“La loi ne nous aide pas toujours”

Les coopératives d’information ont été invitées à suivre deux agents de la GRC un après-midi de la mi-décembre. Une incursion très rare dans leur travail des agents de la police fédérale à la frontière.

Le caporal sort de son véhicule pour interroger le conducteur. « Je viens de la région, je me promène », répond-elle simplement.

«C’est une réponse vague, très classique», explique le caporal Rouleau, chef d’une équipe de la GRC affectée à la surveillance de la frontière en Estrie.

A bord du véhicule, les trois autres passagers ont fui le regard du policier en uniforme. Le caporal vérifie l’identité des occupants, tous originaires de la région. Le conducteur a des antécédents de trafic de drogue.

Le caporal Kevin Rouleau et la caporale Martina Pillarova interrogeront les passagers d’un véhicule dont les occupants disaient simplement marcher, non loin de la frontière américaine. (Maxime Picard/La Tribune)

Le policier a des doutes sur ses intentions : va-t-il effectuer une livraison ou en recevoir une ? L’un des passagers a-t-il l’intention de traverser la frontière à pied ? Mais cela ne suffit pas à justifier d’aller plus loin dans ses vérifications.

La Loi sur les douanes accorde certains pouvoirs aux policiers chargés de protéger les frontières. Mais ils restent limités. «Pour pouvoir effectuer une perquisition, il aurait fallu voir des valises, des passeports ou d’autres objets qui laisseraient penser à une éventuelle infraction», raconte le caporal Rouleau, qui n’a d’autre choix que de les laisser partir.

L’équipe des Coops de l’information a tenté de traverser la frontière à pied, à travers les bois, en compagnie de deux policiers de la Gendarmerie royale du Canada. ((Journaliste : Marie-Christine Bouchard | Vidéaste : Maxime Picard | Production et montage : Mòrag Bélisle))

Les policiers ont parfois l’impression qu’ils ont peu de pouvoir pour agir une fois qu’ils ont intercepté des citoyens en sol canadien. « Nous travaillons avec les lois dont nous disposons. Mais parfois, ils ne nous aident pas », raconte le caporal Rouleau.

Il donne un autre exemple. « Une fois, nous avons été appelés par des agents des services frontaliers qui ont vu une personne qui voulait entrer illégalement, juste à côté du poste frontière. La personne était là, devant les policiers. Mais ils n’avaient pas le droit d’intervenir.

Les agents des services frontaliers ne peuvent exercer leurs fonctions qu’aux points d’entrée officiels du pays, comme ce bureau de douane sur l’autoroute 55 à Stanstead. (Maxime Picard/La Tribune)

La sécurité frontalière est en fait un mandat partagé entre la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada. Toutefois, les agents des douanes ne peuvent agir qu’aux postes frontières désignés. Pas dehors.

« On était à 30 minutes, il fallait venir en urgence. Que veux-tu, c’est la loi», poursuit le policier en haussant les épaules.

Trouvez les chemins des passeurs

Sur le terrain, les policiers connaissent les itinéraires empruntés par les passeurs. Et sommes toujours à l’affût d’en découvrir de nouveaux. Mais les réseaux de passeurs continuent d’inventer de nouvelles méthodes pour contrecarrer les forces de l’ordre. « Dans certaines régions, nous n’avons même pas accès à des lignes téléphoniques ou Internet, tellement le terrain est accidenté », explique le caporal Rouleau.

Au cours de la patrouille, le policier désigne une maison à côté de laquelle des voitures circulaient à toute vitesse. « Il y avait tellement de passages à niveau qu’une patrouille de la GRC était presque toujours dans la rue ! Les Américains ont fini par mettre une clôture sur le terrain», explique le policier.

La caporale Martina Pillarova et le caporal Kevin Rouleau suivent les traces d’une personne qui a traversé la frontière… en ski de fond. (Maxime Picard/La Tribune)

Dans d’autres endroits, les passeurs tentent de traverser des champs ou des terres privées. “Ils finissent par s’enliser, abandonnent leur véhicule et font le reste à pied”, ajoute-t-il.

Un peu plus tard, le policier nous amène à côté d’une maison canadienne dont la cour arrière est délimitée par la frontière. On peut voir des empreintes de pas dans la neige, aussi bien dans le sens canadien que dans le sens opposé.

Différentes empreintes sont visibles dans la neige, l'une vers les États-Unis, l'autre vers le Canada.

Différentes empreintes sont visibles dans la neige, l’une vers les États-Unis, l’autre vers le Canada. (Maxime Picard/La Tribune)

La même nuit, deux personnes ont traversé un territoire privé, l’une pour rejoindre les États-Unis, l’autre vers le Canada.

«C’est la preuve qu’il est difficile de prédire où et comment les gens vont se déplacer», ajoute le caporal Rouleau.

Une traversée douloureuse

La majorité des migrants qui tentent de passer d’un pays à un autre le font avec l’aide de réseaux de passeurs. Ces groupes criminels bien organisés déposeront leurs clients d’un côté de la frontière, le soir ou la nuit. Ils leur fournissent des indications pour traverser les bois ou les champs seuls, à pied. Puis des complices récupèrent les clients de l’autre côté.

La frontière entre le Québec et les États-Unis se situe en grande partie en milieu rural, notamment en Estrie, où nous avons patrouillé avec la GRC, ainsi qu’en Beauce. « Avec la géographie de la région, on a une réalité complexe », soutient le policier.

En Estrie, ce sont principalement des criminels qui cherchent à traverser la frontière pour effectuer des livraisons ou recevoir des marchandises illégales, comme des stupéfiants.

«Plus la route est difficile, plus le client paie cher, car elle est considérée comme plus sécuritaire pour ne pas se faire prendre», explique le caporal Kevin Rouleau.

Nous avons également tenté l’expérience de nous rendre à la frontière par un chemin fréquemment emprunté par les passeurs. Après nous être garés sur le bord de la route, nous nous éloignons sur un chemin verglacé dans la forêt.

Sur cet itinéraire souvent emprunté par les migrants, il est assez facile de se perdre, surtout lorsque les gens voyagent le soir ou la nuit.

Sur cet itinéraire souvent emprunté par les migrants, il est assez facile de se perdre, surtout lorsque les gens voyagent le soir ou la nuit. (Maxime Picard/La Tribune)

« Les passeurs disent aux gens : ‘Vous traversez un champ, vous traversez un bois, vous traversez un champ, puis vous arrivez.’ La réalité est autre. Il y a des rivières à traverser, il y a des ponts, il y a des ponceaux, il y a des arbres, il y a une forêt, il y a des animaux… En hiver, la nuit, on ne voit pas forcément le chemin», explique le policier.

Chaque année, les policiers effectuent de nombreuses interventions dans les forêts et les champs où des personnes se sont perdues ou ont été blessées.

Ces dernières années, au moins trois migrants sont morts en tentant de traverser la frontière. Une femme a également été retrouvée morte dans les bois, à une vingtaine de kilomètres de chez nous.

De quoi a besoin la police ?

Plus tôt cette semaine, le gouvernement Trudeau a promis d’investir 1,3 milliard de dollars sur six ans pour renforcer la sécurité des frontières. On parle de davantage de caméras, de drones et d’hélicoptères. De quoi a besoin la GRC en Estrie pour mieux faire son travail ?

Le caporal Rouleau parle simplement de « technologies » afin d’éviter de fournir des détails aux passeurs sur les stratégies qui seront employées.

La GRC a également le mandat de surveiller le lac Memphrémagog, qui touche les deux pays, et qui sert également de lieu de passage illégal, tant en été (en bateau) qu'en hiver (à pied).

La GRC a également le mandat de surveiller le lac Memphrémagog, qui touche les deux pays, et qui sert également de lieu de passage illégal, tant en été (en bateau) qu’en hiver (à pied). (Maxime Picard/La Tribune)

« À l’heure actuelle, nous disposons de la technologie dont nous avons besoin, là où nous en avons besoin. Nous savons que du matériel a été acheté, qu’il est dans un entrepôt et que nous pourrons recevoir rapidement le matériel dont nous avons besoin, quand nous en aurons besoin », répond-il prudemment.

S’il y a un afflux de migrants dans les mois à venir, après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, des policiers de tout le pays ont déjà été ciblés pour prêter main-forte à la frontière. Mais au-delà des nouvelles technologies, les citoyens sont les collaborateurs les plus précieux des policiers sur le terrain.

« Les citoyens des villes frontalières nous donnent des informations », ajoute le policier. Ce sont les yeux sur terre. La GRC est un corps de police également communautaire, proche de la population. Nous sommes ici pour accomplir notre devoir et protéger la vie humaine.

 
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