«Je viens de recevoir son premier cadeau»

«Je viens de recevoir son premier cadeau»
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C’est dans ce paysage de désolation qu’Edouard De Jongh, alors enfant, attend le retour de son père. Inlassablement, jusqu’à ce que finalement, le 8 mai 1945, l’armée allemande signe sa capitulation. Ce jour-là, Edouard et sa mère, Marthe, comprennent qu’Alphonse De Jongh ne reviendra pas. Et ce fut le début d’un autre voyage : le deuil et la reconstitution de son existence.

Une enfance sans père

Edouard De Jongh est né en juillet 1941 à Schaerbeek, sous l’occupation allemande du Troisième Reich. A cette époque, son père, Alphonse De Jongh, faisait partie de la résistance mais ses actes restaient un mystère pour son épouse, Marthe, qu’il souhaitait protéger de toute complicité. Alors que son enfant n’a que deux mois, le destin, vêtu d’un costume SS, vient le prendre à sa famille. “Ce jour-là, ma mère m’a emmené chez ma grand-mère», explique Édouard. “Ils savaient que quelque chose allait se passer, que l’armée était à leurs trousses.»

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

Et leur intuition s’avère vite exacte. Le couple n’a pas eu beaucoup de temps pour préparer l’arrivée de la Wehrmacht. Marthe éparpille quelques partitions sur le pupitre de son piano, partitions qui lui sauveront la vie quelques instants plus tard. “Quand l’armée est arrivée avec la Gestapo, ils ont emmené mon père mais ils voulaient aussi arrêter ma mère. Mais, en fouillant la maison, les policiers ont vu des partitions allemandes sur le piano et se sont dit que ma mère ne pouvait pas être anti-allemande, alors ils l’ont épargnée.», se souvient Edouard, aujourd’hui âgé de 82 ans.

Marthe sait que les agissements de son mari le mettent en danger et qu’après son départ, elle devra à tout prix élever son enfant. “J’étais en danger d’être retiré à la garde de ma mère, mais elle s’est battue pour me garder», raconte le Schaerbeekois. Des années de lutte s’ensuivirent, tandis que Bruxelles tremblait encore sous les bottes de la Wehrmacht. “On a vécu dans un esprit de lutte, de survie, en se disant ‘bon, il n’est pas là mais s’il avait été là, il aurait pu faire ceci ou cela donc on va essayer de comprendre comment il était pour pouvoir continuer. vivre’.”

La vie est donc difficile pour les De Jongh, et particulièrement pour Marthe qui peine à subvenir aux besoins de son foyer. “Nous n’étions pas riches du tout, donc nous devions travailler», explique Edouard, qui a pourtant reçu l’aide de sa grand-mère durant son enfance. A cette difficulté s’ajoute la crainte liée à l’absence d’Alphonse. Dans un premier temps, Marthe et son mari parviennent à correspondre alors que celui-ci est enfermé à la prison de Saint-Gilles. “Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais cessé de me demander si j’existerais encore si je ne t’avais pas connu, car le sentiment que j’ai pour toi est devenu le rayon de vie qui s’infiltre dans mon tombeau.», lui écrit-il dans une lettre, écrite d’une plume fine et raffinée. “Je me demande même si je pourrai un jour te rendre une partie du bonheur que tu me donnes. Je suis très heureux parce que tu m’as vraiment gâté», poursuit son mari, épris d’amour. Mais ses lettres ne sont pas seulement romantiques et racontent une sombre vie de famine en prison. “La nuit, je ne rêve que de nourriture et de bons repas. Il y a des moments où je suis si faible que je peux à peine me tenir debout», lit Marthe dans l’une des dernières lettres.

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Après sa déportation la même année vers l’Allemagne comme prisonnier politique et la fin de sa correspondance avec Marthe, s’ensuit une incertitude croissante quant au retour d’Alphonse. “Nous attendions de le voir revenir. A cette époque, personne ne savait si c’était fini ou pas», se souvient Edouard. Cette attente est lourde, douloureuse pour la famille. “Nous sommes allés attendre les trains avec des prisonniers revenant des camps. Voir ces gens était une épreuve terrible. Ils étaient à l’état de bêtes. Oui, c’étaient des squelettes», grimace-t-il. “J’ai vu des gens qui revenaient des camps. Ils n’avaient plus les mêmes valeurs, tout avait changé

Des premiers témoignages à la sortie du train

C’est pourtant lors de ces débarquements de train que la famille De Jongh peut commencer à récolter des bribes d’informations sur Alphonse. “Il y en a un qui est venu, qui était dans un camp où il a rencontré mon père. Il a dit qu’il devait nous remercier pour lui, parce que nous l’avions aidé», se souvient l’octogénaire. “En arrivant, il a voulu faire un beau geste et a offert une cigarette à ma mère, ce qui signifiait beaucoup vu le prix de l’époque.», sourit Edouard.

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Mais recueillir des témoignages n’a pas été chose aisée. “Nous avons réalisé qu’ils n’aimaient pas parler de certaines choses. Il faut dire que les gens de la Gestapo voulaient réduire les gens à l’état de bêtes humaines.“, il dit. “Mais ce que j’avais, ce sont des témoignages de personnes qui ont survécu, à qui mon père a laissé une image assez extraordinaire.

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

En effet, Edouard commence alors à comprendre, sans preuve, que son père aurait pu engager la résistance au sein des camps dans lesquels il était incarcéré. “Il devait être employé dans une usine située dans l’hôpital du camp, utilisée pour éviter les bombardements.“, Il commence. “Je crois qu’il était employé là-dedans et qu’il a trouvé un moyen de saboter

Au cœur de la résistance

Par la suite, de plus en plus de pièces complètent le puzzle de l’existence d’Alphonse. Edouard et Marthe apprennent que, alors qu’il était grenadier, le Belge faisait également partie de l’armée secrète. “Il était chargé du transport des armes, des vieux fusils», explique l’octogénaire. “Il a toujours fait preuve de dévouement envers ses dirigeants», écrira plus tard l’Armée Secrète à titre posthume. “Il a eu un comportement exemplaire lors des interrogatoires et dans la dure vie des camps.

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant,
Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

Marthe apprend également que son mari, avant son arrestation, livrait La Libre Belgique. Le journal fut alors imprimé clandestinement et passé sous les radars nazis, diffusé par plusieurs résistants et patriotes belges.

Ainsi, pour Edouard, la vie de son père avant son arrestation commence à prendre forme. Mais reste à savoir ce qui lui est arrivé après son expulsion.

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Présumé disparu

Au lendemain de la guerre, Marthe accepte. Même si elle continue de nourrir l’espoir de revoir un jour son mari, elle sait qu’il ne reviendra pas. Elle décide donc de se rendre en ville pour tenter d’officialiser ce décès. “Il est présumé disparu, donc c’est compliqué», explique Édouard. “Ma mère bénéficie en ce moment d’une législation particulière car sinon, il y a la prescription trentenaire, qui impose d’attendre 30 ans avant de conclure à sa mort.“, il ajoute. “Dans le cas de mon père, comme il était dans les camps de concentration, avec d’autres, tous ceux qui disparaissaient, on les disait morts.»

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant,
Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

C’est un moment difficile pour Marthe et Edouard car le mystère qui entoure la mort d’Alphonse n’en reste pas moins épais. “On ne sait pas où, comment, quand. Il aurait été torturé et abattu», déclare le fils du résistant. “À l’époque, les gens ne gardaient pas d’archives et n’enregistraient rien.», déplore-t-il.

Mais Marthe n’abandonne pas sa recherche de la vérité. Elle veut savoir ce qui s’est passé pendant ces quatre années. En fouillant tous les documents qu’elle peut trouver, la femme d’Alphonse comprend qu’il est passé par plusieurs camps. À Brauweiler, Bochum, Hameln, Esterwegen, Lingen et Sachsenhausen. Elle parvient même à retrouver le numéro d’enregistrement de son mari lors de son séjour dans un camp.

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant,
Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

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Un cadeau depuis plus de 80 ans

En 2024, le cousin d’Edouard, Pierre De Jongh, parvient à clarifier quelques zones d’ombre grâce au site My Heritage. Ce dernier, suite à une enquête, découvrira que le nom de famille d’Alphonse a été transformé à plusieurs reprises au gré de ses transferts dans les camps, rendant difficile la quête pour découvrir son parcours. Il deviendra De Jonck, puis De Jough. Mais pour Edouard, l’essentiel de l’existence de son père a déjà été reconstitué.

Cependant, c’est un élément inattendu qui va bouleverser l’octogénaire : un stylo plume trouvé par My Heritage. “On l’a trouvé en entreprise, je ne savais même pas que ça existait», raconte Édouard. “C’est le premier cadeau que j’ai reçu de mon père», s’enthousiasme-t-il.

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant,
Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal

Sur le document officiel allemand, on peut lire la date du 25 septembre 1944. Ce sera l’une des dernières traces de l’existence d’Alphonse de Jongh.

Une identité retrouvée

Tout au long de sa vie, Edouard a travaillé à reconstituer les fragments de l’existence de son père. Aujourd’hui, il a réussi à s’en faire une idée, à étudier et comprendre les valeurs d’Alphonse, à définir et honorer sa mémoire. Son fils a peint le portrait “pour ne pas l’oublier” avec l’aide de sa mère, “très rigoureux dans ses témoignages”. Il nous a volontiers remis ce document capturant l’essence de la résistance. “Alphonse De Jongh a toujours impressionné ses contemporains par ses qualités d’empathie et d’amitié profonde.“, il écrit. “Les éléments qui m’ont été transmis par ma mère m’ont permis de dresser un tableau fidèle de sa personne. Ce sont ses valeurs qui m’ont toujours impressionné

Dans cet hommage, Edouard énumère les nombreuses qualités de son père. “Il avait un grand respect pour les femmes“, nous pouvons lire. “Il avait une passion pour l’entrepreneuriat et un sens aigu du patriotisme. »poursuit le fils d’Alphonse De Jongh. “C’était un visionnaire qui prévoyait l’évolution des pays malgré le nazisme en Europe», cite-t-il, racontant une passion pour le progrès des technologies et des sociétés humaines.

Alphonse apparaît dans ce portrait comme un homme curieux, bienveillant, solidaire et innovant. Son fils rappelle également son amour pour la foi chrétienne. “Il n’a pas attendu d’être libéré pour le mettre en œuvre auprès de ses codétenus», écrit Édouard.

Désormais, c’est lui qui porte ses valeurs dans son cœur et fait de son mieux chaque jour pour honorer la mémoire de son père. Sa mère, aujourd’hui décédée, réussit après la guerre à développer une chaîne de magasins et à créer de petites entreprises. “A la fin de sa carrière, elle s’est accomplie seule», admire Edouard. Les sociétés qu’elle possédait atteignaient, selon lui, un « montant de 3 milliards et 250 millions d’euros ».

Edouard, retraité, vit désormais avec son épouse et est grand-père de nombreux enfants dont le souvenir remplit ses yeux de fierté.

Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant,
Edouard De Jongh évoque la mémoire de son père Alphonse De Jongh, résistant, ©Jean Luc Flemal
 
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