Dans le magasin de la station-service, quelques clients remplissent leur caddie de bouteilles. Si le tabac reste le produit phare, beaucoup repartent avec des bouteilles. Selon le gérant, la tendance est claire : il vend désormais plus d’alcool qu’il y a quelques années.
« Les vins mousseux comme le cava sont très populairesil observe. Et d’une manière générale, de plus en plus de clients viennent acheter du tabac et de l’alcool. C’est une bonne chose pour nous, car l’électrification des véhicules a réduit le nombre de Belges qui passent simplement pour faire du carburant. En cinq ans, j’ai perdu 30 % du chiffre d’affaires que je faisais sur l’essence et le diesel. Et on remarque aussi que les clients viennent désormais de bien plus loin.»
A Pommerloch, toujours au Grand-Duché, le parking d’une grande enseigne bien connue des Belges affiche complet. Un constat s’impose : là aussi, une majorité de véhicules portent des plaques belges.
« J’ai des clients au Luxembourg. Je leur vends ma marchandise, puis je viens me réapprovisionner ici. C’est un bel échange, non ? plaisante Chantal, partie à Liège avec une caisse de champagne sous le bras. Et je ne viens pas seulement pour les vacances.
Si ces bons plans font le bonheur des consommateurs, ils inquiètent la Fevia, la fédération des entreprises agroalimentaires belges. Celui-ci évalue chaque trimestre le montant dépensé par les Belges de l’autre côté de la frontière. Et les montants sont colossaux.
550 millions déjà dépensés à l’étranger
Bonne nouvelle : sur les neuf premiers mois de l’année, les achats transfrontaliers ont diminué de 3,1% par rapport à la même période de l’année dernière. Mais la somme reste impressionnante : 550 millions d’euros ont déjà été dépensés.
« Nous surveillons les achats transfrontaliers depuis plusieurs années, explique Carole Dembour de Fevia. Il s’agit d’une question cruciale dont nos dirigeants politiques n’apprécient pas toujours l’importance.»
Avec des données achetées auprès d’organismes indépendants (GfK, YouGov), la Fevia a demandé au Bureau fédéral du Plan de réaliser une analyse d’impact. Si tous les achats transfrontaliers étaient effectués en Belgique, cela générerait 7,5 millions d’heures de travail supplémentaires, soit 4.455 emplois à temps plein. Cela représenterait également 138 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires (TVA, accises et prélèvement sur les emballages), ainsi que 348 millions d’euros de valeur ajoutée pour l’économie belge.
« Le principal pays où les Belges effectuent leurs achats est la France, illustre Carole Dembour. Dans ces supermarchés, les assortiments contiennent davantage de produits français et moins de produits belges. Cela entraîne inévitablement une perte d’activité pour nos entreprises locales.
Prix, facteur n°1
Le prix reste le principal facteur qui pousse les Belges à bénéficier des avantages du marché commun.
« Les produits phares sont principalement les boissons alcoolisées et non alcoolisées, analyse Carole Dembour. Les taxes et droits d’accises sur ces produits sont ici nettement plus élevés. La contribution emballage représente par exemple près de 10 centimes par litre.»
Face à cette situation, la Fevia milite pour une baisse des impôts. “Notre principal message aux politiques est que nous devons réduire les taxes et accises sur les boissons, mais aussi la contribution aux emballages, ajoute Carole Dembour. Nous pensons que cette dernière ne sert absolument pas l’objectif pour lequel elle a été introduite, à savoir rendre les emballages plus circulaires. Une autre priorité est de ne pas augmenter la TVA de 6% à 9%. Nos entreprises ne pourront pas absorber cette augmentation, et cela se répercutera directement sur le ticket de caisse du consommateur, ce qui incitera encore davantage les gens à faire leurs achats à l’étranger.»
Enfin, l’industrie agroalimentaire réclame la mise en place d’une norme fiscale, similaire à celle existant pour les salaires. « En comparant la fiscalité indirecte avec celle de nos pays voisins, nous pourrions mieux évaluer notre handicap, conclut Carole Dembour. Et en cas de dérapage budgétaire, le gouvernement pourrait intervenir. Car ces achats transfrontaliers ne profitent à personne : ni à l’industrie agroalimentaire, ni au commerce, ni aux agriculteurs.»
Belgique – Luxembourg : la guerre des prix
Avec sa fiscalité avantageuse sur les boissons alcoolisées, le Luxembourg reste compétitif. Voici une liste non exhaustive des différences observées avec la Belgique.
Vins mousseux
Prosecco Mionetto 6x75cl. Belgique : 43,9 € Luxembourg : 34,80 €
Duval Leroy brut 3x75cl. Belgique : 69,9 € Luxembourg : 63,90 €
Mumm Cordon rouge 75cl. Belgique : 36,99 € Luxembourg : 25,95 €
Alcools forts
Apérol 1L. Belgique : 15,39 € Luxembourg : 13,45 €
Lillet Rosé 70cl. Belgique : 11,99 € Luxembourg : 9,99 €
Baileys 70cl. Belgique : 12,99 € Luxembourg : 9,95 €
Jack Daniel’s 70cl. Belgique : 25,69 € Luxembourg : 18,95 €
Don Papa Macara 70cl. Belgique : 39,99 € Luxembourg : 29,99 €
Chivas Regal 70cl. Belgique : 30,99 € Luxembourg : 20,99 €
Douanes et accises : attention à ne pas dépasser les limites
Au Grand-Duché de Luxembourg, mais aussi en France ou en Allemagne, il peut être tentant de remplir ses caisses. Mais attention : pour un certain nombre de produits, des limites existent.
Le SPF Finances rappelle, sur son site internet, que lorsque vous voyagez dans un pays membre de l’Union européenne, vous ne pouvez rapporter les produits achetés toutes taxes comprises qu’à condition qu’ils soient destinés à un usage personnel et non commercial. . Les autorités pourront vous demander de justifier de cette utilisation, notamment pour les marchandises soumises à accises.
A cela, il faut ajouter que des limites indicatives ont été fixées : 800 cigarettes, 400 cigarillos, 200 cigares, 1 kg de tabac à fumer, 110 litres de bière, 90 litres de vin (dont au maximum 60 litres de vin mousseux), 20 litres d’apéritifs et 10 litres de spiritueux. De quoi vous permettre de faire quelques courses, mais sans dépasser les seuils ni risquer de mauvaises surprises à la douane.
France : la taxe sur les sodas ne sera pas instaurée en janvier 2025
En Wallonie, de nombreux consommateurs traversent la frontière pour acheter de l’eau minérale et des sodas en France. La raison est simple : les prix sont souvent plus attractifs dans la grande distribution.
Cette tendance aurait cependant pu s’inverser en 2025. En novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les sénateurs français ont proposé d’augmenter les taxes sur les boissons avec sucres ajoutés.
Les prix des sodas auraient ainsi augmenté de 4 centimes le litre pour les boissons les moins sucrées, et jusqu’à 35 centimes le litre pour les plus sucrées. Cette mesure allait au-delà de ce que le gouvernement Barnier avait envisagé dans le projet initial. Les édulcorants synthétiques étaient également visés par cette taxation.
A terme, ces mesures ne verront pas le jour. La motion de censure qui a conduit à la chute du gouvernement Barnier a abouti à l’abandon de ces dispositions.
Cependant, un changement notable interviendra au printemps 2025 dans les grandes surfaces des Hauts-de-France : la mise en place d’un système de consigne pour les bouteilles et les pots. Une pratique déjà bien connue des consommateurs belges…