Annuaire des films disparus | La presse – .

Nous investissons collectivement des millions de dollars chaque année pour produire des films québécois qui n’existeraient pas sans les fonds publics. Parce que nous pensons que notre culture n’est pas axée sur les résultats financiers. On ne peut cependant pas voir certains longs métrages parmi les plus significatifs de notre cinématographie nationale, car elle n’est pas rentable pour les sociétés privées, parfois américaines. Ça n’a pas de sens.


Publié à 1h02

Mis à jour à 5h59

Notre patrimoine cinématographique existe. Il n’a pas disparu. Parfois, c’est difficile d’y croire. Les perles de notre septième art sont quasiment introuvables ; d’autres, restaurés à grands frais, sont absents des plateformes numériques et des sites de location sur internet. Tout cela parce que le financement du cinéma québécois ressemble souvent à un partenariat public-privé dysfonctionnel.

L’État injecte des millions essentiels dans la production de longs métrages qui, pour la plupart, ne parviendront jamais à l’équilibre, mais invite ensuite les distributeurs à en disposer selon les règles du libre marché nord-américain. Lorsqu’ils constatent que rendre disponibles en location des films québécois en vidéo sur demande (sur des plateformes comme Apple ou YouTube) n’est pas rentable, ces œuvres se retrouvent dans les limbes de la distribution.

L’inquiétude autour de l’accessibilité à notre patrimoine cinématographique n’est pas nouvelle, mais c’est un débat récurrent qui a été relancé la semaine dernière sur les réseaux sociaux par la cinéaste Myriam Verreault (Kuessipan). À l’ouest de Plutonle film culte qu’elle a co-réalisé en 2009 avec Henry Bernadet (Rayons gamma), a été restauré il y a quelques années. Cependant, cette version n’est disponible nulle part. Le film est uniquement disponible en version DVD originale dans les bibliothèques.

« Je ne demande pas grand-chose, simplement que le film soit disponible à la location en copie numérique, m’explique Myriam Verreault. Je ne comprends pas pourquoi c’est si compliqué pour un distributeur de référer sa clientèle à un lien Viméo. »

La cinéaste souhaite qu’une protection soit ajoutée dans l’octroi de contrats de distribution, contraignant les distributeurs à exploiter un film, même après son cycle initial et habituel d’exploitation (salle, location, plateforme ou télévision). Actuellement, on s’en tient à la bonne volonté du distributeur et à sa décision de rendre ou non disponible le film à la location numérique, par exemple.

Myriam Verreault estime qu’À l’ouest de Pluton, un film à petit budget, fait les frais de la vente du catalogue des Films Séville au géant américain du jouet Hasbro, puis au distributeur californien Lionsgate. Elle n’est pas la seule à ne pas savoir où diriger les cinéphiles qui espèrent découvrir ou revoir ses œuvres.

type="image/webp"> type="image/jpeg">>>

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Myriam Verreault, en 2019

Je me suis rendu compte qu’il y a plusieurs cinéastes qui ont des histoires semblables à la mienne et qui ont envie de se mobiliser.

Myriam Verreault, cinéaste

Sa sortie a notamment inspiré Anaïs Barbeau-Lavalette à rendre disponible sur ses réseaux sociaux un lien pour son film Le ring, absent du paysage numérique lui aussi, tout comme Un crabe dans la tête d’André Turpin, Mémoires affectives de Francis Leclerc ou encore Le violon rouge de François Girard.

La moitié gauche du frigo, brillant film qui a révélé Philippe Falardeau, a été restauré au même moment qu’À l’ouest de Pluton. Aujourd’hui, il est pourtant introuvable dans cette version en location numérique.

« Il y a plusieurs classiques de notre cinéma qui sont introuvables », rappelle Dominique Dugas, directeur général de Québec Cinéma et ancien dirigeant d’Éléphant, plateforme spécialisée dans la numérisation du cinéma québécois.

type="image/webp"> type="image/jpeg">>>

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Dugas

Pouvoir intime [d’Yves Simoneau]on ne le voit absolument nulle part, même si c’est peut-être le premier thriller majeur que nous produisons au Québec. le marais de Kim Nguyen non plus, comme plusieurs films de Léa Pool. Il y a de grandes parties de notre cinéma qui ne sont pas disponibles.

Dominique Dugas

L’économie de distribution actuelle ne pourra pas remédier à ce problème, estime Dominique Dugas. Les distributeurs québécois ne sont pas assez solides pour assumer ces coûts et ne peuvent se permettre d’investir à perte, même si ce n’est parfois que quelques milliers de dollars.

« Le modèle actuel de financement des productions, hérité d’une autre époque, ne fonctionne plus. J’annoncerai prochainement un projet de le revoir pour que nos œuvres voyagent mieux dans l’univers numérique ! » a annoncé sur X le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, en réaction à un rapport du Devoir sur la difficulté d’avoir accès à notre patrimoine cinématographique.

«Il faut une volonté politique pour s’attaquer au problème», estime Dominique Dugas. Je suis content d’entendre le ministre, mais entre le dire et accorder les sommes nécessaires pour pouvoir le faire, quand on prend conscience des coûts associés, le discours peut changer. J’attends un peu avant de devenir trop optimiste ! »

Il en coûte en moyenne 50 000 $ pour numériser en 4K les quelque 200 films du répertoire Elephant, rappelle Dominique Dugas. Il a déployé des efforts particuliers, tout en dirigeant la plateforme Quebecor, pour réaliser des œuvres marquantes comme Eldorado de Charles Binamé, qui va bientôt revoir le jour. « Les années 1990 ont été un véritable désert en termes de disponibilité des films », dit-il.

Les coûts liés par exemple à la négociation des droits musicaux rendent parfois l’entreprise inabordable, souligne Dominique Dugas, donnant l’exemple de Des années de rêve de Jean-Claude Labrecque, où apparaît la chanson Je ne peux pas m’acheter Amour des Beatles.

Quelles solutions ?

Éléphant pourrait-il devenir l’équivalent québécois de Criterion Channel, une plateforme numérique spécialisée dans le cinéma de répertoire ? Devons-nous plutôt mandater la Cinémathèque québécoise pour rendre accessibles des copies numérisées des films ayant terminé la majeure partie de leur exploitation commerciale? Ou Télé-Québec, dont l’offre de films québécois sur son site Internet est déjà intéressante ?

«C’est une question complexe», estime Dominique Dugas.

Une plateforme unifiée où tout le contenu québécois serait disponible semble très difficile à imaginer, pour toutes sortes de raisons, dont une concurrence assez sévère entre les plateformes actuelles.

Dominique Dugas

Chaque distributeur a ses stratégies particulières, dit-il, et la Cinémathèque – où il a travaillé avant de diriger les Rendez-vous Québec Cinéma de 2007 à 2018 – a déjà du mal à obtenir des budgets conséquents pour sa mission de préservation des films. .

Myriam Verreault, qui salue également l’initiative du ministre Lacombe, estime pour sa part que la SODEC devrait réagir. « Les contribuables financent un film à 90 ou 95 %. Les distributeurs le financent à hauteur peut-être de 5 %. Pourquoi ont-ils des droits d’exploitation à 100% s’ils abandonnent ce mandat après un certain nombre d’années ? »

Il va falloir réfléchir à des solutions. Parce que les films disparaissent des radars et sont méconnus d’un jeune public qui, même s’il le voulait, ne pourrait pas mettre la main dessus. C’est de notre patrimoine culturel, financé par les fonds publics, dont nous parlons.

Ce débat récurrent sur l’accessibilité de notre cinéma de répertoire pose également la question de la « valeur » d’un film, qui ne repose pas sur son potentiel commercial ni sur son attrait auprès d’un large public. Les films ont une résonance dans notre histoire, un poids dans notre culture, bien au-delà de leurs recettes au box-office.

Il n’en reste pas moins, quitte à être accusé de céder à une logique commerciale, que nous avons payé ces films. D’une certaine manière, ils nous appartiennent. Serait-ce trop demander de pouvoir les voir ?

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Protection du caribou des forêts et des montagnes