Ebrahim Raïssi ou la dérive dictatoriale de l’Iran

Son hélicoptère est tombé samedi par temps froid et brumeux, dans les montagnes de l’extrême nord de l’Iran, le président Ebrahim Raïssi est décédé à l’aube de la quatrième et dernière année de son mandat. Il laisse derrière lui un bilan désastreux, en termes de droits et libertés, d’espoir démocratique, d’économie, mais aussi sur le plan militaire et diplomatique.

Ses trois années en tant que numéro deux officiel du régime – la première étant guide suprême Ali Khamenei, une personnalité non élue qui incarne le pouvoir de droit divin, a marqué un changement radical pour l’Iran, tant sur le plan interne qu’international.

Durant son mandat, écourté par une (très probable) mort accidentelle, l’espoir d’une évolution libérale du régime, souvent associé à son prédécesseur Hassan Rohani (2013-2021), s’est dissipé.

Déclin économique

Le pays a connu un déclin économique marqué, sous l’effet des sanctions internationales, mais aussi d’une gigantesque corruption interne au profit des dirigeants du régime.

Les principaux agents de cette ponction sur les ressources nationales sont les Gardiens de la Révolution, véritables État dans l’État Ou armée dans l’arméeun corps d’élite de 200 000 membres sur les quelque 700 000 que compte l’armée iranienne.

Les Gardes contrôlent une grande partie de l’économie iranienne, officielle et non officielle. Ce groupe s’est emparé des ports et aéroports, plaques tournantes de la contrebande. Il possède des entreprises dans les domaines de la construction, de la construction navale et des télécommunications.

En Iran, la maigre croissance nominale post-Covid a été complètement effacée par une inflation énorme (35-40% en moyenne annuelle depuis cinq ans) et un effondrement concomitant de la monnaie iranienne sur le marché noir (taux officiel de 42 000 rials au dollar ; prix du marché noir… 10 fois plus). Un bilan matériel donc désastreux, dont les Iraniens tiennent le président pour responsable.

Répression physique et peine de mort

Sur le plan moral, l’intolérance de ce régime islamique a été réaffirmée sous Raïssi, qui contredit directement les propos de son prédécesseur. Rouhani, par exemple, avait appelé à plusieurs reprises à un assouplissement des règles sur le voile islamique imposé aux femmes.

Contrairement à ces vœux, l’un des événements marquants des années Raïssi a été la très dure répression survenue après la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022, aux mains des Brigade des moeursparce qu’elle portait mal son voile.

La vague de protestations déclenchée par ce drame – le mouvement Femme, Vie, Liberté – a enflammé le pays dans presque toutes ses régions, pendant plusieurs semaines, à l’automne et à l’hiver 2022-2023. Amnesty International a fait état de 550 morts lors des manifestations et d’un grand nombre d’exécutions capitales.

La mort de Mahsa Amini en septembre 2022 a déclenché une vague de protestations en Iran. (Photo d’archives)

Photo : Getty Images / AFP / KENZO TRIBOUILLARD

La présidence Raïssi a donc coïncidé avec un recours accru à la répression physique et à la peine de mort (853 exécutions au total en 2023), et avec le durcissement dictatorial du régime. Un régime qui présentait depuis longtemps des caractéristiques mixtemalgré la brutalité policière, le contrôle religieux sur les principales institutions et malgré dernier mot accordé par la Constitution au Guide suprême.

La fin de semi-démocratie iranien

Avant Raïssi – et à l’exception notable de juin 2009, où les résultats ont été manipulés in extremis – les élections présidentielles en Iran ont généralement offert au public un certain choix. Il y avait un camp religieux conservateur qui a ses bases, probablement minoritaires, dans la société. Il y avait la voix des réformistes, soutenus par des jeunes ouverts sur l’Europe et l’Occident, des intellectuels, des femmes opposées aux contraintes islamistes… Et même si les candidats réformateurs tolérés aux élections n’ont pas répondu aux aspirations réelles de ceux qui ont voté pour eux.

Mais Raïssi a été, pour la toute première fois en 2021, élu à l’issue d’un scrutin cette fois complètement arrangé, dont toute incertitude avait été levée par un filtrage préalable systématique des candidats, et l’élimination de toute personne soupçonnée de réformisme ou de libéralisme.

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En 2021, plusieurs milliers de partisans avaient célébré la victoire d’Ebrahim Raïssi sur la place Imam-Hossein, au centre de Téhéran.

Photo : Reuters / Agence de presse Wana

C’est une autre caractéristique de son mandat : ​​la fin d’un semi-démocratie, voire fragile, en Iran et l’acceptation par un président de son statut de subordonné et simple exécuteur des volontés du guide suprême. Le tout sur fond de dictature religieuse, d’élections truquées et d’idéologie ultraconservatrice.

Nuages ​​à l’international

Les conditions internationales n’ont pas aidé. Hassan Rohani avait beaucoup misé sur l’accord international signé à Vienne en juillet 2015, qui portait sur le contrôle du programme nucléaire iranien, en échange d’une levée des sanctions économiques imposées à Téhéran.

Dans l’esprit de Rohani, la dynamique du réformisme interne en Iran était étroitement liée à l’ouverture et à la coopération internationales. Au cours de ces négociations, son ministre Mohammad Javad Zarif a développé des relations plus que cordiales avec son homologue américain John Kerry.

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Hassan Rohani a été président iranien de 2013 à 2021. (Photo d’archives)

Photo : Getty Images / AFP/ALEXÉI DRUZHININE

Mais Donald Trump est vite arrivé, poussé par son lourd Amis israéliens… En mai 2018, il déchire ce texte qui aurait peut-être pu remettre le régime iranien sur le chemin des réformes et de la réintégration dans la communauté internationale. Nous ne le saurons jamais.

Résultat : un régime qui, sous l’égide de l’ayatollah Khamenei, mais avec Raïssi pour exécutant zélé, a relancé à grande vitesse le programme nucléaire iranien et accentué son positionnement agressif sur l’échiquier du Moyen-Orient. Les sept – bientôt huit – mois de guerre à Gaza auront amplement démontré ce nouveau positionnement.

Sans oublier un rapprochement marqué avec les régimes autoritaires de Pékin et de Moscou : Raïssi fut aussi le convergence des luttesà la mode sino-russe-iranienne… avec une touche nord-coréenne.

Une déstabilisation du régime ?

La mort inattendue d’un pion Une partie importante du régime iranien peut-elle être ébranlée ? On l’a répété : Raïssi n’était que le numéro 2, et en plus, il est totalement aligné sur le guide suprême. Mais sa mort pourrait bouleverser les cartes et ébranler, même légèrement, un régime fondamentalement immobile.

Malgré l’unité apparente d’une élite qui a aujourd’hui purgé tous ses éléments libéraux, malgré le fait que le président soit devenu un simple exécutif au service du véritable patron… il existe encore des clans qui se disputent le pouvoir.

Entre fondamentalistes religieux, d’un côté, et vénaux Gardiens de la révolution, de l’autre, plus intéressés par la prédation économique que par le dogme. Entre les partisans d’une répression excessive et ceux qui prôneraient une approche plus mesurée.

Plus importante que l’identité du successeur de Raïssi – avec une élection dans 50 jours – la succession du Guide suprême (Ali Khamenei, 85 ans, malade) est un sujet potentiel de discorde. D’autant que Raïssi était lui-même un candidat très discuté à cette succession.

Des réjouissances cachées

Tout cela, ne l’oublions jamais, dans un pays où une fraction importante, sinon la majorité, de la population est hostile au régime.

Loin du deuil officiel et des condoléances formelles, il y avait des scènes plus ou moins cachées de réjouissance à la mort de Raïssi. Avec des blagues sur les réseaux sociaux, comme : Alors, cher Ayatollah… quand prenez-vous le prochain hélicoptère ? », « texte » : « Alors, cher Ayatollah… quand prenez-vous le prochain hélicoptère ? Alors, cher Ayatollah, quand prenez-vous le prochain hélicoptère ?

>>Dans une manifestation, image de l'ayatollah Ali Khamenei et de Mahsa Amini.>>

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Les manifestants en Iran en 2022 réclament la chute du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.

Photo : Getty Images / Alex Wong

Malgré les retombées des manifestations de l’année 2023, l’incendie couve toujours. Les mouvements anti-régime en Iran ne sont pas morts : on entend sporadiquement qu’il y a eu une grève ici, une manifestation là… à petit niveau, en périphérie.

Dans l’histoire récurrente des mouvements de protestation iraniens, la question n’est pas de savoir si, mais quand ces mouvements reprendront.

Dans ce pays, les soulèvements anti-régime se succèdent par vagues : 2009, 2015, 2019, 2022. Des vagues d’indignation déclenchées par des élections truquées, la hausse du prix de l’essence, une révolte agricole, des revendications autonomistes, le voile islamique détesté… ou peut-être, la mort d’un président ?

 
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