Julius Pepperwood est assis à son bureau, la tête encore un peu enivrée par les figurines et les odeurs de cannelle et de vin chaud. Même s’il a chaque jour de plus en plus de mal à s’orienter dans la ville, il apprécie toujours l’ambiance de Noël, ses 10 € de spätzle et ses nuits d’hôtel à 3 chiffres. Soudain, une question lui transperce l’esprit : pourquoi Strasbourg s’est-elle proclamée Capitale de Noël ? Sans hésiter, il se sert un vin chaud, saveur whisky, et se plonge dans une histoire vieille de 30 ans.
Strasbourg Capitale de Noël. On voit ce label partout lors du marché de Noël, qui dure cette année jusqu’au 27 décembre.. Un marqueur très fort de notre ville, qui rayonne chaque mois de décembre à travers la France et le monde. On ne compte plus les touristes de différentes nationalités, qui débarquent dans la capitale alsacienne pour des photos de la cathédrale, des baguettes flambées et des vins chauds.
Mais avant cette période du 21e siècle, notre marché de Noël ne brillait pas autant. Depuis sa création officielle en 1570 [même si les Strasbourgeois(es) se réunissaient déjà il y a deux siècles pour un rendez-vous en l’honneur de Saint-Nicolas, ndlr], le Christkindelsmärik a connu plusieurs phases, plusieurs lieux avec toujours une constante : les habitants râlaient car il y avait déjà trop de monde et s’inquiétaient d’une dérive mercantile. Les traditions ne sont pas perdues.
Oui, oui Christkindelsmärik était réputé un peu partout, et à mesure que le XXe siècle avançait, son succès se tarit peu à peu. Dans les années 1970 et 1980, le marché de Noël est concurrencé par les grands centres commerciaux, notamment du côté allemand.. Bien achalandés, avec des prix plus attractifs et surtout chaleureux, ils portent un coup dur à l’attractivité de Strasbourg. Après tout, au milieu de la montée du consumérisme de masse, pourquoi s’imprégner de bretzels et boire du vin chaud quand on peut tout acheter moins cher, à quelques pas de chez soi ?
Résultat ? A cette époque, du côté des restaurants et des hôtels, la soupe à l’oignon cède la place à la soupe à la grimace. Et plus les années passent, plus les hivers deviennent pénibles pour les hôteliers et commerçants alsaciens.. Il fallait donc réagir pour éviter que le marché de Noël ne tombe dans l’oubli, et cela s’est produit au début des années 1990.
La naissance de la Capitale de Noël
Nous sommes en 1991. Cela fait deux ans que Catherine Trautmann effectue son premier mandat à la tête de Strasbourg, le Racing est à la peine en 2e division. [avant d’aller gagner un barrage épique face à Rennes en mai 1992, ndlr]et le marché de Noël s’affiche sérieusement. À ce moment-là, un dénommé Jean-Jacques Gsell, adjoint à la réglementation, a eu une idée lumineuse : il faut revoir complètement la copie de l’événement pour redorer l’image de Strasbourg.
A partir de 1991, on trouve une « Route de Noël », qui réinvestit le parvis de la cathédrale, la reliant à la place Broglie par un « chemin » décoré. Cela fonctionne plutôt bien, mais ce n’est pas suffisant, alors Strasbourg surprend tout le monde l’année suivante et se proclame tout simplement Capitale de Noël en 1992. Craignant de se voir refuser la priorité sur l’origine de la baguette flambée, elle dépose jalousement la marque.
La Ville met également tout en œuvre ; après tout, il faut réussir à résoudre le problème de l’absence de nuitées et de l’affluence dans les restaurants et hôtels strasbourgeois pendant la période de Noël, une saison très creuse.. Ainsi, dès le dépôt de la marque, des milliers de tour-opérateurs [les influenceurs de l’époque, ndlr] sont sollicités pour promouvoir la destination. Et ça marche : entre 1995 et 1996, un million de visiteurs ont été atteints. Strasbourg brille une nouvelle fois de ses plus belles illuminations de Noël.
C’est également au milieu des années 1990 que d’autres traditions se sont établies. Toujours dans l’idée de développer l’événement, et notamment à l’international, la Ville décide d’inviter un pays étranger en 1994. Mais surtout, la même année, elle décide de ramener un beau bébé de plus de 30m de haut pour l’installer place Kléber. Symbole d’une vigueur retrouvée, il renoue avec une tradition très alsacienne puisque l’on retrouve des sapins décorés du XVIe siècle, époque même de la naissance du marché de Noël. Le marché de Noël, jamais sans mon beau sapin !
Une capitale de Noël qui a réussi son coup marketing
Aujourd’hui, Strasbourg Capitale de Noël est une véritable réussite à tous points de vue. Déjà en termes de fréquentation : s’il n’a cessé de grimper, celui de l’année 2023 a battu tous les records avec 3,3 millions de visiteurs. Pour mémoire, la fréquentation est mesurée par Alsace Destination Tourisme (ADT) ; il utilise le service Flux Vision d’Orange qui, grâce aux données transmises par nos smartphones, mesure précisément la fréquentation de plusieurs zones données. A voir si l’année 2024 battra le record.
Ensuite, du point de vue de l’influence, là encore, Strasbourg cartonne. De nombreuses villes de France ont adopté le réflexe d’un marché de Noël en centre-ville, tandis que l’événement de Strasbourg s’exportait au Japon, en Russie et aux Etats-Unis. De plus, il a souvent été élu meilleur marché de Noël du monde, même si Colmar lui a ravi la couronne à plusieurs reprises.
Enfin, évidemment, du point de vue économique, c’est un triomphe. En 2018, on parlait de 300 millions d’euros dépensés par 2 millions de visiteurs sur le marché de Noël.. On vous laisse faire le calcul pour 3,3 millions de touristes, mais les recettes restent majeures pour le tissu local. En un mois, certains établissements peuvent réaliser environ 15 % de leur chiffre d’affaires annuel. En même -, quand on voit comment les prix sont gonflés durant cette période, on comprend pourquoi.
De toute façon, Strasbourg Capitale de Noël a maintenant réussi: aujourd’hui, quand on pense à Noël, on pense à Strasbourg. Et c’est l’une des grandes victoires de Jean-Jacques Gsell, décédé en octobre 2023. Alors que l’événement n’était pas loin de tomber dans l’oubli, Strasbourg a réussi à le faire revivre. Et il connaît désormais un succès grandissant.
Une capitale de Noël en quête de plus d’authenticité
La marque étant désormais établie, il faut désormais travailler à la rendre plus authentique. Car avec ce succès populaire viennent forcément des réflexions sur les centres commerciaux en plein air. Si le sujet a monopolisé les débats lors des élections municipales de 2020, Strasbourg se bat depuis longtemps pour rendre son marché moins mercantile. Déjà en 1927, la mairie était obligée de réglementer la vente car elle ne supportait plus qu’il y ait, entre deux figurines et trois bredele, des tonnes de bijoux, des cartes de vœux… et même des poissons rouges !
C’est ensuite en 2010 qu’une nouvelle étape est franchie, lorsque Roland Ries décide d’interdire les churros et paninis de l’événement, déclarant que : « Le marché n’est pas une foire, encore moins un barnum. » En 2022, d’autres produits ont été interdits à la vente, déclenchant une polémique d’une absurdité rarement atteinte à Strasbourgqui, ironiquement, s’est alors transformé en barnum.
Cette recherche d’authenticité est aujourd’hui l’un des points cardinaux de la commune écologique, qui œuvre d’année en année à faire en sorte que le Capitale de Noël plus accessible aux Strasbourgeois. Entre autres mesures de sobriété énergétique, d’éco-responsabilité et de solidarité, cette année, la municipalité commencera à noter les différents chalets exposant au marché de Noël sur 5 critères différents.
Une manière de reprendre le contrôle de ce qui est proposé sur les différents stands et chalets, avec une notation qui sera authentique à partir de 2025. 32 ans après sa naissance, Strasbourg Capitale de Noël est un fringant trentenaire qui ne cesse de briller, et encore moins d’évoluer.