comprendre le piège identitaire et la montée en puissance du Rassemblement national

comprendre le piège identitaire et la montée en puissance du Rassemblement national
comprendre le piège identitaire et la montée en puissance du Rassemblement national

Le cyclone Chido a révélé l’extrême vulnérabilité de Mayotte, frappée par de multiples crises sanitaires et sociales ces dernières années. Les tensions accumulées sont accrues par la méfiance de nombreux Mahorais envers les immigrés venus des Comores et du continent africain. Une situation qui n’est pas étrangère à l’explosion du vote Rassemblement National, passant de 2% des suffrages en 2012 à 42% en 2022. Marine Le Pen se rend sur l’île dimanche 5 janvier.


Avant la catastrophe provoquée par le cyclone Chido, Mayotte était marquée par de multiples tensions : services de santé saturés, accès réduit à l’eau, écoles surpeuplées soumises à la rotation des élèves, délinquance extraordinaire, trafics de « produits chimiques » (mélange de tabac et de cannabinoïdes de synthèse), opérations de police. pour sécuriser les sites touristiques. Résultat : une vie sociale mahoraise qui semble entravée.

Ces éléments sont amplifiés par une démographie explosive : la population de l’île est passée de 23 364 habitants en 1958 à 321 000 habitants en 2024. Les moins de 25 ans représentent 60 % de la population et connaissent des niveaux de pauvreté, d’abandon scolaire et de chômage particulièrement élevés. Ces jeunes en difficulté se répartissent en deux groupes inégaux : les Français et les étrangers qui, au mieux, n’ont accès qu’à des petits boulots – au pire, au chômage ou à la délinquance.

La question des migrants

Dans le cadre du projet de recherche MIGRAF, nous avons mené des enquêtes auprès des Mahorais sur la question de l’immigration à Mayotte.


Lire la suite : Mayotte, les Comores, la métropole : ambiguïtés d’une situation (post)coloniale


Depuis les années 2000, les manifestations contre l’immigration clandestine et les blocages se multiplient et témoignent de la construction, par les groupes citoyens, les médias nationaux et les rapports parlementaires, de l’immigration comme un problème public qui empêcherait le développement économique et social. de Mayotte. Ces tensions alimentent l’opposition entre les Mahorais et les migrants, qui représentent la moitié de la population, et révèlent un rapport difficile à la nationalité.

Les Mahorais avec lesquels nous avons discuté ont tous exprimé la même chose : « tout est fou ici ». Ils vivent un quotidien qu’ils ne peuvent expliquer. Ces propos sont intimement liés à la question de l’autre, de l’étranger.

Une altérité à géométrie variable qui dépend des tensions et des hiérarchies du moment s’est mise en place : tantôt c’est la présence de l’Africain qui est jugée problématique, tantôt celle du Congolais (ou du Somalien), sans toutefois venir totalement éclipser. celle des Comoriens ((95% des étrangers sont des Comoriens, et particulièrement des Anjouanais (habitant de l’île d’Anjouan, partie de l’archipel des Comores). L’utilisation de l’article défini plutôt que de l’article pluriel pour définir une population est omniprésent dans nos interviews.autrede l’étrangerdevient la source de fixation et de hiérarchie produisant violence et stigmatisation.

Cette reconfiguration des frontières ethniques, malgré la persistance des économies morales, des liens familiaux ou amicaux entre « Mahorais » et « Comoriens », entre « Mahorais » et « Africains », trouve sa source dans l’instauration d’une frontière nationale et européenne. , la partition politique de l’archipel et l’inquiétude simultanée des Mahorais quant à leur insertion dans l’État-nation français. Cette inquiétude est amplifiée par les propos malheureux de François Bayrou évoquant une île hors du « territoire national » ou ceux du président Macron déclarant « si ce n’était pas la , vous seriez 10 000 fois plus en difficulté ! » – des propos qui créent une distance (politique, institutionnelle et symbolique) et qui valident l’hypothèse d’un « département colonie ».

D’autres mécanismes renforcent cette production d’altérité irréductible, comme le rôle social des ragots et des rumeurs dans la création d’une identité par la différence, renforçant le couple eux/nous. C’est par exemple le cas au vu des revendications territoriales des Comores sur Mayotte depuis 1974, discours qui véhiculent l’idée que les flux migratoires en provenance des Comores peuvent être mobilisés comme outil géopolitique de déstabilisation. Selon ces discours, l’Etat français permettrait le remplacement de la population pour satisfaire les revendications territoriales des Comores sur Mayotte.

« Déracialisation » du discours du RN

En déplacement sur l’île en avril 2024, Marine Le Pen a fait de l’installation de migrants africains dans la rue le symbole du « chaos » qui « menace Mayotte d’un danger mortel ». A Mayotte, le Rassemblement National a fait un bond spectaculaire. Il est passé, au premier tour de l’élection présidentielle, de 2,7% en 2012 à 42,6% en 2017. En 2022, Mayotte est le département où le Rassemblement national a réalisé son plus gros score au premier tour de l’élection présidentielle. , avec 42,89% des voix.

Cette ascension fulgurante doit être liée à une stratégie de déracialisation et de diabolisation du discours politique du RN outre-mer. Dans l’archipel, il ne s’agit pas pour le parti d’extrême droite de fustiger l’islam (95 % des Mahorais se disent musulmans), mais la présence de Comoriens et même d’Africains.

Marine Le Pen sur une opération séduction à Mayotte lors de la campagne pour les élections européennes 2024.

Cette présence migratoire est pourtant un élément nécessaire au fonctionnement social de l’île, notamment dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, de l’emploi domestique ou encore dans celui de la mobilité avec les taxis motos, dont les chauffeurs sont tous des Africains du continent en situation irrégulière. sur le territoire. La présence migratoire, décrite comme la source de tous les maux de l’île, est en réalité une ressource permettant de compenser les échecs des politiques publiques. S’ensuit une situation ambiguë qui évoque le « racisme sans race » et le « narcissisme des petites différences ».

Des associations se sont progressivement constituées pour mettre fin au phénomène de l’immigration clandestine, à l’instar du « Collectif des citoyens de Mayotte 2018 », créé à la suite du mouvement social de 2018. Sa présidente, Safina Soula, dénonce les failles du 101.e département français, à savoir l’immigration, la précarité, l’éducation et enfin le coût de la vie. Le mouvement de contestation populaire, très actif, appelle à un renforcement conjoint de la lutte contre l’immigration clandestine et contre l’insécurité croissante – faisant évidemment le lien entre les deux.

Mais réduire toutes les causes des malheurs de l’île à la question de la migration et de l’identité, désormais incarnée par le migrant africain, conduit à rendre invisible la question sociale et économique.

Marine Le Pen à Mayotte : déjà en 2021, une visite qui ne vous laissera pas indifférent.

Situation postcoloniale

Comme souvent dans une situation postcoloniale, tout se passe comme si le territoire, initialement historiquement conçu comme devant générer des ressources, ne devait pas coûter cher à la métropole. Ainsi, la départementalisation est restée largement incomplète avec des services publics sous-financés, des déficits importants dans les structures d’éducation et de formation et des droits réduits.

A Mayotte, les exceptions sont légion. La politique migratoire repose sur les expulsions systématiques, la précarité juridique (confinement des mineurs dans des centres de rétention administrative (CRA)) et sociale (l’aide médicale d’État et la protection sanitaire universelle ne s’appliquent pas à Mayotte). Les droits sociaux sont également réduits : le Smic et le RSA sont par exemple bien inférieurs à ceux de la métropole.

On peut certes percevoir Mayotte comme un territoire de politiques exceptionnelles liées aux flux migratoires, otage de questions identitaires amplifiées par le jeu politique national. Mais malgré ce sombre constat, n’est-il pas possible de concevoir Mayotte comme un lieu où pourraient se déployer des projets (en matière de logement, d’environnement, de politiques sociales, de nouvelles coopérations), de solutions sociales, économiques et environnementales, de manière positive ? Pour ce faire, nous devons saisir les crises que traverse le ministère comme une opportunité pour repenser bon nombre des défis du 21e siècle.e siècle et se débarrasser de l’idée selon laquelle l’île ne peut être sauvée que de l’extérieur, à l’instar de la promesse présidentielle d’une longue piste d’atterrissage à l’aéroport.

 
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