après le gel, les jeunes vignerons s’interrogent sur leur avenir

Le gel n’a pas épargné les vignobles jurassiens dans les nuits du 23 et 24 avril 2024. Certains domaines ont vu la majorité voir l’ensemble de leurs parcelles ravagées par le froid. C’est le cas des jeunes vignerons qui se sont lancés il y a quelques années. Choc psychologique, dangers économiques, considérations climatiques… Pour eux, les questions concernant leur avenir sont nombreuses.

Il scie simplement les jambes« . Au bout du fil, Kévin Cesco-Resia semble abattu. Dans sa voix, une fatigue certaine et compréhensible. Ces derniers temps, le jeune vigneron de 31 ans ne dort pas beaucoup. Depuis deux jours, les températures négatives des nuits jurassiennes ont fortement impacté son exploitation, le domaine Butin, situé à Lavigny (Jura).Nous avons eu beaucoup, beaucoup de dégâts. Ici, je pense que 70 % des vignes sont inutilisables.» lâche-t-il avec agacement. “Et d’ici la fin de la semaine, ça peut augmenter« .

Le 23 au matin, j’avais 50% de mes parcelles qui étaient grillées par le froid. Je suis revenu le soir, nous étions à 70%. Si j’y retourne aujourd’hui, avec une nouvelle nuit froide, peut-être que toutes nos vignes auront gelé.

Kevin Cesco-Resia,

Co-gérant du domaine Butin, situé à Lavigny (Jura)

Quelque chose que Kevin ne peut se résoudre à remarquer. “Franchement, ce serait trop difficile à voir, même si je m’en doute» concède-t-il. “Aujourd’hui, je ne veux pas y aller. Je reste pour faire de la paperasse, je reste à la cave et je fais tout pour éviter de sortir et de voir le travail de six mois réduit à néant.« .

Comme symbole, une parcelle de vieilles vignes, fraichement achetée au prix fort, ne rapportera rien cette année. Et probablement plus jamais. Un choc certain pour le vigneron qui, avec son demi-frère, a repris les rênes du domaine début 2023. »Je pense même qu’on ne récoltera pas cette année» poursuit Kevin Cesco-Resia. “Faire tourner la presse à vide, à quoi ça servirait ? Vissé pour vissé… ».

>>

Les vignes ont poussé un mois à l’avance selon les vignerons jurassiens.

© Florence Petit – France Télévisions

Après le traumatisme psychologique, c’est la réalité économique qui revient vite au centre des débats. “Reprendre un domaine n’est pas une mince affaire» explique Aloïs Butin, le demi-frère de Kévin. “Nous avons investi 150 000 euros, nous avons emprunté pour financer le matériel, etc. Nous avons nos emprunts à rembourser. Quand ça va bien, on fait un salaire minimum. Là, pendant quelques années, nous pourrons absorber les dégâts, car nous avons des stocks. Mais quand on arrive à 2025, 2026, s’ils gèlent à nouveau, ça risque de rester bloqué« .

Le pire, c’est que la vigne continue de pousser. Nous allons donc continuer à en prendre soin, à investir à nouveau comme si de rien n’était.

Aloïs Butin,

Co-gérant du domaine Butin, situé à Lavigny (Jura)

Et après le constat implacable viennent les questions, forcément. “Bien sûr, nous pensons à l’avenir» admet Kévin Cesco-Resia. “Il faut changer les choses pour éviter de vivre ça chaque année. Valorisez les vignes, trouvez des cépages qui débourrent plus tard. Sinon ça va faire mal« .

Ce genre de moment est compliqué, démoralisant» poursuit Aloïs Butin. “A la base, j’étais dans l’audiovisuel. J’ai divisé mon salaire par 4 pour reprendre le domaine familial. J’ai beaucoup réfléchi avant de commencer, et j’y réfléchis encore. Là, je vais couper une semaine pour durer. Ce métier est beau, mais nous sommes tellement dépendants de la nature« . Malgré les doutes, assurent les deux frères, ils continueront à travailler. Mais pour combien de temps ?

Maxim Lannay a lui aussi choisi de persévérer. Mais pour lui aussi, ces dernières nuits ont été difficiles. A 33 ans, il gère le domaine Barbatruks avec son épouse Isabelle, à Saint-Cyr-Montmalin (Jura) avec un peu plus de 2 hectares de vignes. “Et ils ont complètement frit” dit-il avec rage. Lorsque nous l’avons appelé, mercredi 24 avril, ces propos étaient marqués par l’émotion.

Nous avons emménagé en 2017. Depuis, nous avons connu quatre années de gel. C’est beaucoup. En ce moment, je suis sur le tracteur et tout autour de moi est marron. Nous sommes dégoûtés, mais aussi très en colère.

Maxime Lannay,

co-gérant du domaine Barbatruks, à Saint-Cyr-Montmalin (Jura)

Une colère légitime. “On travaille comme des fous toute l’année, on essaie de bien faire les choses, pour que tout soit réduit à néant en quelques heures” il explique. “Je n’arrive plus à dormir la nuit. Nous avons le statut de commerçant, nous nous débrouillerons donc en achetant du raisin ailleurs. Mais il ne se vendra pas comme le vin du Jura. Et puis au-delà de l’argent, ne pas suivre notre passion jusqu’au bout est extrêmement dur« .

Et le jeune trentenaire n’en veut pas à la nature. Bien au contraire. “Nous avons tellement tout gâché au cours des 50 dernières années qu’il fallait s’attendre à la situation actuelle» s’exclame-t-il. “En fin de compte, c’est la nature qui décide. Ce qui m’agace, c’est qu’on continue à rogner sur beaucoup de normes écologiques, avec des négociations menées par les grands patrons. Et en bout de chaîne, ce sont les petits producteurs, comme nous, qui sont grillés« .

Des coups qui n’auront pas raison de Maxim Lannay. “Le vignoble c’est ma vie» a-t-il conclu. “Je ne vais pas abandonner comme ça. Nous allons prendre un peu de temps pour analyser tout cela avec mon partenaire. Mais je veux me battre, pour que le vignoble perdure, même s’il faudra repenser bon nombre de normes obsolètes.« .

Alors que certains de ses confrères préféraient s’éloigner quelques temps de leurs vignes pour digérer ses épisodes de gel, il a choisi la thérapie d’action. Maxim Lannay est déjà de retour dans ses parcelles, pour les déblayer. Avec un slogan : «Il faut y aller, on avance« .

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Le terrible accès de colère de Laporta à Gérone
NEXT Reprise au Caire des discussions sur une trêve à Gaza