Les classes groupées ne sont plus seulement une réalité de villages dévitalisés. En 2024, des dizaines de milliers d’étudiants y seront. Principalement pour des raisons budgétaires ou de pénurie d’enseignants. Mais attention, argumentent les acteurs du réseau : cela ne doit pas se faire sans précautions.
Suite à une demande d’accès à l’information, La presse dénombré 2596 classes multiniveaux – 1concernant et 2e années jumelées, par exemple – dans la province. En ville, comme ces classes peuvent accueillir jusqu’à 26 élèves, on arrive facilement à quelque 40 000 élèves du primaire dans ce type de groupe, d’autant que seulement 57 des 72 organismes scolaires nous ont répondu.
Mais au-delà des chiffres, comment cela se vit-il en classe ?
“C’est du sport !” », raconte Marie-Pier Sirois, qui enseigne dans un village près de Rivière-du-Loup, dans ce qu’on appelait autrefois une école.
Son école compte 18 élèves. Dans sa classe : 10 enfants, âgés de 4 anse5e et 6e year. Almost a 21st century Émilie Bordeleaue siècle.
Il faut être organisé. Le soir, je suis fatigué. Je pourrais aller enseigner ailleurs, mais je reste par choix. J’aime l’esprit de famille qu’on retrouve dans mon école.
Teacher Marie-Pier Sirois
Il y a si peu d’enfants que ceux de la maternelle doivent déjà se rendre dans le village voisin.
C’est précisément pour ce type de cas que nous avons créé des classes multiniveaux. Pour l’école de Marie-Pier Sirois, comme pour celle de Priscilla Belleau, qui, à Portneuf, enseigne également aux élèves de 4 ansesur 5e et 6e année.
Président de la Fédération des syndicats de l’éducation, Richard Bergevin explique que ces classes multiniveaux ont d’abord fait l’objet d’un « compromis de la part des syndicats pour éviter des fermetures d’écoles de village ».
«Mais aujourd’hui, on les utilise beaucoup pour économiser» en remplissant les classes au maximum, constate M. Bergevin.
En ville, des cours beaucoup plus complets
Marie-Claude (prénom fictif, cette enseignante ayant demandé l’anonymat par crainte de représailles de son centre de services scolaire pour avoir parlé aux médias) a longtemps enseigné dans ces classes à Montréal. Elle se dit « désillusionnée ».
À une époque, cela me permettait d’avoir des groupes plus restreints que je suivais pendant deux années consécutives, ce qui me plaisait beaucoup. Les classes étant désormais pleines, je ne fais plus de bénévolat.
Marie-Claude, qui a enseigné dans des classes multiniveaux
Finis les petits groupes avec des enfants triés sur le volet. Les classes multiniveaux, souvent pleines en ville, peuvent aujourd’hui accueillir des enfants atteints d’autisme, de dyslexie ou de troubles du comportement.
Le Centre de services scolaire de Montréal compte cette année 249 groupes multiniveaux; celui de Laval, 88 ; le centre de services scolaire de la Capitale, à Québec, 58.
Au centre de services scolaire Les Sommets, en Estrie, pas moins de 29 % des groupes sont multiniveaux. Le directeur général adjoint, Serge Dion, l’explique par des compromis inévitables. On pourrait décider d’avoir des classes plus petites, explique-t-il. Mais les subventions ne sont pas « un bar ouvert ». Il va falloir couper ailleurs, dans le nombre de professionnels par exemple (psychéducateur, orthopédagogue).
Présidente de l’Alliance des enseignantes et des enseignants de Montréal, Catherine Beauvais-St-Pierre s’inquiète du fait que ces cours soient devenus un réflexe, « un choix budgétaire ». « Mais est-ce souhaitable d’un point de vue éducatif ? » (voir autre texte pour les études sur le sujet).
Mmoi Beauvais-St-Pierre s’inquiète particulièrement de voir des classes composées d’enfants du 1concernant et 2e année, à ce moment crucial de l’apprentissage de la lecture.
Chevauchements de cycles à éviter
L’école primaire est organisée en cycles. Donc les 2e l’année est une révision du 1concernantle 4e année, une révision du 3ele 6e année, une révision du 5e.
Mmoi Beauvais-St-Pierre voit les regroupements au sein d’un même cycle comme un moindre mal, dans le contexte actuel. En revanche, selon elle, il faudrait éviter de former des classes multiniveaux avec des cycles superposés (composées d’élèves de 2e et 3e an, ou 4e et 5e année, qui ont des concepts complètement distincts à l’étude).
Yves Michel Volcy, directeur général du Centre de services scolaire de Laval, le pense aussi.
Mais à Laval comme ailleurs, comme en témoignent les données obtenues suite à notre demande d’accès à l’information, ces cycles qui se chevauchent sont monnaie courante.
M. Volcy attribue la multiplication des classes multiniveaux au nécessaire respect des conventions collectives qui imposent des limites au nombre d’enfants par classe.
Lorsqu’une classe compte trop d’élèves, le Centre de services scolaire de Laval dit privilégier la formation d’une classe multiniveau plutôt que de transférer les enfants dans une autre école. Surtout, souligne M. Volcy, que les écoles voisines sont souvent pleines et que les enfants risquent d’être éloignés de leur quartier.
Mère de quatre enfants, dont deux ont fréquenté des groupes multiniveaux, Lisa Taieb, qui vit à Montréal, a vécu des années où ça allait bien, mais une autre où c’était plus « chaotique ».
Même dans le meilleur des cas, comme lui dit sa fille, « c’est bruyant », il est difficile de rester concentré en classe lorsqu’il faut faire un travail personnel pendant que l’enseignant transmet son matériel aux élèves d’un autre niveau.
Beaucoup de travail pour les enseignants
Ce sur quoi tout le monde s’accorde, c’est qu’enseigner dans des classes multi-niveaux demande beaucoup de travail.
«Quand les enseignants peuvent choisir une classe régulière, ils le font», observe Julie Bossé, présidente du Syndicat enseignant de la région de Laval.
Ce sont donc plus souvent des enseignants en début de carrière qui se retrouvent dans une classe multiniveau.
Et ce, sans bonus. Certaines conventions collectives prévoient tout au plus quelques jours supplémentaires de planification ou un budget pour l’achat d’équipements adaptés.
Priscilla Belleau, l’enseignante de Portneuf, le dit sans détour : elle adore sa classe multiniveaux. « Le petit nombre d’étudiants me permet de consacrer plus de temps à chacun. Mais j’ai encore trois programmes distincts à préparer ! »
Avec la collaboration de William Leclerc, La presse