Le président du Parti libéral et démocratique (Pld/And Suqali), Oumar Sarr, fait le point sur les élections législatives du 17 novembre dans cet entretien. L’ancien ministre d’Abdoulaye Wade et Macky Sall a regretté de constater que leur place dans les nominations de la coalition « Takku-Wallu Sénégal » ne tenait pas suffisamment compte de la représentativité de leur parti. « La campagne électorale menée n’était pas non plus à la mesure de notre coalition », a insisté le maire de Dagana. Pour les perspectives, l’ancien coordinateur du Pds a affirmé que le Pld a décidé, lors de son Conseil National de décembre dernier, de donner la priorité au développement de la formation. Il s’est félicité que le Président de la République ait soulevé la question de la rationalisation des partis.
Votre parti a participé aux élections législatives avec la coalition « Takku-Wallu Senegaal ». Quel bilan tirez-vous de cette élection qui a vu la victoire de Pastef ?
Notre parti avait souverainement décidé, lors de son Conseil national du 6 juillet, de rejoindre la coalition « Takku-Wallu Senegaal » dont la tête de liste était le président Macky Sall. Pour répondre à votre question, je voudrais parler d’abord des résultats de notre parti et ensuite de la compréhension que nous avons de la victoire de Pastef. Pour notre parti, il était important que l’opposition constitue une coalition et une inter-coalition forte. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, car l’intercoalition n’a pas vraiment fonctionné. Mais notre place dans les nominations de la coalition ne tenait pas suffisamment compte de la représentativité de notre parti.
Dans certains départements, l’investiture du maire ou du leader de notre parti aurait été un soutien certain. Il en va de même pour la liste nationale. La campagne électorale n’était pas non plus à la hauteur de notre coalition.
Pastef a remporté les élections avec plus des trois quarts des députés, aidé par le poids de la majorité. Ils ont également gardé secrète une décision majeure du Conseil constitutionnel, ce qui leur a permis de disposer de plus de temps que les autres pour préparer les élections.
Au final, leur victoire n’est pas du tout écrasante. C’est le système électoral qui leur a permis d’avoir autant de députés. A noter également que malgré l’apport important des transhumants, notamment des maires recrutés ces dernières semaines, 400 000 électeurs ayant voté pour Bassirou Diomaye Diomaye lors de la présidentielle ne sont pas venus voter Pastef aux législatives. C’est un fait significatif.
Face à la dégradation de la situation économique et à ce qui semble être une impréparation de la gestion du pays, la tentation est grande pour le gouvernement Pastef de profiter de cette victoire pour déclencher une répression des opposants en vue de faire taire les critiques. Cela risque notamment de transformer la nécessaire et juste responsabilisation en une entreprise de règlement de comptes ou de vengeance. Ce qui, évidemment, ne manquera pas de susciter des résistances. On peut malheureusement craindre des turbulences dans des délais peut-être plus courts qu’on ne le pense, si les différents acteurs ne font pas preuve de discernement et d’objectivité.
Quelles sont les perspectives pour votre parti ? Allez-vous continuer à rester en coalition avec les partis « Takku-Wallu » ?
Nous avons décidé, lors de notre Conseil national de décembre dernier, de concentrer nos efforts sur le développement de notre propre parti, qui constitue une priorité. Nous avons repris la vente de cartes et l’installation de structures que nous avions dû suspendre à cause des élections présidentielles et législatives.
Sur le plan politique, nous souhaitons mettre au centre de notre stratégie politique le triptyque qui définit notre parti : libéralisme politique, États-Unis d’Afrique et dialogue constructif. Le libéralisme politique est la bataille pour la démocratie et les droits collectifs et individuels, le droit de manifester, le droit de vote, le droit d’organisation, etc.
Tout le monde parle aujourd’hui du panafricanisme, mais le contenu diffère d’un parti à l’autre. Pour nous, concrètement, cela signifie la formation progressive d’un gouvernement continental et, déjà, la transformation de la CEDEAO en confédération ou fédération. Nous envisageons d’organiser une série de conférences contradictoires ouvertes à tous ceux qui accepteront d’aborder avec nous ces questions fondamentales. Enfin, notre méthode reste le dialogue national constructif en vue d’améliorer constamment la démocratie, la cohésion et la stabilité dans notre pays comme dans toute l’Afrique.
Lors du Conseil national dont je vous parlais plus tôt, nous avons discuté de la nécessité de dépasser les micro-partis sans ambition et de créer de grands partis de gouvernement. Il faut réfléchir à la thématique du regroupement des partis pour parvenir à une opposition gouvernementale, informée des enjeux et prête à gouverner. Nous rêvons de construire un groupe comme le Bloc démocratique sénégalais (BDS) d’antan, sur la base d’un agenda ambitieux mais réaliste, sans aucune conditionnalité. Concernant « Takku-Wallu Senegaal », il s’agissait d’une coalition électorale. Aujourd’hui, son seul visage visible est le groupe parlementaire Tws. Nous envisageons la création d’un front d’opposition unique dans les semaines à venir.
L’Assemblée nationale a été installée le 2 décembre 2024 et le Premier ministre a fait sa déclaration de politique générale (Dpg) le 27 décembre. Comment avez-vous apprécié cet exercice ?
Lorsque l’on compare le contenu de la Déclaration du Premier ministre et les lois de finances adoptées, des incohérences et des contradictions sont évidentes. Certains parlementaires et experts l’ont démontré et il est important que des réponses claires soient données aux questions posées par les parlementaires et autres parties prenantes sur cette question.
Dans ces deux déclarations, il est vrai qu’il y a plusieurs propositions, mais, comme on dit, il faut « séparer l’ivraie des mots et le grain des choses ». L’essentiel est de trouver la bonne méthode pour que les réformes soient partagées et porteuses de progrès. Les dialogues nationaux ont beaucoup aidé à trouver un consensus. Nous verrons si le nouveau pouvoir emprunte cette voie ou non.
Comment jugez-vous le discours du Nouvel An du chef de l’Etat, notamment sa volonté de rationaliser les partis politiques, de poursuivre la réforme des Institutions, de généraliser la déclaration de patrimoine à tous les fonctionnaires ?
Concernant la déclaration du patrimoine, de nombreuses propositions issues du Dialogue National ont déjà été concrétisées. Le nombre d’assujettis a considérablement augmenté et les sanctions en cas de non-déclaration ont été clarifiées. Cela m’amuse souvent de voir les autorités se vanter en disant que tous les ministres ont déposé leurs déclarations. C’est devenu une obligation sous peine de sanctions sévères depuis la loi 2024-07 du 9 février 2024 modifiant la loi 2014-17 du 2 avril 2014. Cette loi importante a été votée tardivement, à la veille de la campagne électorale. présidentielle de 2024, et il n’y a malheureusement pas eu beaucoup de communication sur le sujet.
Le président de la République envisage désormais de généraliser cette obligation à tous les fonctionnaires. Je ne suis pas sûr que cela soit justifié ni que nous soyons équipés pour traiter correctement toutes ces déclarations. Il faudra probablement redéfinir le statut de l’Ofnac, son budget, ses moyens et ses modalités de travail. À mon avis, le nombre d’assujettis est déjà très important depuis la promulgation de la nouvelle loi. Comme on dit, « celui qui embrasse trop serre mal dans ses bras ».
Il est selon moi illusoire de mettre fin à la corruption des autorités politiques si l’on n’aborde pas simultanément les questions de financement des partis et de contrôle des dépenses électorales.
En effet, sur la nécessité de limiter le développement exponentiel des partis politiques, toute la classe politique est déjà d’accord. L’opposition de l’époque, dont Pastef, avait fait des propositions ainsi que la majorité présidentielle de « Benno Bokk Yaakaar ». Le Dialogue national avait demandé que la loi 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques modifiés soit remplacée par une nouvelle loi et que les conditions de création et de contrôle des partis soient revues pour limiter leur prolifération. C’est la condition sine qua non pour mettre en place un système de financement efficace et viable des partis politiques.
Des propositions de lois et de décrets ont été mises à la disposition du ministère de l’Intérieur lors du dernier dialogue politique. Les campagnes électorales liées aux élections législatives de 2022 et à la présidentielle de 2024 n’ont pas permis de finaliser cette discussion. C’est, à mon sens, excellent que le Président de la République soulève aujourd’hui ce problème.
Interview réalisée par Oumar KANDE