Chercher le vent comme une aiguille dans une botte de foin, ou au contraire prier pour qu’il s’arrête alors que tout ne tient qu’à un fil… C’est cette dernière situation que nous avons vécue il y a quelques heures Thomas Ruyant (VULNÉRABLE, 4ème), déboussolé dans une tempête argentine aussi soudaine qu’inattendue. Pendant deux heures, l’anémomètre s’affole, enregistrant jusqu’à 60 nœuds, dans une ambiance grise de fin du monde… Dans ces cas-là, il n’y a qu’une seule solution : le point de fuite. Mais c’est la voile d’avant en lambeaux que le Nordiste surgit, et ses émotions sont chamboulées : « Je n’ai jamais eu ça ! Pendant deux heures, entre 45 et 60 nœuds, l’enfer ! Je ne comprends pas, je n’ai rien vu sur les cartes, c’est sûr que c’est actif par ici, mais ça a duré, duré ! Je suis vert… allez, je me remets sur les rails ! J’ai un morceau de J2 qui bat là-haut, de toute façon, je ne peux pas y monter le mât, la mer est déchaînée ! Thomas Ruyant, Vulnérable.« On a hâte que ça se termine »Trop de vent derrière, pas assez devant… Tout est finalement une question de point de vue ! Toujours en tête, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), « en pleine forme » continue de goûter « à la douceur de vivre brésilienne », mais souhaiterait tout de même que les alizés deviennent moins timides : « J’ai rarement eu autant de variations de direction du vent aussi fortes qu’hier : tu tournais la tête et regardais l’afficheur, tu étais en refus, quelques secondes plus tard, tu étais adolescent, c’était fou. Normalement, le vent devrait commencer à se lever le matin j’espère, ça nous permettra d’allonger un peu la foulée, on va changer un peu notre rythme, c’est bien ! Nous allons parcourir un peu plus de terrain que ce que nous avons fait ces derniers jours et retrouver un rythme où ça bouge un peu plus ! Charlie Dalin, Macif Santé prévoyance. Au lever du jour, le sillage du Havrais, qui est monté hier au mât pour vérifier l’usure d’une de ses lisses, commençait en effet à se resserrer doucement, et à repasser les 10 nœuds moyens. Mais il en faudra un peu plus pour battre Yoann Richomme (PAPRE-ARKÉA, 2e), qui n’est visiblement pas prêt à se laisser ronger la laine de son dos, et repart lui aussi à pas lents… endurant, il n’est pas prêt à avoir un point de côté, à moins que ce ne soit pour mieux doubler !
Mais il y en a d’autres plus mal en point que ces deux-là, notamment dans le groupe des poursuivants venus de l’Atlantique Sud, encore loin de voir la fin du près. Pour ceux-là, mettons les points sur les i, le sac à nœuds n’est pas tout à fait terminé, comme nous l’expliquait hier soir Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 9e) :« Depuis les Malouines, ce n’est pas très agréable, surtout là-bas avec la mer qui monte, ça tape fort, parfois on a un peu peur pour le bateau ! On a hâte que ça se termine car c’est un peu éternel, ce qui est vraiment un peu embêtant c’est que les modèles météo changent beaucoup d’une séance à l’autre, donc on ne sait pas trop ce qui se passe. pense ! » Boris Herrmann, Malizia – Seaexplorer. Sans jamais perdre sa voix posée et posée, le marin allemand, qui aimerait encore savoir comment se faufiler, finit par s’énerver :« Je pense qu’on a encore une bonne semaine devant nous avec beaucoup de questions, de transitions et de manque de clarté ! Physiquement c’est dur de faire les virements, car le foil bâbord est difficile à descendre, donc je galère comme un fou pour le baisser, ça me prend du temps. Là on a fait, je ne sais pas, 12-15 transferts ? Je suis un peu fatiguée, en colère, ça suffit ! Ça suffit, on aimerait naviguer normalement, ici on est comme des cochons au près, mais bon je ne vais pas me plaindre, là je vais à la couchette, j’espère ne pas me faire éjecter. Tout à l’heure, nous avons fait un saut qui nous a fait très mal au dos, qui a vraiment tapé très fort, j’espère qu’il n’y en aura pas beaucoup d’autres comme ça ! Boris Herrmann, Malizia – Seaexplorer.“Je le paie avec mes nerfs”Dans la galère, point de référence ! C’est aussi l’avis d’Isabelle Joschke (MACSF, 18e), asymétrique depuis la casse d’un de ses foils, qui est justement en train de peaufiner : « Quand je dois empanner par exemple, je dois immédiatement changer de voiles, je ne peux pas avoir la même configuration de voilure d’un côté et de l’autre, donc ça change la stratégie, car empanner pendant deux heures, ça fait beaucoup de travail ! J’ai l’impression de réapprendre mon bateau, je teste, j’essaye des choses, je vois s’il ne colle pas trop, s’il tient la vague… c’est beaucoup plus exigeant, et quand je suis naviguant bâbord amure, je suis toujours en alerte ! Et je suis beaucoup plus lent, j’ai du mal à atteindre de bonnes vitesses moyennes, mes performances ont baissé d’un cran ! » Isabelle Joschke, Macsf.Le résultat ? «Je le paye avec mes nerfs», nous confie Isabelle Joschke, qui s’attend également à deux fortes rafales de vent avant de passer le cap Horn, dans trois à quatre jours. “Il va falloir faire des compromis, des choix, et peut-être des sacrifices”, explique le Franco-Allemand, qui reconnaît que “ce n’est pas facile de rester serein”.
C’est un point commun qu’elle partage également avec Arnaud Boissières (La Mie Câline, 29e), plus en retrait dans la flotte, mais tout aussi tendu. La faute aux icebergs bien sûr, qui ont quand même rappelé à son petit groupe de bateaux que leur aventure peut vite s’arrêter si l’on ne surveille pas assez ses radars ! « Ce qui m’intrigue le plus, c’est que je suis passé pas très loin de la position indiquée par Eric devant moi, mais je ne l’ai pas vu sur le radar. Tout est allumé, ça rajoute un peu de stress, je suis un peu plus lent ces derniers temps… J’ai une voile d’avant, le petit gennaker, que j’ai décidé d’utiliser davantage. L’indien entier commençait à se décoller, j’ai longtemps hésité, mais rien qu’en le manipulant à la main, il craquait de peur, c’est vrai ! C’est pour ça que je suis aussi un peu plus lent.. Arnaud Boissières, The cuddly crumb.« J’avais peur que le clou se détache ! » »De fil en aiguille, le skipper des Sables d’Olonne a fini par abandonner, ce qui n’a pas aidé son moral puisqu’il a frôlé… le point de couture !« J’ai eu un petit pet sur un doigt, avec un drap qui me glissait entre les doigts, et le geste du débutant : je voulais tenir le drap quand il est plus fort que toi, alors tu atterris avec ton doigt sur le bord du treuil… ça saignait un peu mais pas beaucoup au final, j’avais peur que le clou se détache ! J’ai beaucoup de courbatures, je l’ai remarqué en me massant, il y a un sac je l’accompagnais sur le toboggan, je me laissais glisser, comme à l’école… je ne sais pas si c’est de la fatigue, je dirais c’est plus d’usure ! » Arnaud Boissières, La mie câline. Car oui, même si nos marins du Vendée Globe sont du beau matos, partout ils se mettent à tirer et à craquer dangereusement. « Jusqu’à présent je trouvais qu’il y avait un rythme, et honnêtement je trouve que le temps est long. C’est bien de se le dire, cela permet de se l’admettre ! Même si je parle à mon bateau, je me parle… Arnaud parle à Cali, Cali lui répond, le bateau parle aussi », confie le marin, qui n’est décidément pas content de sa position dans la flotte actuellement. Mais nous voulons lui rappeler que ça ne sert à rien de courir, il faut partir à l’heure… et surtout à l’heure Nemo ! « Nous sommes à 1 800 milles du Cap Horn, c’est encore un peu de chemin à parcourir, mais chaque kilomètre est une petite victoire. Tout à l’heure, j’étais stressé, je suis allé à l’arrière du bateau, mais tout va bien. Dans ces moments-là, quand on a une baisse de moral comme ça, c’est le bateau qui prend le relais, je me réconforte avec l’attitude du bateau tel qu’il est là, le peu de confort qu’il y a à bord, et ça fait du bien. Allez, je vais continuer à discuter avec Arnaud là, bonne journée à tous, c’était Cali ! Arnaud Boissières, La mie câline. Un peu de folie dans ce monde où rien ne se mesure, et qui rentre rarement dans les détails. La seule chose qu’aucun d’eux ne veut voir sur ses aiguilles ? Le point de non-retour. Retrouvez notre quotidien analyse météo de course avec METEO CONSULT Marine dans notre special report Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce au cartographie.