nous n’avions pas assez de tentes pour tous les accueillir.
Selon lui, la plupart ont fini par quitter la plage au bout de quelques jours. Certains sont allés chez des proches, d’autres ont été accueillis dans des écoles publiques, transformées par les autorités en refuges.
D’autres encore ont trouvé refuge à l’abattoir de Karantina.
Ceux qui restent, ce sont les plus démunis
déplore M. Al-Rayess. La plupart d’entre eux sont des réfugiés syriens qui n’ont nulle part où aller.
Dans les refuges gouvernementaux, la priorité est donnée aux Libanais déplacés. Les centres du Haut Commissariat deLUI pour les réfugiés (HCR) sont saturés.
Malgré les multiples crises sociales, économiques et politiques qu’il traverse, le Liban abrite toujours quelque 1,5 million de réfugiés syriens qui ont fui les violences dans leur pays il y a plus de 10 ans.
Depuis que la guerre au Liban s’est intensifiée fin septembre, des dizaines de milliers de Syriens sont rentrés dans leur pays, mais beaucoup refusent de le faire, craignant d’être persécutés.
Il faut trouver une solution et rapidement
tranche Nazih Al-Rayess. Pas question de transformer la plage en refuge permanent.
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Des panneaux solaires ont été installés sur un conteneur mobile pour fournir de l’eau chaude aux douches.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
L’hiver approche à grands pas et nous ne sommes pas prêts à affronter le froid et les intempéries. Il n’y a pas de chauffage dans les tentes. Comment vont dormir les enfants ?
Pendant ce temps, des vagues de déplacés continuent d’affluer sur la plage de Ramlet Al-Bayda au rythme des bombardements.
La dernière vague s’est produite jeudi, en provenance des banlieues sud qui ont été ciblées par huit frappes en moins de deux heures. Ce soir-là, sept nouvelles familles ont dû passer la nuit sur le sable, à la belle étoile.
Le Hezbollah a ouvert un front avec Israël le 8 octobre 2023, en soutien à son allié, le Hamas, au lendemain de l’attaque sanglante lancée depuis Gaza contre l’État hébreu.
Depuis, plus de 3 000 Libanais sont morts et une trentaine de villages, notamment dans le sud du pays, ont été entièrement détruits.