Les suggestions continues de Donald Trump d’annexer le Canada suscitent un débat dans la politique et la société canadiennes. Cela semble être une nouvelle déclaration pompeuse, un classique du trumpisme destiné à faire la une des journaux et à déstabiliser l’opposition. Mais derrière cette rhétorique se cache une stratégie méprisante, qui pourrait avoir des implications pour la souveraineté canadienne et pour les peuples autochtones des deux côtés de la frontière.
Robert Falcon Ouellette est un anthropologue de la Nation Crie Faisan rougeen Saskatchewan. Il se spécialise dans les domaines de l’éducation autochtone, de l’éthique militaire et des sciences politiques. Il est titulaire d’un doctorat et de deux maîtrises de l’Université Laval. Il a également servi dans les Forces armées canadiennes et a été député libéral fédéral de Winnipeg-Centre de 2015 à 2019. Il est maintenant professeur agrégé à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa.
Affaiblir le leadership canadien
L’idée d’annexion de Trump est moins une véritable ambition géopolitique qu’une tactique visant à créer un levier de pression. Il veut placer nos dirigeants canadiens dans des positions difficiles.
Pour Pierre Poilievre, cela commence à construire un récit de trahison, en raison de son soutien passé aux politiques de Trump. Pour Justin Trudeau, cela le présente comme faible face à l’agressivité présidentielle américaine. L’objectif est d’affaiblir le pouvoir de négociation du Canada dans les discussions commerciales, en détournant l’attention de questions cruciales comme les tarifs douaniers, l’accès aux marchés et la protection de l’environnement.
Mais pour les peuples autochtones, il ne s’agit pas seulement d’un théâtre politique. Cette situation soulève des questions existentielles sur les traités signés avec la Couronne, accords censés durer tant que le soleil brille et que l’herbe pousse et que les rivières coulent
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Traités avec la Couronne : un héritage en jeu
Traité n° 11 de 1921 lors des célébrations du 100e anniversaire de sa signature, dans la communauté de Behchoko, dans les Territoires du Nord-Ouest, le 15 août 2022.
Photo : - / Travis Burke
Les nations autochtones ont conclu des traités avec la Couronne britannique, et non avec les États-Unis. Ces accords n’étaient pas de simples contrats, mais des pactes sacrés, fondés sur des engagements de coexistence et de respect mutuel.
Ces traités ont été testés, mais jamais complètement rompus.
Si le Canada devait perdre une partie ou la totalité de sa souveraineté sous la pression économique, les conséquences sur ses obligations conventionnelles seraient profondes. Les promesses de la Couronne pourraient perdre leur sens, érodant la confiance qui sous-tend la relation entre le Canada et les peuples autochtones.
Après des siècles de sacrifices, notamment l’envoi de jeunes guerriers pour défendre la Couronne lors de deux guerres mondiales et dans les Forces armées canadiennes, les nouveaux traités rompus ne sont pas la solution.
Un meilleur accord pourrait-il être négocié ?
Pour certains autochtones, l’idée de s’aligner sur les États-Unis peut paraître tentante. La souveraineté tribale aux États-Unis permet une plus grande autonomie gouvernementale et économique. Les tribus américaines gèrent leurs propres ressources, exploitent des entreprises comme des casinos et négocient directement avec le gouvernement fédéral. En revanche, la Loi sur les Indiens du Canada impose des restrictions à la gouvernance et au développement économique autochtones.
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Un drapeau américain avec le symbole d’un cavalier indigène flotte à côté d’une exposition de bijoux dans la réserve Navajo en Arizona.
Photo : Reuters / Mike Blake
Toutefois, le modèle américain est loin d’être parfait. Même si la souveraineté tribale a permis à certaines communautés de prospérer, de nombreuses disparités subsistent, les tribus étant aux prises avec une pauvreté systémique et un financement fédéral inadéquat. Les soins de santé, souvent gérés par le Service de santé indienrestent sous-financés et inaccessibles pour beaucoup.
Le Canada, malgré ses défauts, a fait de grands progrès en matière de réconciliation sous la direction de Justin Trudeau. La Commission de vérité et réconciliation, l’adoption du projet de loi C-92 pour affirmer les droits des enfants autochtones et les investissements dans les langues et l’éducation autochtones représentent des avancées significatives depuis 2015.
Comme l’a dit un jour l’ancien premier ministre Jean Chrétien : Mieux vaut le diable que vous connaissez que le diable que vous ne connaissez pas.
Les forces et les faiblesses du Canada
Même si le Canada a réalisé des progrès considérables, il est important de reconnaître les défis persistants. Les batailles juridiques du gouvernement fédéral pour refuser des soins de santé aux enfants autochtones et les inégalités systémiques en matière d’éducation et d’opportunités économiques obscurcissent sérieusement la situation. Les communautés autochtones des zones reculées n’ont toujours pas accès à l’eau potable, à un logement adéquat et à des soins de santé de base.
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Le chef Chris Moonias de la communauté de Neskantaga, qui est privée d’eau potable depuis des décennies. (Photo d’archives)
Photo: - / Marie-Laure Josselin
Toutefois, dans des domaines comme la réconciliation et la préservation de la culture, le Canada a surpassé les États-Unis. Les appels à l’action de la Commission Vérité et Réconciliation ont jeté les bases d’une solution aux torts historiques, même si leur mise en œuvre a été lente. Les programmes de soutien aux langues autochtones et la reconnaissance de la gouvernance autochtone sont des pas dans la bonne direction.
L’éducation, un bilan mitigé
Les résultats scolaires des peuples autochtones reflètent une réalité complexe. Aux États-Unis, les étudiants autochtones obtiennent généralement des taux d’obtention de diplôme et d’accès à l’enseignement supérieur plus élevés qu’au Canada, en partie grâce aux collèges tribaux et aux programmes fédéraux ciblés.
Au Canada, même si des écarts en matière d’éducation demeurent, depuis 2016, Trudeau a également considérablement augmenté le financement des écoles des Premières Nations, jetant ainsi les bases d’améliorations futures des résultats scolaires. Ces résultats tardent toutefois à se concrétiser.
Au cours de la dernière décennie, le Canada a enfin commencé à réaffirmer ses engagements envers les peuples autochtones en s’attaquant aux inégalités systémiques et en accélérant les efforts de réconciliation. Ces efforts doivent inclure le respect des obligations découlant des traités, l’abolition de la Loi sur les Indiens, l’amélioration des soins de santé et de l’éducation et l’intégration des voix autochtones au centre du processus décisionnel.
Je suis convaincu que, malgré la rhétorique d’annexion de Trump, les peuples autochtones continueront de répondre à l’appel de leurs obligations sacrées issues des traités, dans l’espoir d’un dialogue profond et d’actions pour bâtir un Canada meilleur.
Les traités sacrés, malgré des siècles d’offenses,
Brisé plusieurs fois, chargé de souffrance,
Résistant toujours, contre une force immense,
Même face à Trump et à son défi.