Le Cercle des ECO a organisé une table ronde sous le thème « ePayment, forward inclusion ! », au siège du groupe Horizon Press. Parmi les participants figuraient Karima Zouhairi, responsable du marketing du marché personnel à Bank of Africa ; Rachid Driouch, responsable de l’expertise monétique et paiement mobile chez Bank of Africa ; Rachid Saihi, directeur général du Centre de paiement électronique interbancaire (CMI), et Zouheira Belkrezia, directrice de la Tech et de l’innovation numérique du groupe Marjane. La rencontre était animée par Meriem Allam, directrice de publication du journal Les Inspirations ÉCO.
Le Maroc poursuit sa transition vers une économie numérique, où le paiement électronique occupe une place de plus en plus centrale. Malgré des progrès notables, l’adoption massive de ces solutions reste freinée par des questions de confiance, d’inclusion et d’éducation financière. Retour sur les évolutions et les perspectives d’un secteur en mutation.
Une adoption encouragée par la transformation numérique
La digitalisation de l’économie marocaine a connu une nette accélération ces dernières années, portée par l’expansion de l’accès à Internet et la généralisation de l’utilisation des smartphones. Ces deux facteurs ont fondamentalement transformé le comportement des consommateurs. L’accès à des réseaux Internet fiables et abordables a permis une connectivité quasi constante, facilitant les transactions et les interactions en ligne avec les plateformes de services numériques.
Parallèlement, la démocratisation des smartphones, désormais omniprésents même dans les zones rurales, a permis de diversifier les points d’accès aux services financiers. Les consommateurs, habitués à l’immédiateté et à la simplicité offertes par ces technologies, intègrent de plus en plus naturellement les solutions de paiement électronique dans leur vie quotidienne, qu’il s’agisse de payer une facture, d’acheter en ligne ou d’utiliser des portefeuilles numériques.
Selon Karima Zouhairi, responsable marketing chez Bank of Africa (BOA), cette dynamique a été renforcée par la crise sanitaire qui a poussé de nombreux consommateurs vers les solutions de paiement électronique.
« L’État joue également un rôle clé, notamment à travers la digitalisation des services publics, qui habitue les citoyens à utiliser ces outils », souligne-t-elle.
Parallèlement, le développement des portefeuilles électroniques, ou portefeuilles, offre une solution accessible pour réaliser des transactions simples, comme transférer de l’argent ou payer des factures. Ces innovations contribuent à l’inclusion financière en touchant une population souvent exclue des circuits bancaires traditionnels.
En témoigne une augmentation de 23% des transactions de paiement enregistrées entre 2022 et 2023. Cette augmentation s’explique par plusieurs facteurs clés, notamment la transformation numérique accélérée pendant la pandémie, qui a habitué de nombreux Marocains à utiliser les outils de paiement électronique.
Par ailleurs, la généralisation des portefeuilles électroniques et l’élargissement de l’accès à des services comme le paiement sans contact ont contribué à démocratiser ces pratiques. Les campagnes de sensibilisation menées par les institutions financières et le soutien des pouvoirs publics à travers la digitalisation des services administratifs ont également joué un rôle crucial.
Quarante ans de transformation
Le paiement électronique au Maroc s’inscrit dans une histoire de quatre décennies. Rachid Saihi, directeur général du Centre de paiement électronique interbancaire (CMI), rappelle que la première transaction de paiement électronique dans le pays date de 1976. Longtemps destinée aux touristes, la monétique a pris un tournant majeur dans les années 2000 avec la création du CMI.
Cette organisation a permis l’interopérabilité entre les systèmes bancaires marocains, ouvrant la voie à une adoption plus large. Aujourd’hui, les paiements électroniques s’étendent bien au-delà des distributeurs automatiques. Ils englobent divers secteurs tels que les services publics, où les citoyens peuvent payer leurs impôts en ligne, ainsi que les opérateurs téléphoniques et les fournisseurs d’énergie, qui permettent le paiement électronique des factures. Les entreprises en ligne, les supermarchés et même certaines PME commencent également à adopter ces solutions pour faciliter les transactions.
De plus, des initiatives telles que le paiement des frais de scolarité ou des services médicaux montrent que ce mode de paiement gagne du terrain dans des domaines encore peu explorés, ouvrant de nouvelles opportunités pour son adoption massive. Payer des impôts, des factures et même des achats en ligne sont devenus des pratiques courantes. Malgré ces progrès, le Maroc reste loin des standards des économies les plus avancées.
Saihi insiste : « En 2014, les paiements par carte ne représentaient que 0,5 % des volumes monétaires. Aujourd’hui, cette part est passée à 1,2%, mais il reste encore beaucoup à faire.»
Les obstacles à l’adoption massive
Zouheira Belkrezia, directrice Tech et Innovation numérique du groupe Marjane, souligne un paradoxe :
50 % de ses clients continuent de privilégier le paiement en espèces, notamment lors d’une livraison à domicile. Ce choix reflète souvent un manque de confiance ou une méconnaissance des moyens disponibles.
D’autre part, les consommateurs habitués aux solutions numériques deviennent de plus en plus exigeants, réclamant des options comme le paiement sans contact ou l’intégration de services comme Apple Pay et Google Pay. Un autre enjeu majeur réside dans le taux d’abandon des transactions en ligne, qui atteint 25 %.
Ce phénomène s’explique notamment par des problèmes d’authentification ou des interfaces peu intuitives, qui peuvent vite décourager les utilisateurs.
Pour contrer cela, les acteurs du secteur travaillent sur plusieurs fronts. Ils investissent dans des solutions telles que 3D-Secure et l’authentification biométrique pour renforcer la sécurité des paiements, tout en améliorant l’expérience utilisateur grâce à des systèmes plus fluides et une meilleure disponibilité de la plateforme, actuellement évaluée à 86 %.
Ces efforts visent à regagner la confiance des clients et à réduire les abandons qui freinent l’adoption massive. Une simple erreur d’authentification peut suffire à dissuader un utilisateur. Pour y remédier, les acteurs du secteur multiplient les initiatives pour renforcer la sécurité et la fluidité des transactions. Rachid Driouch, responsable de la monétique et du paiement mobile chez BOA, cite des avancées technologiques comme l’introduction du 3D-Secure ou des systèmes d’authentification biométrique.
« Un client ne tolère pas une transaction interrompue ou inachevée. La disponibilité des services est donc cruciale, avec un taux qui tourne désormais autour de 86% », explique-t-il.
Fondamentalement, l’amélioration des infrastructures, la diversification des offres bancaires et la sensibilisation des consommateurs devraient permettre une adoption plus large. Comme le résume Rachid Saihi : « Le Maroc progresse, mais il doit continuer à regarder vers le meilleur pour éviter toute autosatisfaction. »
Karima Zouhairi
Responsable marketing marché personnel chez Bank of Africa
« Le gouvernement redouble d’efforts pour numériser l’économie, notamment à travers la digitalisation des services publics. C’est ainsi que payer ses impôts et ses factures fait de plus en plus partie des habitudes des consommateurs. »
Rachid Saïhi
Directeur Général du Centre de Paiement Electronique Interbancaire (CMI)
« En 2014, la part des paiements par carte ne représentait que 0,5% du volume total en dirhams, correspondant à 20% du nombre de transactions. Cependant, en 2023, la part du volume a dépassé
à 1,2%, alors que ce volume de monnaie fiduciaire lui-même est passé d’environ 2.600 milliards de dirhams à 4.900 milliards. Les paiements par carte représentent désormais 33% des transactions. On peut donc dire que les Marocains ont adopté la carte.
Zouheira Belkrezia
Directrice Tech et Innovation Digitale du groupe Marjane
« Le taux d’abandon des paniers de paiement électronique est de 25 %. Il suffit d’une petite erreur, lors de l’authentification par exemple, et le client perd immédiatement confiance. Pour les 50 % qui utilisent les paiements électroniques, 80 % de leurs transactions se font avec une carte tokenisée. Ils souhaitent que cela leur simplifie la vie, ne sorte pas la carte du sac, ne retape pas leurs coordonnées… Pour ces deux clientèles, la transaction bancaire doit être fluide et très simple.
Murtada Calamy / Inspirations ECO