DIOMAYE, DIOUF ET LE SOFT POWER DU SÉNÉGAL

DIOMAYE, DIOUF ET LE SOFT POWER DU SÉNÉGAL
DIOMAYE, DIOUF ET LE SOFT POWER DU SÉNÉGAL

La visite que le Président Diomaye Faye a rendue à Paris en juin dernier à l’ancien Président Abdou Diouf mérite d’être saluée comme une marque de respect et de considération, mais aussi comme l’expression de la reconnaissance d’une sorte de « droit de naissance » ancré dans nos traditions, et enfin et avant tout une affirmation solennelle du principe républicain de continuité de l’État.

Ce faisant, le président Faye a voulu rompre avec cette « tradition » désastreuse qui faisait que chaque nouveau régime se sentait presque obligé d’agir comme si l’histoire du pays commençait par lui.

Cette pratique néfaste et contreproductive a rendu nombre de nos compatriotes citoyens dépourvus de tout souvenir. Or, une société composée de citoyens qui ont oublié leurs traditions et qui sont empêchés par de mauvaises pratiques politiques de pouvoir se référer à leur mémoire historique immédiate n’a aucune chance de fonder des valeurs civilisationnelles sur lesquelles ancrer son destin. En vérité, croire que l’arrivée d’une nouvelle personne à la fonction suprême du Sénégal peut à elle seule, quelle que soit sa valeur, expliquer le prestige international de notre pays, c’est refuser d’affronter la vérité. Cela empêche également la jeune génération de comprendre que les grandes civilisations que nous admirons aujourd’hui ont été construites pierre par pierre.

Le prestige et l’influence du Sénégal, la réalité de son Soft Power, nous le devons à la clairvoyance de nos dirigeants qui ont su inspirer des diplomates expérimentés à des actions fondées sur nos valeurs fondamentales de civilisation. Le prestige du Sénégal au niveau mondial, nous le devons aussi à la sagesse de sa Nation, à la lucidité de sa classe politique, à la haute conscience de ses citoyens qui, en l’espace d’une génération, ont su montrer leur maturité en réalisant trois alternances de régimes, avec panache, dans un continent où l’instabilité politique est la règle. Enfin, nous devons le prestige du Sénégal à la perception qu’a sa population de l’enseignement et de la pratique des différents guides historiques et actuels des communautés religieuses du pays.

Pour toutes ces raisons, il faut accepter, avec lucidité, que chacune des différentes personnalités qui ont présidé aux destinées du Sénégal, en fonction des réalités économiques et politiques du moment, ont tenté de maintenir le pays sur les rails de la stabilité sans laquelle non, aucun espoir de développement n’est possible. Ainsi de Senghor à Abdou Diouf en passant par Abdoulaye Wade et Macky Sall, la volonté de maintenir le Sénégal debout et fier parmi les nations a été le point d’ancrage de leurs politiques respectives. C’est pourquoi, au nom d’un élan intellectuel et patriotique, essayons de reconnaître chacun d’eux pour sa contribution au développement culturel, politique et humain de notre nation.

L’amnésie sélective, le snobisme de la contestation à outrance sont un danger pour tous ceux qui aspirent à jouer dans la cour des grands. A ce sujet, l’ouvrage collectif que des juristes sénégalais et étrangers ont écrit, en hommage à Abdou Diouf, qui vient de paraître aux éditions « Librairie Juridaire Africaine* » nous a inspiré quelques remarques et réflexions sur les similitudes entre les présidents. Diomaye Faye et Abdou Diouf en termes de parcours, de visions, de postures et de convictions, qui témoignent de leur engagement dans le leadership politique et diplomatique du Sénégal sur le plan africain et international.

A cet égard, il convient de noter que les deux présidents ont appartenu à la haute administration, et que si le président Faye, à 44 ans, est sans doute le plus jeune président élu du Sénégal, le président Diouf, à l’heure où il succède à Senghor, qui avait volontairement raccourci son mandat électif, était âgé de 45 ans. L’acte le plus significatif du président Faye lors de son élection fut d’abandonner toute responsabilité dans son parti Pastef qui venait de le porter brillamment à la tête du Sénégal. Rappelons que malgré le contexte tumultueux de l’époque, Abdou Diouf jugeait en 1996 que si le Sénégal voulait être un État démocratique moderne et jouer dans la cour des grands, le Président de la République ne devait plus être un chef de parti. En ce sens, il est heureux que le président Faye, après une longue parenthèse, ait repris cette marque des grandes démocraties.

La volonté d’instaurer l’État de droit, pour que la justice sauvegarde les droits et libertés des citoyens, a été immédiatement affirmée par le nouveau gouvernement de Faye et Sonko en organisant sa première grande manifestation, les « Assises de la Justice ». et en proclamant la responsabilité et la lutte contre l’impunité comme les deux faces de la médaille du nouveau régime. Sur ce point, si le président Diouf n’a pas réussi à atteindre ses objectifs avec la CREI, il a insisté sur le fait que le Sénégal était le premier pays à ratifier le statut de Rome qui a fondé la Cour pénale internationale.

Les deux hommes s’accordent également dans leur ferme volonté de se laisser guider par les seules considérations patriotiques, lorsqu’il s’agit d’amener sur la scène internationale les fils du Sénégal les plus méritants qui sollicitent leur soutien. C’est ainsi que j’ai compris toute la solennité avec laquelle Mme Yacine Fall, ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, a entouré le soutien de l’ancien ministre, Amadou Hott, candidat à la présidence de la BAD, en invitant à rejoindre les personnalités de l’équipe de campagne. qui ont fait leurs preuves sous les régimes précédents.

Cette démarche a beau être l’expression d’une volonté de redynamiser la diplomatie sénégalaise de longue date, le rappel de ses acquis nous semble utile en cette période, où notre continent cherche les moyens de parler d’une voix forte pour se faire entendre. où le sort du monde est décidé, au Conseil de sécurité de l’ONU. En ce sens, il convient de rappeler à la jeune génération les prouesses de la diplomatie sénégalaise au fil du -.

En 1974, Amadou Mactar Mbow fut le premier Africain élu à la tête de l’UNESCO. Que l’ouverture de la Cour Internationale de Justice aux juristes africains aura lieu avec l’élection du magistrat sénégalais Isaac Forster en 1964. Ce qui ne sera qu’une étape dans les démonstrations des capacités des diplomates du Sénégal qui parviendront à avoir un le deuxième élu autrefois sénégalais en la personne du juge Kéba Mbaye en 1981 à cette même Cour. Ce qui, pour un pays de la taille du Sénégal, représentait sans aucun doute un exploit.

Le Sénégal, pays majoritairement musulman, qui a donné de grands savants à la Oumma islamique, devrait être, selon ses dirigeants, plus visible dans la gouvernance internationale du monde islamique et assurer une plus grande présence dans ses activités culturelles et politiques. Grâce au savoir-être de sa diplomatie, le Sénégal a réussi à élire son ancien ministre des Affaires étrangères Karim Gaye en 1975 comme secrétaire général de l’OCI avant d’organiser quelques années plus tard, en 1991, le Sommet de l’Organisation de la Conférence islamique au Sénégal. .

Cette volonté de placer les Sénégalais dans la galaxie des Administrateurs de la société internationale sera réaffirmée par l’élection en 1993 de Jacques Diouf au poste de Directeur général de la FAO.

Enfin, le nouveau Président Faye a noté, dès son accession au pouvoir, sa détermination à mobiliser sa diplomatie au service de la consolidation de l’intégration africaine comme en témoigne son engagement à sauvegarder l’intégrité de la CEDEAO, organisation dont l’un des plus importants réalisations, le Protocole sur la libre circulation des biens et des personnes, a été signé en 1979 à Dakar. Cet engagement digne du rôle que le Sénégal a toujours voulu jouer en faveur de l’unité et du développement de l’Afrique mérite d’être soutenu.

La volonté panafricaine de soutenir les grandes causes de notre continent en réarmant intellectuellement et moralement nos compatriotes à travers l’incarnation de l’autodétermination et de la souveraineté fondées sur la réappropriation de notre histoire, explique certainement les initiatives du président Faye et de son gouvernement en matière de le massacre de Thiaroye ou l’inauguration à Thiès de la statue de Lat dior Damel du Cayor.

C’est au nom du triomphe de la cause noire que le Sénégal fut le premier pays, en 1976, à soutenir les revendications du gouvernement provisoire de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce qui fait dire au prix Nobel Wole Soyinka que ce soutien fait de Senghor un président qui « mérite une place d’honneur ».

C’est cette même fibre patriotique qui a conduit le Sénégal à s’élever contre le régime de l’apartheid qui permettait à une minorité de blancs soutenue par certains pays occidentaux de perpétuer une domination farouche sur la majorité noire.

Ainsi, lorsque Mandela s’est rendu au Sénégal avant son arrestation par le régime sud-africain, Senghor a décidé de reconnaître son mouvement, l’ANC, en accordant à sa représentation au Sénégal le statut diplomatique. Abdou Diouf suivra cette voie de continuité de l’Etat et de perpétuation des valeurs de solidarité active et de Téranga en offrant, pour la première fois aux membres de l’ANC et des libéraux blancs, l’opportunité d’engager le dialogue, à Dakar en 1987. Cette rencontre vaut au Sénégal beaucoup de prestige international et d’amitié de la part de Nelson Mandela.

L’orientation que le président Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko ont commencé à donner aux relations internationales du Sénégal mérite d’être consolidée par la mobilisation de patriotes expérimentés et de bonne volonté, car elle peut, sans aucun doute, renforcer le Soft Power du pays en permettant un redéploiement très significatif de la diplomatie sénégalaise basée sur la continuité de l’Etat et sur le patriotisme au service de l’intégration africaine.

Le tandem Diomaye-Sonko, étoile la plus brillante de la constellation des nouvelles forces souverainistes africaines, dont la réussite du « Projet » pourrait être le premier jalon vers la renaissance de l’Afrique, doit tenter d’appuyer son action sur les acquis glorieux légués par les aînés. , sur la compétence et la bonne volonté d’une jeunesse patriote.

Benoit S Ngom est président de l’Académie diplomatique africaine.

Hommage à Abdou Diouf, Éditions African Legal Library, décembre 2024.

 
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