« En , les violences policières contre les militants écologistes et climatiques sont massives » – Libération

« En , les violences policières contre les militants écologistes et climatiques sont massives » – Libération
« En France, les violences policières contre les militants écologistes et climatiques sont massives » – Libération

Face A, le mouvement européen pour le climat et la biodiversité s’assoupit. En Autriche, le groupe Letzte Generation (Last Generation) renonce aux blocages de routes et de théâtres. A Londres, Extinction Rebellion a troqué ses actions punchy contre des événements bon enfant. Face B, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient d’annuler l’autorisation délivrée au réservoir de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), offrant une victoire symbolique aux Insurrections de la Terre, qui ont su mettre en scène la bataille des mégabassins.

Familier des hauts et des bas de la lutte écologique à travers l’Histoire, le politologue Oscar Berglund se garde bien de prédire l’échec ou le succès. Il préfère fournir, avec d’autres chercheurs de l’Université de Bristol (Royaume-Uni), une riche analyse quantitative de la criminalisation croissante menée à l’encontre des défenseurs de l’environnement. Le phénomène, plus souvent étudié dans les pays du Sud où la répression est parfois sanglante, n’épargne pas l’Europe, souligne ce natif de Suède, également enseignant à Sciences-Po Lille.

Quel a été le point de départ de votre travail ?

Je m’intéresse aux mouvements de contestation environnementale depuis 2019, après avoir travaillé sur d’autres formes d’activisme. Ce rapport s’intéresse à la criminalisation de ces manifestations, majoritairement pacifiques, à partir de 2020-2021. Habituellement, les recherches se concentrent sur les pays du Sud ; notre approche est plus globale.

Quelle conclusion propose cette étude comparative ?

On observe une intensification globale de la répression lors des rassemblements au cours de la période que nous avons étudiée, c’est-à-dire entre 2012 et 2023, y compris dans les pays démocratiques comme le Royaume-Uni, la ou l’Allemagne. Partout, les défenseurs de l’environnement et du climat sont victimes d’une violence systémique, orchestrée par les États, parfois en collusion avec des intérêts privés. Cette surcriminalisation révèle une profonde injustice, car les responsables de la pollution, de la crise climatique ou de l’effondrement de la biodiversité échappent souvent aux poursuites.

Dans combien de pays votre travail couvre-t-il ?

Nous avons analysé les données de trois bases de données principales : Acled, qui enregistre les conflits violents et les manifestations à travers le monde sur la base d’articles de presse ; Global Witness, qui documente les meurtres de défenseurs de l’environnement ; enfin le Climate Protest Tracker de la Fondation Carnegie, avec sa liste des manifestations en cours. Le matériel ainsi collecté nous a permis de travailler sur quatorze pays, où la fréquence des manifestations et des violences contre les militants sont importantes, et pour lesquels nous avons pu, outre une analyse quantitative, mener une étude qualitative approfondie.

Pourquoi faire la distinction entre défenseurs de l’environnement et défenseurs du climat ?

Même si certains participent à ces deux formes de luttes, les militants écologistes, opposés aux projets industriels ou agricoles, subissent davantage de violences. Nous sommes plus fréquemment tabassés par la police lors d’une manifestation dans une zone rurale contre l’expansion d’une mine, d’un puits de pétrole ou la construction d’un barrage, que lors d’une marche pour le climat au centre d’une ville. grande ville. Une femme indigène luttant contre la déforestation au Brésil est confrontée à plus de risques qu’un jeune d’Extinction Rebellion lors d’un rassemblement devant le Parlement de Westminster à Londres.

Comment la répression se manifeste-t-elle à travers la planète ?

Quatre mécanismes principaux sont à l’œuvre. Tout d’abord, du Royaume-Uni à l’Australie en passant par les États-Unis, on assiste à une multiplication alarmante des lois répressives, notamment contre les manifestations, avec l’introduction de nouveaux délits, ou l’aggravation des sanctions pour les violations existantes.

Deuxièmement, la législation antiterroriste ou anti-criminalité organisée est, en Allemagne, en Espagne ou aux États-Unis, détournée de ses objectifs initiaux pour être utilisée contre les militants écologistes. Cela conduit à une dépolitisation des débats juridiques ; il est parfois interdit de mentionner le réchauffement climatique ou les dommages environnementaux devant les tribunaux.

Troisièmement, dans certains pays, la police ou l’armée, mais aussi des acteurs non étatiques comme des sociétés de sécurité privées ou des mafias, infiltrent les mouvements de protestation, empêchent les manifestations, menacent, fouillent ou brutalisent les militants.

Finalement, les mêmes acteurs vont jusqu’à assassiner et faire disparaître des militants. Ces actes, fréquents dans certains pays du Sud après des menaces de mort ou d’autres formes d’intimidation, constituent une forme d’extension des pratiques répressives.

Vous donnez de nouveaux chiffres sur la proportion d’interpellations et de violences policières lors des manifestations, deux indicateurs du niveau de répression…

Notre étude montre que 6,3 % des mobilisations écologistes aboutissent à des arrestations, avec un pic à 20 % en Australie. Les violences policières touchent 3% des manifestations écologistes et même 6,5% d’entre elles au Pérou.

Le Royaume-Uni se distingue par son taux d’arrestation élevé, tandis que les policiers français ont des pratiques plus brutales que ceux d’outre-Manche…

Au Royaume-Uni, la répression s’effectue dans un cadre légal, via des lois draconiennes voulues par les conservateurs lorsqu’ils étaient au pouvoir, un allongement de la durée de certaines peines (cinq personnes ont été condamnées à quatre et cinq ans de prison en juillet), et un contrôle judiciaire strict des procès qui limite les moyens de défense des militants. En France, le taux d’arrestation (3,2%) est bien inférieur à celui du pays où je vis (16,8%) et à la moyenne des pays étudiés (6,7%), mais les violences policières (3,2% contre 0,2% dans la Royaume-Uni et 3% en moyenne) sont bien plus massifs.

Les données confirment ce qui est une évidence pour le chercheur que je suis lors d’une manifestation à Lille ou à celles d’un journaliste britannique en reportage à Sainte-Soline : là où vous habitez, des policiers ou des gendarmes arrivent sur les lieux d’une mobilisation à coup de gaz lacrymogènes, armés. , prêts à se battre, équipés pour « affronter » les manifestants, même pacifiques. De manière générale, les violences policières sont plus répandues dans les pays où les arrestations sont moins fréquentes. Ce sont deux méthodes différentes pour atteindre le même objectif : dissuader les citoyens de se mobiliser.

Mais ce n’est « rien » comparé à la situation de certains pays du Sud…

Entre 2012 et 2023, plus de 2 000 défenseurs de l’environnement ont été assassinés, principalement au Brésil (401), aux Philippines (298), en Inde (86) et au Pérou (58). Au Pérou, c’est souvent la police qui tue, tandis qu’au Brésil, c’est souvent le crime organisé. Certes, l’État brésilien ne fait pas grand-chose pour empêcher ces meurtres, mais au moins il ne les commet pas lui-même.

Le mouvement Extinction Rebellion, auquel vous avez consacré plusieurs passages de ce rapport et, en 2021, un livre non traduit en France, a-t-il été particulièrement visé par la répression ?

Ce mouvement a joué un rôle clé dans la lutte climatique, notamment au Royaume-Uni et en Australie, où ses militants cherchent souvent volontairement à être arrêtés. Cette stratégie explique le taux élevé d’arrestations, mais démontre aussi une certaine confiance dans un système où les brutalités policières restent limitées.

La répression que vous documentez explique-t-elle le moindre succès actuel des marches pour le climat ?

Pas nécessairement. Depuis les années 1960 et 1970, les mouvements écologistes ont traversé des cycles. Après la crise financière de 2008, ils ont connu une crise. Et puis, à partir de 2018-2019, le mouvement pro-climat prend de l’ampleur, porté par ses discussions avec les partis écologistes de gauche, l’idée d’inventer un Green New Deal pour faciliter la transition écologique et bien sûr l’émergence chez les jeunes de une figure comme Greta Thunberg. Ces dernières années, le nombre de mobilisations est resté stable malgré un succès populaire moindre.

Comment interprétez-vous la criminalisation croissante des manifestations environnementales ?

Cette escalade reflète paradoxalement l’efficacité croissante de ces mouvements. Si la criminalisation se poursuit, elle risque de radicaliser la protestation.

Votre rapport préconise justement de mettre fin à la répression…

Il est crucial de reconnaître les militants écologistes comme des acteurs politiques légitimes et non comme des criminels. La répression systématique ralentit une transition écologique déjà atone.

Face à l’incompréhension des gouvernements, n’est-ce pas le lot commun de nombreux mouvements de désobéissance civile ?

L’histoire montre que de nombreux mouvements vilipendés finissent par triompher. Rien ne dit que ces militants ne connaîtront pas le succès des suffragettes anglaises ou des militants américains des droits civiques. Une nouvelle année commence, pourquoi ne pas y croire ?

 
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