Quand on retrouve Yan Giezendanner à Chamonix, chez lui au pied du Mont Blanc, il est en transit entre l’Himalaya, l’Aconcagua et le Fitz Roy. Routeur météo, il consacre sa vie à se déplacer d’un continent à l’autre, d’un haut sommet du monde à l’autre, au fil des saisons. Sans quitter son bureau des Pèlerins. L’histoire de Yan en matière de prévisions météorologiques et de montagnes n’est pas nouvelle. Dans les années 1950, son père s’installe brièvement à Chamonix pour grimper et skier. Faut-il y voir un panneau ? En tout cas, le jeune garçon, né à Paris et qui a vécu en Suisse, s’est toujours intéressé à la nature et aux ciels changeants. Ses balades et randonnées lui permettent d’être au plus près de cette palette de sensations sans cesse renouvelée.
Au milieu des années 1970, à une époque où la météo n’était peut-être pas encore devenue l’obsession contemporaine qu’on connaît, le jeune homme intègre l’Ecole nationale de météorologie de Saint-Cyr (créée depuis 2021 à Toulouse). A la sortie de sa formation en 1977, il obtient, un peu par hasard, un poste de prévisionniste à Météo-France Chamonix. Une heureuse coïncidence car la vallée de Chamonix et les reliefs environnants occuperont rapidement une place à part dans son amour de la nature. Cette attirance l’amène à parcourir les montagnes, l’été à pied, l’hiver à ski. Courir vers les sommets des hautes montagnes ? Ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. La forêt et les alpages sont privilégiés. « Je suis un contemplatif. Rien de tel que de voir les nuages courir sur le sommet du Mont Blanc”. Avoir un peu de recul pour avoir une vue d’ensemble, c’est mieux.
Le répondeur le plus écouté de France
Les bureaux de météo sont situés à la Maison de la Montagne, au-dessus des bureaux de la Compagnie des Guides et à quelques dizaines de mètres du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne. Le jeune prévisionniste est directement en contact avec ceux qui font battre le cœur de la capitale mondiale de l’alpinisme et du ski, de Frison-Roche aux stars du moment, Boivin, Profit, Escoffier, en passant par les anonymes qui skient et grimpent. Pour tous, la météo du centre de Chamonix pour la Haute-Savoie est un rendez-vous incontournable, trois fois par jour. Le centre a été créé à l’initiative de Maurice Herzog, suite à plusieurs drames dans le massif du Mont-Blanc (notamment l’affaire Vincendon et Henry). Au pied du plus haut sommet d’Europe, c’est un lieu emblématique de la météo de montagne. “A certaines heures, le répondeur était l’un des plus consultés en France”se souvient Yan. Le soir, on se rassemble devant la vitrine de la pharmacie de la rue Vallot pour voir le bulletin tapé sur papier carbone. « J’ai ressenti une certaine pression pour ne pas me tromper, une pression liée à la fréquentation de la montagne et à l’activité touristique. La question de la crédibilité est importante. Et au début, les modèles numériques disponibles ne dépassaient pas les 48 heures… ».
« Je suis un contemplatif. Rien de tel que de voir les nuages courir sur le sommet du Mont Blanc”
L’expérience de Yan s’appuie sur de nombreux retours d’expérience de ceux qui sont sur le terrain et vivent de près la réalisation des prévisions. Il s’est également formé auprès du chef de chantier Jean-Jacques Thillet, l’un des pionniers de la météo de montagne, qui lui a apporté la connaissance du massif et l’exigence de précision, de rigueur et de concision qu’exige le métier. « Les situations météorologiques étaient peut-être plus simples à analyser qu’aujourd’hui. L’hiver a été long, plus marqué, avec de très fortes chutes de neige même dans les vallées, suivi d’anticyclones marqués et des températures allant jusqu’à -15°C, -20°C régulièrement. Aujourd’hui avec le réchauffement climatique, c’est très différent. Des automnes et des printemps pluvieux, des accumulations de neige en haute altitude au printemps, un été qui arrive très vite, des changements rapides. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les gens qui se sont installés dans la vallée ces dernières années supporteraient la rigueur des hivers précédents. Je me souviens aussi des grosses avalanches des hivers des années 80… ».
Expéditions demandées
Dès le milieu des années 1990, le regard de Yan, à travers ses écrans, se tourne vers les massifs lointains. On observe déjà l’augmentation du nombre d’expéditions et la multiplication des expéditions commerciales, ainsi qu’une révolution technologique appelée Internet. Des cartes météo commencent à circuler et sont rapidement envoyées sur des téléphones miniaturisés que les équipes emportent en expédition. Ils sont friands de prévisions sur l’évolution des conditions afin de déterminer les bons créneaux, notamment celui de la fameuse poussée sommitale.
« Petit à petit, je serai détaché un mois par an, puis plusieurs mois, pour être l’interlocuteur de ces expéditions qui souscrivent à ce service de routage météo. C’est un travail de préparation, en amont, qui s’intensifie au fil de l’expérience. L’horaire typique est d’un bulletin par jour pendant la phase d’acclimatation. Puis cela s’accélère jusqu’à devenir presque permanent. C’est d’autant plus simple qu’aujourd’hui, les informations s’échangent par SMS.» Petit à petit, Yan accumule de l’expérience. C’est fait d’heures passées devant ses ordinateurs et ses cartes météo, devant Google Earth et surtout avec ses clients sur les plus hauts sommets du monde, malgré le handicap qui l’immobilise dans son fauteuil roulant.
Du K2 à El Niña
Aujourd’hui retraité de Météo-France, le routeur météo continue son activité indépendante dans son bureau de Pèlerins. Une vingtaine d’expéditions à travers le monde l’occupent environ huit mois par an, de l’Himalaya à la Patagonie en passant par Denali, en Alaska. Cette année, il était au K2 avec Liv Sansoz, Zeb Roche et Benjamin Védrines qui ont décollé du sommet le 28 juillet. « Chaque domaine a ses spécificités. Par exemple, la Patagonie est compliquée, les périodes de mauvais temps sont longues et les fenêtres sont très courtes, il faut les saisir”. Evidemment, les alpinistes savent que dans ces territoires d’altitude, plus encore qu’ailleurs, les prévisions ne sont… que des prévisions. La pertinence d’une prévision et sa capacité à bien être utilisée dépendent également de facteurs non météorologiques, notamment du contexte dans lequel le groupe évolue sur le terrain et de ses contraintes. “J’arrive à avoir une certaine finesse, je me surprends”dit Yan en souriant. Le prévisionniste a une certitude : fort de son expérience, il sait dans quels contextes il peut se tromper. Une habitude des probabilités liée à l’expérience de terrain. Et demain, avec l’IA, les choses seront encore plus raffinées.
« La pertinence d’une prévision et sa capacité à bien être utilisée dépendent aussi de facteurs non météorologiques, notamment du contexte dans lequel le groupe évolue sur le terrain, de ses contraintes »
Notre entretien touche à sa fin. Yan lève les yeux de son ordinateur. Sur l’aiguille du Goûter, un nuage se dénoue en ce doux automne. Accro à la météo, une question brûle sur nos lèvres : « Et pour cet hiver dans les Alpes, que voyez-vous ? ». Les mannequins lui parlent d’El Niña. Il ne serait pas forcément surpris par un hiver enneigé dans nos Alpes. Nous aimerions l’être.