Ordinateur en bandoulière, un couple de trentenaires arrive au centre d’analyse « Avant », organisé tous les jeudis à Paris, pour savoir ce que contiennent leurs produits : héroïne blanche et héroïne brune. Dans une ambiance décontractée, musique et cupcakes, l’éducateur spécialisé Arthur Morel les accueille.
“Certains usagers ont déjà le stress de venir avec une drogue, d’être arrêtés, donc on essaie de les mettre à l’aise”, explique Grégory Pfau, pharmacien spécialiste des substances psychoactives et co-fondateur du réseau Analyse Ton Prod’ (ATP).
Cette analyse en cours se déroule au Centre d’accueil et d’accompagnement pour la réduction des risques des usagers de drogues (Caarud), situé dans le 10e arrondissement de Paris.
Autorisée depuis 2016, l’analyse des drogues s’adresse à tous les consommateurs adultes souhaitant se renseigner sur leurs produits. « pouvoir faire des choix éclairés quant à leur consommation ».
“Je n’ai pas le droit de toucher au produit, c’est vous qui le ferez”, annonce Arthur Morel. Le couple écrase la poudre d’héroïne dans un mortier. Vingt milligrammes suffisent pour détecter les différentes substances psychoactives présentes et leur concentration. Le couple estime que leur héroïne est pure à 70 %.
« Il suffit de faire tourner le vélo », rigole un habitué du « Before » au coin d’un couloir.
Une double mission de prévention et de veille sanitaire
Dans le laboratoire de quelques mètres carrés, Maxime Triguel, toxicologue, explique le fonctionnement du chromatographe liquide haute performance (HPLC). La machine, haute d’un mètre, permet de séparer les différentes molécules en seulement 12 minutes.
L’ordinateur affiche une courbe de six pics, correspondant à une drogue de la famille des benzodiazépines, un dépresseur, comme l’héroïne. “Le cocktail de plusieurs produits dépresseurs présente un risque mortel de ralentissement du système nerveux”prévient Maxime Triguel. Le prélèvement sera donc transmis à l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT) et le couple sera informé des résultats par SMS.
Créée en 2021, l’association Analyse Ton Prod est partenaire du système national d’identification des toxiques et substances de l’OFDT. « Nous suivons ensemble la circulation des produits nouveaux et atypiques », explains Grégory Pfau.
“Je veux vraiment savoir : ai-je ruiné mon corps ?
« Mimi » vient faire analyser pour la première fois ses produits au « Before ». L’ingénieur de 27 ans dit consommer “tous les week-ends”en soirée ou lors d’une rave party.
Ce type timide fait douter de la MDMA “un peu fort, peut-être un peu coupé”de la « fatigue cardiaque », sommeil difficile.
-“J’aurais dû venir avant”, » reconnaît ce banlieusard qui habite loin du laboratoire. “Je veux vraiment savoir : ai-je ruiné mon corps ?
« La cocaïne, la MDMA et la kétamine sont de plus en plus concentrées » note Grégory Pfau. En témoigne l’échantillon de kétamine d’un consommateur de 29 ans analysé il y a quelques minutes : concentré à 92 %.
« Les utilisateurs viennent souvent après avoir ressenti des effets négatifs. Ils pensent que c’est mélangé à d’autres choses, mais en fait c’est dosé à plus de 80 %.poursuit le pharmacien.
“une erreur de 30 milligrammes sur un produit presque pur peut provoquer des effets très différents”
« Je leur propose souvent de peser tout ce qu’ils ont sur eux. Beaucoup de gens sont surpris par la balance. Ils se rendent compte qu’ils allaient consommer plus que prévu, car un sachet de 100 milligrammes peut en peser 70 ou 140. »
A propos de la kétamine dosée à 92%, “une erreur de 30 milligrammes sur un produit presque pur peut provoquer des effets très différents”, il a prévenu.
Les analyses volontaires de produits par les consommateurs sont de plus en plus nombreuses en France : 4 400 en 2024, contre 2 126 en 2022, selon les chiffres fournis par l’ATP.
Quant à l’outre-mer, un premier laboratoire devrait y ouvrir prochainement. Quentin Gorrias et Armelle Crosse, de l’association de prévention réunionnaise Réseau Oté!, sont de passage à Paris pour se former.
« Les gens sont inquiets » et demandent un appareil pour analyser leurs produits, car de nouvelles drogues de synthèse circulent dans les festivals de l’île où l’association fait déjà de la prévention, explique Quentin Gorrias.
« Il faut malheureusement qu’il y ait des accidents pour que les pouvoirs publics se mobilisent. » il regrette.
Le 17 janvier notamment, une alerte a été lancée après une overdose d’héroïne contenant un opioïde de synthèse dans les Yvelines.