découverte des pionniers (épisode I)

découverte des pionniers (épisode I)
découverte des pionniers (épisode I)

Par

Kloé Marin

Publié le 12 mai 2024 à 8h47
; mis à jour le 12 mai 2024 à 11h46

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De IAM à Jul en passant par SCH et Soprano, le rap marseillais a mis tout le Sud d’accord. Mais à deux pas de la « capitale du rap », Montpellier n’est pas en reste. Même s’il a fallu du temps pour s’imposer comme un foyer de créativité, marqué par des années de désertion médiatique, la scène rap locale a pu compter sur des artistes éclectiques et passionnés.

Pour retracer l’histoire du rap montpelliérain, découvrons ses pionniers, dont les noms et les visages résonnent encore. Entre ascensions avortées et manque de visibilité, histoire des débuts d’une scène à fort potentiel.

La « fureur de dire »

Si aujourd’hui, de nouveaux et multiples rappeurs se succèdent sur les plateformes, à la télévision, à la radio ou encore dans la rue, dans les années 1990, seuls deux groupes faisaient parler de eux à Montpellier : Conception Et Phobie du patron.

C’est une histoire d’amitié et de passion qui rassemble les gens. Habib Dechraoui et ses amis d’enfance ont créé le groupe Phobie du patron en 1989, après avoir eu un « déclic » en 1986-1987 lorsque « Akhenaton, futur membre du groupe IAM, venait faire un concert avec Massilia Sound System à La Paillade ». Ils se « lancent alors dans l’écriture et la musique », au point d’ouvrir pour NTM, de grands groupes de passage dans la région, et IAM tour à tour. « Aujourd’hui, je peux le dire… Nous n’étions pas moins professionnels que le Design », confie en souriant Habib Dechraoui, aujourd’hui directeur artistique du festival Arabesque, initié en 2006 par l’association UNi’Sons.

Sunjata, de son vrai nom Soumaïla Koly, faisait partie du groupe Conception en 1989. Créés la même année que Boss Phobie, ils ont essentiellement la même histoire : des amis d’enfance (Taj Mahal, Jella, Harryson, Sunjata), et un amour de la musique. Mais aussi, un « besoin urgent de dire ce qu’ils avaient sur le cœur » qui se traduit par des textes engagés, surtout à leurs débuts : un cri du cœur sur les émeutes de quartier, ou le rapport à l’oppression policière de l’État.

Le rappeur, aujourd’hui écrivain, réalisateur et formateur, se souvient de cette période comme d’un « âge d’or » : « Il y avait une forme de dynamique par rapport au hip-hop en France. C’est aussi le développement de la radio libre. Nous avons trouvé très amusant de jouer avec les mots, et en plus c’était un moyen d’expression extrêmement libertaire qui nous permettait de dire tout ce qui nous tenait à cœur. Contrairement aux barrières qu’on peut poser dans un roman, dans le rap il n’y avait pas de filtres. » Une radio, un micro : « Il suffisait de s’asseoir et d’envoyer. »

« Nos débuts dans le rap ont été une merveilleuse école de citoyenneté. Elle nous a accompagné dans notre développement en tant qu’individus, nous apprenant à être des hommes, à parler en public et à en assumer la responsabilité. .»

SoundiataMembre du groupe Design

« Nous n’étions jamais sûrs d’être là le lendemain »

Sunjata garde de merveilleux souvenirs de cette « période euphorique de la création » où les mondes du breakdance, du skateboard, de la mode s’entremêlaient, à l’image de l’association Attitude, avec son festival éponyme réunissant skate, BMX, punk, soundsystem et graffiti, dans les années 90 : « Thomas Raymond, le directeur de l’association, nous donnait des sapes. Tous les domaines étaient de connivence, cela a créé une véritable dynamique de solidarité et d’activisme, et une volonté d’indépendance. » Il affirme que ces années ont été synonymes de l’implantation du mouvement : « La salle de concert Rockstore nous a beaucoup aidé en cela : ils nous ont donné la scène pour répéter et donner des concerts gratuitement. »

Aujourd’hui, il est rare de voir un rappeur arriver en concert ou en première partie avec un projet qui ne tient pas la route, qui n’est pas réfléchi ni commercialisé. Une maîtrise extrême de l’image, et une spontanéité parfois laissée de côté. Mais avant 2000, Soundiata soutient qu’ils étaient davantage « dans l’immédiat et le présent » : « Nous n’avions pas planifié l’avenir parce que nous pensions que le rap n’allait pas exister. Il fallait être en action, la tête sur le guidon. Si on nous proposait un Zénith, nous y irions même si nous n’étions pas prêts. » Un moteur qui s’est révélé gagnant puisque « d’un texte écrit en freestyle, on est passé à quelque chose d’écoutable sur disque », raconte Sunjata, qui « a été invité par IAM en 1992 sur la compilation Rapattitude 2 ». Il ne manque pas d’exprimer sa gratitude aux radios, qui « ont joué un rôle essentiel » : « C’est grâce à elles que nous nous sommes exprimés. On a été invités à des festivals à Marseille et Roubaix, c’est vite devenu quelque chose de professionnel. »

L’émergence des maisons de disques

Alors que tout se passait bien pour Design : signature chez Universal en 1995, tournées nationales et internationales pendant 5 ans… Les choses se compliquent à l’aube des années 2000et l’arrivée d’acteurs majeurs de l’industrie musicale : les maisons de disques.

« Le choc : la rencontre avec la grande industrie. La pression de l’équation commerciale a brûlé les ailes de notre rap, et les enjeux macro-économiques ont dépassé notre hip-hop à la hauteur des hommes.

Soundiata

Un choc ressenti « à l’âge de la maturité » : « Là où cela a été difficile, c’est à la fois l’arrivée des maisons de disques et la pérennisation du mouvement. » Un rap conscient, engagé, qui témoigne de « l’esprit de jeunesse », comme l’explique Sunjata, les maisons de disques ont progressivement demandé aux artistes une musique plus commerciale, avec des concepts : le marketing prédomine, « il faut faire des hits doux, des morceaux qui marchent à la radio, où le sujet est édulcoré ».

L’émergence progressive du XXIe siècle, conjuguée aux nouveaux codes de l’industrie musicale, sonne le temps de la séparation pour les deux groupes. Mais rares sont ceux qui ont perdu leur passion. Sunjata confie que « tout le monde a changé, a trouvé d’autres moyens de rester dans l’art d’une certaine manière ». Taj Mahal est par exemple devenu le DJ des battles entre b-boys et b-girls, notamment BOTY.

Quant au groupe Boss Phobie, Habib Dechraoui est devenu directeur d’Uni’sons : il « travaille sur le terrain » selon Sunjata. De son côté, ce dernier monte le label Blaxploitation et sort 3 disques indépendants : Rédemption en 1997, Le Tiers monde en 1998, et la même année avec le groupe Liste noire l’album Les Damnés de la terre. « Il fallait résoudre la question de la perpétuation d’une idée, de cette musique, sans trop la pervertir à cause d’enjeux de survie et de viabilité économique. »

Il confie qu’en tant qu’artiste solo, il « n’était plus dans le même état d’esprit qu’au temps de l’âge d’or. » Néanmoins, le quinquagénaire reste un passionné de musique. Son titre « J’avance », sorti le 21 avril, le prouve bien avec son texte : « Appréciant l’énergie retrouvée, seule devant le micro et l’immensité, mon âme savoure ce souffle de spiritualité. A chaque mélodie d’âme, de gospel à la gloire de l’humanité, j’apprécie ce moment de bien-être. » Si villes et pays se succèdent dans les clips du réalisateur et scénariste, c’est à Montpellier, et plus particulièrement à Paul Valéry, où il a lui-même obtenu son Master en direction artistique de projets culturels, qu’il anime des ateliers de théâtre et autres formations culturelles. : «On est surpris de voir des jeunes qui écoutent encore du rap. Pour nous, ça n’allait pas durer. Il est donc important de transmettre, dans un objectif de réussite et d’épanouissement personnel. »

Désert médiatique avant 2010

Les maisons de disques sont apparues au moment où les rappeurs montpelliérains manquaient cruellement de visibilité. Pourtant, cette grande ville du sud avait un gros potentiel : le soleil, les festivals, les bars à gogo, la mer à proximité, les bons restaurants, et une population dont la moitié était étudiante… Pour de jeunes artistes en quête de gloire, elle pourrait avoir le profil d’une ville idéale. C’est le cas de la danse et des sports de glisse : Montpellier Danse et Fise, cette dernière créée en 1997 et qui jouit d’une renommée mondiale depuis une dizaine d’années, y sont pour beaucoup.

Malheureusement, pour la culture rap, le surdon n’a pas souvent été pris au sérieux, surtout avant 2010 et l’émergence d’Internet. C’est donc un désert médiatique qu’ont traversé les rappeurs de la ville tout au long des années 90 puis des années 2000, qui a empêché des groupes comme Design et Boss Phobie de réellement décoller, et de perdurer dans le temps.

“Je voudrais faire quelque chose de fédérateur, qui puisse toucher les personnes de 60 ans” Sameer Ahmad (©KM/Métropolitain)

Sameer Ahmad, dont le 6ème album « La vie est bien fait » est sorti en mars dernier, est arrivé à Montpellier en 2000, alors qu’il avait 20 ans. Il a également découvert le monde du rap grâce au skateboard, lors de son adolescence en Normandie : passionné de musique, il « a fait du rap » parce qu’il « ne savait pas chanter », mais c’est ces dernières années qu’il s’y consacre pleinement. sa musique, après avoir terminé sa carrière dans l’éducation nationale.

Assis dans un café du coin à Montpellier où il saluait les habitués, il se souvient de nombreux noms de groupes ou d’artistes solistes, s’étant battus dans les années 2000 pour se faire une place à Montpellier : « Oxford Univers Cité, Les récidivistes, Pledge, Yocko, le collectif GREG, Monotof, L’Orateur, Illtoo… Ils ont tout essayé, mais c’était du gâchis total, aucun d’entre eux n’a vraiment pu s’en sortir., d’une part sans Internet, et parce que Montpellier n’était pas pris au sérieux. Ceux qui ont réussi, c’est parce qu’ils se sont émancipés, ils ont trouvé des gens extérieurs à Montpellier. Plus tard, il y a eu Joke qui est parti à Paris, Lacraps et moi aussi. »

Si pour lui Montpellier est la seule grande ville de France à ne pas avoir une forte connotation rap et hip-hop, c’est notamment “en raison des premières institutions et politiques de la ville qui ont détruit la culture”. « Pour les artistes qui n’avaient pas la chance de se promouvoir, les carrières étaient compliquées à décoller. A part certains comme Iltoo et Monotof, ils se sont tous arrêtés. C’était dur pour eux car ils voyaient passer devant eux des Toulousains, Sètes ou Marseille, même s’ils étaient bons aussi. »

Heureusement, la faille Internet est apparue, comme une bouée de sauvetage pour le rap montpelliérain, avec Joke et Set&Match comme figures de proue.

Décrypter une nouvelle ère, à suivre dans l’épisode II.

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