« Ce n’est pas le manteau qui fait le mousquetaire, c’est le cœur qui bat à l’intérieur. » Sabrina Ouazani, avec son sens de la formule, nous donne une bonne définition de « Tous pour un », le nouveau film de Houda Benyamina.
Dans cette version ultra-féministe des Trois Mousquetaires de Dumas, l’actrice de « La Source Femmes » et de « Kung-Fu Zohra » est cette fois Athos, en mission spéciale pour sauver la reine de France aux côtés d’Oulaya notamment Amamra (D ‘Artagnan) et Déborah Lukumuena (Porthos).
Et ne pensez pas que nous sommes ici dans le registre de la comédie : dans une France du 17e siècle où, pour une femme, se déguiser en homme est passible de mort, ce film de cape et de poignard qui dévore les grands espaces est aussi pour Houda Benyamina l’occasion de régler une bonne fois pour toutes ses comptes avec le virilisme de tous les - et le machisme stéréotypes que notre société met dans la tête des jeunes garçons.
« Je savais qu’avec la radicalité de Houda, on irait assez loin dans le questionnement du genre et c’était un défi qui m’intéressait. Et puis c’était se réapproprier le fantasme de réaliser un film fanfaron. Avec mon parcours personnel et social, je ne pouvais déjà pas me permettre de rêver de devenir actrice, encore moins de devenir mousquetaire… »nous raconte-t-elle lors de l’avant-première du film au festival Cinébanlieue, dont elle est une fidèle fan.
Frida dans l’esquive
Et celle qui habitait à l’époque dans la ville du 4000 de la Courneuve revient sur ses 23 ans de carrière. « À aucun moment, devenir actrice n’a été un rêve, même pas secret. Ayant grandi en banlieue, je ne me serais jamais permis d’en rêver, c’était tout simplement inaccessible. »se souvient celle qui ne se rendait au casting de L’Esquive, qu’à 13 ans, poussée par sa mère qui y voyait une activité estivale comme une autre, « comme aller à la piscine ou au parc ».
Mais il faut croire que la magie que découvrent Krimo ou Lydia dans L’Esquive, cette magie des mots et des rôles qui transportent loin, a opéré : de Frida, la petite Sabrina est devenue Nejma, dans « Adieu Gary » ou encore Rand dans « Inch’Allah », autant de rôles qui lui sont chers.
« Les rôles qui m’ont été proposés ont suivi l’évolution du cinéma et de la société française. C’est vrai qu’au début, c’était assez cliché. Mais grâce à des réalisateurs qui ont écrit des rôles plus complexes, grâce aussi à une vague d’acteurs qui ont essayé de sortir des cases dans lesquelles on nous mettait, ça s’est ouvert. Le cinéma d’aujourd’hui ressemble heureusement à la société telle qu’elle est, avec ses origines et ses physiques différents, même s’il reste encore un long chemin à parcourir. “, dit cet enfant d’immigrés algériens, tous deux originaires de Sidi-Bel Abbès.
Parmi ces rôles, son tout premier, celui de Frida dans L’Esquive, tourné à la Cité du Franc-Moisin à Saint-Denis, reste évidemment à l’écart. « Je me souviens de la sensation que j’ai ressentie dans mon ventre lorsque j’ai commencé à jouer : un sentiment de liberté incommensurable. Quoi ? Ai-je le droit d’être qui je veux ? Quoi, j’ai le droit d’énerver mon frère sur scène alors que d’habitude je ne pouvais jamais rien lui dire ? J’ai tout de suite espéré que ça continuerait et ça a continué. »
Le conflit israélo-palestinien (Inch’Allah), les violences domestiques (Kung-Fu Zohra), les rêves de la classe ouvrière (Adieu Gary) : autant de thèmes que cette comédienne a rencontrés et interprétés. La stigmatisation des banlieues aussi, abordée par une comédie comme « Jusqu’ici tout va bien » du Bondynois Mohamed Hamidi.
« Un sujet qui me tient à cœur »
Dans cette comédie tournée chez elle à La Courneuve, Sabrina Ouazani incarne Leïla, une jeune femme réticente à retourner dans la banlieue de son enfance. Le sujet : pour être exonéré d’impôts, un chef d’entreprise sans scrupules domicilite son entreprise dans une zone franche de banlieue sans pour autant s’y installer. Mais lorsque l’inspection du travail découvre le pot aux roses, elle lui remet le deal entre les mains : jouer le jeu jusqu’au bout et s’installer réellement en banlieue ou rembourser toutes ses exonérations fiscales…
« J’ai foncé parce que je savais qu’avec Mohamed Hamidi, il y aurait une évolution entre la vision des Parisiens sur la banlieue au départ et celle qu’on a à l’arrivée. Briser ces stéréotypes, c’est pour ça que je fais du cinéma”explique celui qui regrette que certains médias sans scrupules ciblent toujours les mêmes boucs émissaires. « Combien de médias nous montrent régulièrement des gens de banlieue qui réussissent ou simplement qui travaillent et aspirent à vivre normalement ? Pas beaucoup “déplore celui dont le père était magasinier.
Les banlieues pourraient aussi être le sujet des débuts derrière la caméra de Sabrina Ouazani.« Il y a un sujet qui me tient à cœur, car il m’a marqué dans mon adolescence, c’est la rénovation urbaine et comment elle est vécue par les habitants »elle a lâché. En 2011, la Tour Balzac où elle a grandi avec son frère Djamel et sa sœur Sarah est démolie dans le cadre de l’ANRU. A première vue, une bonne nouvelle pour tout le monde. “Mais ce qui est formidable pour beaucoup, la rénovation urbaine, le Grand Paris, est un crève-cœur pour beaucoup d’habitants”raconte celle qui revient régulièrement à La Courneuve, pas plus tard que cet été lorsqu’elle portait la flamme olympique.
Et rappelons que de nombreux habitants ont souffert de l’incertitude liée au relogement, de n’avoir pas été suffisamment consultés ou de perdre du jour au lendemain leurs relations sociales. Ce fut le cas de sa mère, installée à Drancy, mais loin de ses anciens amis. “Si j’en fais un film, ce sera aussi pour dire ceci : nous ne sommes pas des pions”. « Ce n’est pas la veste qui fait le mousquetaire », on n’en doutait pas, l’épée de Sabrina Ouazani est fine et tranchante.
Christophe Lehousse
Photo : ©Susy Lagrange