L’ONG Amnesty vient de publier ce lundi un rapport dénonçant « des travailleurs qui ne sont pas traités comme des humains » au sein des magasins Carrefour en Arabie Saoudite. Plus de 60 heures de travail hebdomadaire « en violation » des lois saoudiennes, heures supplémentaires non rémunérées, suspicion de « travail forcé » un jour de congé…
Amnesty International a enquêté sur des magasins et entrepôts sous l’enseigne Carrefour dans le royaume. 20 minutes fait le point sur les conditions de travail pointées du doigt par l’ONG…
Les travailleurs migrants victimes de « violations des droits humains »
Amnesty International a interrogé au total 17 travailleurs originaires du Népal, d’Inde et du Pakistan, employés par des sous-traitants, notamment Al-Mutairi et Basmah, pour travailler sur des sites à Riyad, Djeddah et Dammam. La gestion de ces sites est assurée par le franchisé historique (depuis 1995) de Carrefour au Moyen-Orient, Majid Al Futtaim (MAF).
Dans son rapport publié lundi, l’ONG cite notamment un ancien employé d’un entrepôt, nommé Anand, qui assure que “dans les magasins Carrefour, les ouvriers ne sont pas traités comme des êtres humains”. Les dirigeants « disent tout le temps : « Allez, allez. Ils s’emparent de notre t-shirt pour nous faire travailler vite », raconte-t-il.
L’ONG conclut que ce franchisé et Carrefour « ont contribué et bénéficié de violations des droits humains, en recourant à l’externalisation de la main d’œuvre migrante sans avoir mis en place des contrôles adéquats » et sans s’être assurés que leurs sous-traitants « respectent les droits humains ». Amnesty exhorte la MAF et Carrefour à revoir leurs procédures internes concernant les travailleurs migrants pour les aider « efficacement et rapidement » en cas d’abus. Selon l’organisation, plus de 60 heures de travail hebdomadaire « en violation » des lois saoudiennes ont été enregistrées, des heures supplémentaires non rémunérées constatées ainsi que des soupçons de « travail forcé » lors d’un jour de congé dénoncés.
“L’ampleur et la gravité des violations commises dans les opérations de franchise de Carrefour en Arabie Saoudite sont profondément inquiétantes”, a réagi Mathias Bolton, responsable de la section commerciale de la fédération syndicale internationale UNI Global Union.
Une enquête interne qui invalide « les éléments » de l’enquête et un audit prévu par Carrefour
L’entreprise basée à Dubaï gère près de 500 magasins à marque Carrefour dans 30 pays au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique. En 2023, elle a réalisé 34,5 milliards d’AED (AED) de chiffre d’affaires (8,6 milliards d’euros) et 2,7 milliards d’AED de bénéfice net (674 millions d’euros), selon sa documentation financière. L’Arabie saoudite est, en termes de chiffre d’affaires, son plus grand marché en dehors des Émirats arabes unis, d’où le groupe est originaire. Carrefour a indiqué vendredi avoir « demandé à (son) partenaire MAF de mener des enquêtes internes auprès de ses salariés et sous-traitants en Arabie Saoudite » à la suite d’un échange avec Amnesty mi-2024.
“Ces premières investigations n’ont pas confirmé les éléments désignés par l’alerte d’Amnesty mais ont révélé d’autres problèmes : logement, formation ou contrôle des horaires de travail pour lesquels des actions correctrices ont été menées”, a assuré le distributeur.
Il a également indiqué qu’un expert indépendant avait été « missionné » pour enquêter sur « toutes les exigences relatives aux droits de l’homme ». “Nous établissons actuellement avec lui les modalités de son audit”, a indiqué Carrefour.
Des « engagements » non tenus ?
L’ONG note que les deux sociétés ont déjà pris des engagements dans ce domaine. Dans sa documentation financière, Carrefour affirme vouloir « respecter les droits humains tout au long de sa chaîne de valeur », des échecs qui pourraient « impacter fortement la réputation du groupe ».
De son côté, MAF souligne, dans son dernier rapport RSE, son « engagement à respecter les normes les plus élevées en matière de droits humains et de conditions de travail ».
« Toute forme d’exploitation sur le lieu de travail est inacceptable », réagit le ministère des Ressources humaines d’Arabie Saoudite
Lundi, le ministère saoudien des Ressources humaines a affirmé que « toute forme d’abus ou d’exploitation sur le lieu de travail est inacceptable et que les allégations de cette nature font l’objet d’une enquête approfondie de la part des autorités compétentes ». selon une réaction écrite envoyée à l’AFP.
Le ministère a déclaré qu’il travaillerait également en étroite collaboration avec les gouvernements des pays d’origine des travailleurs migrants pour lutter contre les pratiques de recrutement abusives au niveau international.
L’ONG avait dénoncé en octobre 2023 le traitement « abominable » réservé aux travailleurs migrants dans les entrepôts d’Amazon en Arabie Saoudite. En février dernier, l’entreprise a annoncé qu’elle avait remboursé 1,9 million de dollars à plus de 700 travailleurs contractuels en Arabie Saoudite qui étaient soumis à des frais de recrutement illégaux et à d’autres abus.