Exposition à Genève –
Antonio Obá a droit à sa première rétrospective européenne
Le Centre d’art contemporain offre ses espaces au plasticien brésilien, dont le travail protéiforme questionne le corps et le sacré dans l’héritage colonial.
Publié aujourd’hui à 10h12
Abonnez-vous maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.
BotTalk
- Antonio Obá présente sa première rétrospective européenne au CAC Genève.
- L’exposition « Rituels de soins » explore la spiritualité et le patrimoine africain.
- Obá utilise des symboles religieux et culturels pour remettre en question l’identité noire.
- Le racisme et l’identité sont des thèmes centraux dans ses œuvres expressives.
Antonio Obá est aujourd’hui un artiste de renommée internationale dont les peintures atteignent des prix élevés. Dans la mesure où nous pouvons mettre la main dessus. Elle est particulièrement privilégiée par François Pinault, qui l’a exposé dans son Échange commercial Parisienne en 2021 et n’a pas souhaité démonter les quatre tableaux des murs de son salon pour les prêter à CAC (Centre d’Art Contemporain de Genève).
Mais grâce au soutien de la galerie Mendes Bois DMqui représente l’artiste plasticien brésilien, et Laboratoire de Fluxl’institution a installé au bout du Léman la première rétrospective en Europe consacrée à ce créateur protéiforme, né en 1983 à Ceilândia dans un milieu modeste et catholique.
Intitulée « Rituels de soins », cette exposition très réussie – qui sera aussi la dernière avant le fermeture du bâtiment pour travaux d’une durée d’au moins trois ans – s’étend sur deux étages. Il montre la richesse de la pratique d’Antonio Obá qui englobe le dessin, la peinture, la sculpture, la photographie, l’installation, la vidéo et la performance. Cet ouvrage foisonnant développe un propos empreint de spiritualité, faisant du corps son sujet central et revendiquant un héritage africain dans une société qui, historiquement, « a toujours cherché à diluer la culture noire », comme l’indique le CAC dans sa présentation.
Iconographie chrétienne
La recherche sur la jeunesse est étroitement liée à l’iconographie chrétienne. «Extrêmement religieux, Obá a failli entrer au séminaire», explique Andrea Bellini, directrice du Centre d’art de Genève. Finalement, il se forme aux arts et enseigne le dessin pendant quinze ans, avant de véritablement démarrer sa carrière artistique. Le plasticien s’appelait alors encore Antonio de Paula – il se donnera plus tard le nom de famille Obá, signifiant « roi », en yoruba. Agneau, croix, silhouettes comme imprimées sur des linceuls, plusieurs œuvres du deuxième étage montrent à quel point la question religieuse le préoccupait.
D’autres symboles et rituels s’y mêlent également, dans un syncrétisme décomplexé. L’installation « Malungo » (2016), par exemple, met en scène un autel en bois où un calice doré et une bouteille de cachaça se dressent entre deux bougies noires, devant des murs recouverts de feuilles d’or ; au sol, des morceaux de charbon se mêlent à des statuettes de saints, héritages du colonialisme, et des orixás, divinités originaires d’Afrique de l’Ouest.
En associant des icônes qui ont façonné le Brésil contemporain, le plasticien traite les différentes croyances sur un pied d’égalité et interroge l’identité de son peuple : comment savoir d’où l’on vient quand on descend d’une lignée d’esclaves dont aucun registre ne porte une trace d’existence ?
Le racisme constitue une thématique importante dans son œuvre, où le corps noir, souvent le sien, volontiers à moitié nu, occupe une place essentielle. D’ailleurs, une performance au cours de laquelle, en 2016, il s’est recouvert la peau de poudre blanche (matériau issu de l’écrasement d’une statue de la Vierge) a provoqué un tel déferlement de haine qu’il s’est exilé quelques mois à Bruxelles.
S’ensuit une série de grandes peintures, un médium qu’Antonio Obá maîtrise et apprécie particulièrement. Très habitées, inventives et colorées, pleines de signes mystérieux, ses peintures représentent souvent des personnages endormis ou sous l’effet d’un envoûtement – ou sont-ils morts ? – avec la figure récurrente d’Eshu, le dieu central du candomblé brésilien, identifiable dans les peintures par le fait qu’il porte toujours un élément rouge.
Echos politiques
Parfois, les souvenirs personnels font écho politique à la mémoire collective. Comme lorsqu’une fillette de 4 ans tuée par la police dans une favela tient lieu de portrait de saint Antoine dans une scène familiale inspirée d’une photo d’enfance (« Requiem »). Ailleurs, les trois Grâces deviennent mort, vie et courage, avec à leurs pieds un agneau sacrificiel, tandis que, plus loin, un groupe d’adolescents dansent en culotte de dentelle dans un champ de coton.
Virtuose sans être démonstratif, son pinceau use, ici, de touches néo-impressionnistes et, là, expressionniste, naïf ou décoratif, à la limite du kitsch. Dans un flot de références mythologiques ou cosmogoniques s’épanouit la dignité de l’humanité noire, reconstituant son passé pour mieux se projeter dans son avenir, avec des rituels comme acte final de résistance.
Jusqu’au 16 février au CAC, 10, rue des Vieux-Grenadiers. Mardi-dimanche 11h-18h
Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.
0 commentaires