La situation économique et politique actuelle dans laquelle se trouvent respectivement l’Allemagne et la France, ainsi que la qualité dégradée des relations entre ces deux partenaires constituent une source sérieuse d’inquiétude pour l’Europe à l’heure où, justement, la construction européenne n’a jamais été aussi menacée.
L’éclatement de la coalition tripartite au pouvoir à Berlin, la montée du parti d’extrême droite AFD, une économie proche de la croissance zéro, sont autant de signaux qui révèlent une Allemagne qui peine aujourd’hui à réinventer un modèle stratégique de développement fondé sur , depuis plus de vingt ans, sur la sécurité déléguée aux États-Unis, sur l’énergie à bas prix fournie par la Russie et sur le marché chinois pour ses exportations industrielles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a brisé ce triptyque et affaibli considérablement la première économie de l’UE, l’un des moteurs de la construction européenne.
De ce côté du Rhin, on ne s’étendra pas sur la situation de la France, suspendue par l’irresponsabilité et la pusillanimité de sa classe politique depuis la dissolution extravagante de l’Assemblée nationale en juin dernier : absence de majorité parlementaire, dette abyssale, déficit public endémique, effacement progressif sur la scène européenne et internationale, tableau désormais bien connu qui révèle un pays en ruine et incapable de jouer le rôle historique de moteur de la construction européenne qui fut le sien pendant 70 ans.
Ces situations pour le moins compliquées dans lesquelles se trouvent la France et l’Allemagne se conjuguent pour affecter dangereusement la relation franco-allemande, pilier de la paix en Europe et clé de voûte de la construction européenne. Sous le mandat du chancelier Scholz, les désaccords entre Berlin et Paris se sont en effet multipliés sur des sujets majeurs :
-Sur les leçons à tirer de la guerre en Ukraine tout d’abord, alors que Paris plaide ardemment pour un renforcement de la défense européenne, Berlin s’accroche à la protection américaine et privilégie le renforcement de l’Otan.
-Sur la coopération militaire franco-allemande, la liste des projets abandonnés ou suspendus s’allonge (modernisation des hélicoptères de combat Tigre, programme commun sur les avions de patrouille maritime) tandis que les deux projets emblématiques du futur char de combat franco-allemand (MGCS) et du Futur Les systèmes de combat aérien (SCAF) ralentissent sur fond d’intérêts industriels divergents.
-Sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe, qui combine trois crises climatiques, géopolitiques et industrielles, et se cristallise autour des débats sur le nucléaire et le fonctionnement du marché européen de l’électricité.
-Sur le Mercosur, auquel l’Allemagne est très favorable au nom du libre-échange et auquel la France a exprimé sa forte opposition, notamment sur les aspects agricoles, environnementaux et sanitaires.
La question de l’instabilité et des difficultés de toutes sortes auxquelles sont confrontés aujourd’hui Allemands et Français et l’éloignement important que subit la relation entre Paris et Berlin prend tout son relief dans un contexte crucial pour l’Union européenne, elle-même confrontée à des incertitudes stratégiques sur sa capacité à créer une souveraineté militaire, économique et politique.
La souveraineté militaire face à une Russie despotique et impérialiste alors que le risque d’un désengagement américain est de moins en moins hypothétique avec l’arrivée d’un nouveau Président à la Maison Blanche.
La souveraineté politique face à un monde où la rivalité sino-américaine grandissante se fait de plus en plus évidente, où les conflits se multiplient aux quatre coins de la planète et où les Nations Unies et le droit international cèdent chaque jour davantage la place à le rapport. par la force.
Souveraineté économique (industrielle et commerciale) face à l’agressivité chinoise et aux pressions commerciales et douanières des États-Unis.
Il n’y a certainement pas grand-chose à espérer pour les prochains mois, pendant lesquels il faudra, volens nolens, faire preuve de retenue : l’Allemagne s’est mise en attente des élections fédérales du 23 février et de l’issue des négociations sur la formation d’un nouveau gouvernement, alors que la France entame cette nouvelle année sans budget et en parlant quotidiennement de la durée de vie du gouvernement actuel.
Cependant, face à cette situation morose, la résignation ou le découragement ne sont pas de mise. Le moment est en effet venu pour tous les acteurs, et ils sont nombreux, de la relation franco-allemande de se mobiliser, ne serait-ce que pour rappeler l’importance et les enjeux du moteur franco-allemand qui dépassent les seuls deux protagonistes. .
Représentant 48 % du PIB européen, 32 % de la population européenne et 31 % du budget de l’UE, la France et l’Allemagne partagent une responsabilité qui va bien au-delà de leurs seuls intérêts nationaux. C’est pourquoi, au-delà du seul « couple » franco-allemand, pourrait être associé un troisième partenaire, la Pologne, qui fait partie depuis 1991 du « triangle de Weimar », cadre de coopération qui organise et régit les relations trilatérales entre l’Allemagne, La France et la Pologne, qui devient la première puissance militaire conventionnelle d’Europe, qui préside le Conseil européen depuis le 1er janvier de cette année. Ce serait une voie à suivre pour dynamiser la relation franco-allemande et promouvoir une nouvelle dynamique dans l’Europe de sécurité et de défense, deux objectifs dont l’urgence n’est plus à démontrer.
Ancien diplomate, Bernard Valero a servi 45 ans au ministère des Affaires étrangères. Il a notamment été consul général de France à Barcelone, ambassadeur à Skopje et à Bruxelles, directeur de la communication et porte-parole du Quai d’Orsay… Bernard Valero est aujourd’hui membre du conseil de surveillance de l’UpM.