«Je me sentais chez moi. » Dans son aube rose, symbole de joie, François remercie les quelque 17 000 personnes rassemblées à Ajaccio pour la messe géante qui clôt sa visite historique.
Venu pour un voyage apostolique sur l’île de beauté, le pape argentin semble avoir trouvé, au terme d’une journée baignée de soleil, ce qu’il était venu chercher : la ferveur populaire, si spécifique à la Corse.
Partout dans la ville, fanions bleus et jaunes, églises fleuries, drapeaux du Vatican attendent le passage de l’invité du jour. Bannières « Bienvenue au pape François » ornent les bâtiments ocre et les devantures des cafés. Dans les rues, adultes, enfants et personnes âgées chantent des chants et attendent avec enthousiasme l’arrivée du Saint-Père.
Un accueil digne du chef de l’Église, selon Jean Pascal, descendu de son village de montagne avec ses amis d’enfance : « Tu te rends compte ? Ce qu’ils ont préparé si longtemps à Marseille, nous l’avons fait en un mois… Pour une fois on va bien parler de la Corse ! Il fallait être là. »
« La Corse est une terre sacrée, c’est une question de tradition »
Pour le jeune homme, répondre à l’appel du pape était une évidence, quitte à prendre le seul train qui traverse l’île, et à réserver un hébergement pour l’occasion : «Cela me tenait à cœur. Je ne vais jamais à l’église ni à la messe, sauf aux fêtes de village et aux processions, mais c’est important. La Corse est une terre sacrée, c’est une question de tradition. »
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Une journée dédiée à la piété populaire
Un peu plus loin, dans la foule, Joseph, chauffeur de taxi, observe le passage de la voiture blanche au bruit de « Vive le pape ! » » et chœurs improvisés. Conquis, le pape s’arrête souvent, s’extase à plusieurs reprises devant la multitude d’enfants venus à sa rencontre, embrasse les bébés, bénit sans cesse, et salue les polyphonies qui surgissent de toutes parts dans son sillage.
« Ça ramène un peu de ferveur catholique ! Le voir passer ainsi, parmi nous, est un moment fort de notre petite histoire. C’est un honneur »» avoue d’un ton bourru le chauffeur, réconforté par cette liesse collective. Comme beaucoup d’autres, Joseph a renoncé à travailler ce jour-là pour descendre dans la rue remercier ce pape qui partageait tant leur goût pour les traditions populaires.
« La messe a lieu derrière la statue de Napoléon… C’est la grande réconciliation entre un pape et un empereur qui s’était couronné »
Souriant, l’Ajaccien désigne du menton la place d’Austerlitz, surnommée la Casone, où le pape célèbre la messe et ne peut s’empêcher d’ajouter ironiquement : « La messe a lieu derrière la statue de Napoléon… C’est la grande réconciliation entre un pape et un empereur qui s’était couronné. »
Venant clôturer un colloque centré sur la piété populaire, François insiste, dans son discours, sur cette foi « profondément enraciné en Corse »et omniprésent dans les traditions locales. Le Saint-Père salue les processions dans les villages, les confréries… Pour la grande fierté des centaines de confrères présents, tous vêtus de leurs tenues traditionnelles colorées. En visitant le baptistère, la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption, le chef de l’Église prend son - pour saluer la foule qui s’étend tout le long du front de mer.
Pour organiser l’événement, toute l’île s’est mobilisée
A deux pas de la cathédrale, Angèle, bénévole du diocèse, vend depuis une semaine des souvenirs à l’effigie de la Madone locale. Pour elle, la persistance de cette ferveur populaire sur l’île est due à son évêque très apprécié. Lorsqu’il en parle, ses yeux noirs s’illuminent derrière ses fines lunettes : « Le cardinal Bustillo attire les foules. Maintenant, à l’église, c’est plein, parfois on ne peut pas y entrer parce que c’est plein. Il ramène les jeunes, les vieux… Il a une aura fantastique. »
Assise derrière son comptoir, la sexagénaire souligne l’ampleur de l’événement : « C’est une très grande organisation… très coûteuse. Voyez le nombre de forces de l’ordre venues pour l’occasion. Malheur! Si on traverse la Corse, ça explose ! » s’exclame-t-elle en riant.
Ce déplacement, coûtant plus d’un million d’euros, représente une dépense colossale pour le diocèse.
A ses côtés, Francis confirme. Ce voyage, estimé à plus d’un million d’euros, représente une dépense colossale pour le diocèse, malgré les dons récoltés dans toute la Corse (près d’un million en un mois) : « Pour l’évêché, c’est très dur. Nous ne sommes que 300 000 sur l’île… Il a fallu créer pour l’occasion une association, U Mare Di Corsica. Mais ça vaut le coup, le Corse est généreux, à condition de ne pas le tromper. »
L’association s’est mobilisée pour mettre en vente, dans quelques semaines, des bougies, des t-shirts, des sacs en toile ou des foulards bleus et blancs, au profit du diocèse. « C’est une pièce de collection, vous la mettez au placard, et vous la gardez ! » disent-ils aux curieux qui passent par là. Francis conclut, la voix tremblante d’émotion : « Cela n’arrivera plus jamais. C’est une opportunité incroyable de vivre cela. Sa simple présence restera gravée dans les mémoires. Et pour de nombreux Corses, croyants ou non, c’est un jour à marquer d’une pierre blanche. » Angèle hoche la tête, l’air convaincue : «Je le souhaite de toute façon. »