« Un écrivain, c’est une table, une chaise et un pays » déclare Kamel Daoud

Station Goncourt, ligne 11. Ambiance calme et quais déserts, juste une bouffée d’air. Ce n’est cependant pas à la station Goncourt, dans le 11e arrondissement, qu’a lieu la remise des prix du même nom, mais quelques arrêts plus loin, dans le 2e arrondissement, près de la place Gaillon, à proximité de l’Opéra. C’est ici, au restaurant Drouant, que les frères Goncourt instituèrent le plus grand raout de la littérature française.

Devant la façade cachée par les ifs qui cachent la devanture plus que centenaire de l’institution, les premières antennes paraboliques, perches et micros commencent à émerger. Après plusieurs jours de grisaille, un rayon de soleil illumine Paris. Derrière les arbustes millimétrés, Simon, le sommelier du restaurant, apparaît avec un seau à champagne rempli de glaçons, des bouteilles floquées « Drouant » et des gougères au fromage, prêt à ravir convives et journalistes.

A 11 heures, la foule est encore mince, même si les premiers médias et curieux arrivent au compte-goutte en ce lundi matin glacial de novembre. Pour l’instant, on parle de tout sauf du Goncourt car année après année, cette année le prix tombe un jour de grande nouvelle, la veille d’une élection américaine et le jour de la mort du géant de la soul Quincy Jones.

Fidèles au poste, les habitués sont là, comme Jean, ancien ingénieur devenu photographe amateur. Il ne connaît personne, mais reconnaît tous les visages du Goncourt : Pierre Assouline, Tahar Ben Jelloun avec son foulard rouge sur costume orange, Françoise Chandernagor, lunettes de soleil vissées sur le nez, Pascal Bruckner ou Christine Angot. Personne ne manque à Jean, au risque de recevoir un regard glacial de JM Le Clézio, lorsqu’il veut faire son portrait, membre de l’Académie Renaudot, qui siège également à la célèbre adresse. Les journalistes restent détendus. Entre deux discussions sur le prix du travail indépendant, ils envoient des messages rapides à la rédaction : “Dès que ça envoie, je swingue.” Il y a encore plus d’une heure d’attente, et la rumeur se répand Daoud ? Faye ? Faye ? Daoud ? Vers 11h15, le jury se retire, les portes du Salon Goncourt se ferment et ne rouvriront qu’une heure plus tard pour l’annonce du résultat.

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Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt, annonce les résultats le 4 novembre 2024 (PAUL DUBOIS)

Vers midi, ça y est, on ne parle que de ça. Et chacun a son petit commentaire : “On sait que la majorité du jury vient de Gallimard, ce sera Daoud.” Favoris du prix, le nom de Kamel Daoud semble se préciser depuis plusieurs jours et la tendance se confirme à quelques minutes du verdict. Même si le face-à-face potentiel avec Jacaranda de Gaël Faye promettait un duel littéraire et médiatique passionnant, peu de doutes subsistaient dans les salons feutrés du restaurant où étaient réunis journalistes et convives. Nous reconnaissons l’auteur de Tourbillon de vie vous filmez Jules et Jim, Serge Rezvani, 96 ans, en pleine forme.

Vers 12h40, l’effervescence à l’étage annonçait l’approche du verdict. “Il a voté ! s’exclame un journaliste dont le nombre d’annonces de prix Goncourt au compteur est incalculable. Le président Philippe Claudel descend quelques marches, des éclairs crépitent, la forêt de poteaux s’élève. Papier en main il parle brièvement et annonce le verdict : Kamel Daoud est le nouveau prix Goncourt avec son roman Houris.

L’auteur de 54 ans s’impose donc face à Gaël Faye (Jacaranda) qui a également reçu le prix Renaudot, Sandrine Collette (Madeleine avant l’aube) et Hélène Gaudy (Archipels). Il succède ainsi à Jean-Baptiste Andrea, sacré en 2023 pour Veillez sur elle. Après l’annonce, les journalistes se précipitent au premier étage. Devant des plateaux de caviar et des verres de bons vins, les dix membres de l’Académie attendent le vainqueur. La petite salle du restaurant est remplie de journalistes, impatients de capter la réaction du gagnant et du jury.

« C’est avant tout un choix littéraire !, » déclare Philippe Claudel, président du jury, en réponse à la question sur le choix audacieux et la portée politique du roman de Kamel Daoud. En effet, dans un geste inhabituel, le commissariat du 2e arrondissement avait été prévenu d’une éventuelle victoire de l’auteur algérien, par crainte de débordements. Dans son troisième roman, Kamel Daoud livre le monologue intérieur poignant d’une jeune femme, Aube, devenue muette après avoir survécu à une tentative d’égorgement pendant la « décennie noire » de la guerre civile en Algérie, dont l’évocation est taboue dans le monde. pays.

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Kamel Daoud Prix Goncourt 2024, à la vitrine du restaurant Drouant le 4 novembre 2024 (PAUL DUBOIS)

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Kamel Daoud Prix Goncourt 2024, à la vitrine du restaurant Drouant le 4 novembre 2024 (PAUL DUBOIS)

Kamel Daoud Prix Goncourt 2024, à la vitrine du restaurant Drouant le 4 novembre 2024 (PAUL DUBOIS)

L’auteur arrive vite, détendu et serein aux côtés d’Antoine Gallimard, son éditeur. Il aborde le choix politique de l’Académie avec franchise : « Je ne suis pas un politicien. Le fait qu’un écrivain d’Europe de l’Est des années 1970 reçoive un prix ne fait pas de lui un expert du communisme.» Pour lui, discuter des privations de liberté n’est pas une question de politique. Il insiste sur le fait qu’il “ne défie personne” et ça “L’Algérie lui manque”soulignant qu’un écrivain se résume à “une table, une chaise et un pays.”

Après avoir répondu aux journalistes rassemblés, comme le veut la tradition, l’auteur se présente à la vitrine du restaurant, livre d’apparat à la main, pour saluer une foule moyennement nombreuse venue applaudir celui qui voulait parler de ceux qui ne parlent pas.

 
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